L’éditeur Blaq Out nous propose de (re)découvrir Holly (Fien Troch, 2024), petit film belge flamand aux ambitions immenses, sorti en catimini sur notre territoire. À la croisée de M. Night Shyamalan, Stephen King ou encore Gus Van Sant, le long-métrage impressionne par son équilibre délicat.

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Porte Bonheur
Fien Troch n’est pas une débutante. Ses premiers courts-métrages ont bientôt trente ans, et son premier long, Een ander zijn geluk, est sorti en 2005. Et à y regarder de plus près sa filmographie est d’une incroyable cohérence tant sa volonté de s’intéresser à la jeunesse est continuelle et toujours plus poussée. C’est le cas, encore une fois, de Holly, son dernier film. Holly est une adolescente mise à l’écart par ses camarades de classe qui l’appellent « la sorcière ». Un jour, elle décide de ne pas aller au lycée donnant comme excuse qu’elle a un mauvais pressentiment. Et il se trouve que l’établissement scolaire prend feu peu après, faisant dix morts parmi les élèves. Neuf mois plus tard, Holly, toujours écartée par les autres, est remarquée par une professeure pour ses capacités à guérir et à rendre heureux les autres. Holly va alors développer et profiter de ce don. Un pitch plutôt classique qui rappelle beaucoup certaines œuvres où le fantastique s’invite dans une réalité pesante : on pense notamment au don quasi commun entre Holly et John Caffey du roman La Ligne verte de Stephen King, sorti en 1996, ou au cinéma de M. Night Shyamalan – Sixième sens (1999) surtout – qui nous invite à suspendre notre crédulité afin de « croire ».

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Dans Holly, il est justement beaucoup question de croyance, des formes et des raisons de croire. Comme une parabole de la foi, le long-métrage démontre les mécanismes amenant à embrasser une croyance quitte à s’y perdre. Ainsi on peut voir que ce sont d’abord les victimes de l’incendie – les parents des enfants décédés – qui se jettent dans les bras d’Holly afin de soulager leur chagrin, puis, à mesure que la réputation de bienfaitrice de la jeune fille s’amplifie, que d’autres décident de monnayer ses actes de bonté. Enfin c’est au nom de son don que d’autres en viennent à la violence. Il y a quelque chose de très shyamalanesque dans cette façon presque naïve et premier degré d’aborder cette question de foi, approche qui aurait pu rapidement virer au ridicule compte tenu des partis pris formels très réalistes que la cinéaste a choisis, mais qui fonctionnent grâce à la poésie de sa mise en scène. Visuellement, celle-ci se rapproche du cinéma de Gus Van Sant, et sur plusieurs aspects. On retrouve le Gus Van Sant des premières années avec ce sentiment de grâce que l’on retrouvait dans Mala Noche (1985) ou My Own Private Idaho (1991) ; on ressent aussi celui de Gerry (2002) et Elephant (2003) dans cette façon de représenter l’errance ; on devine enfin celui de Restless (2011) ou Nos souvenirs (2015) pour cette représentation brute et naïve de l’émotion.
Cet équilibre fonctionne d’autant plus qu’il est servi par une photographie incroyable de Frank van den Eeden, fidèle chef-opérateur de la réalisatrice – qui a aussi œuvré sur Close (Luka Dhont, 2022), autre grand récit sur l’adolescence, et sur Small Things Like These (Tim Mielants, 2025) à venir. Ses images captent chaque détail du visage de Cathalina Geeraerts qui joue remarquablement Holly, chaque petit morceau du quotidien comme autant de petites touches impressionnistes. Tout ceci avec un sens du cadre incroyable faisant de chaque photogramme de Holly une œuvre à part entière. La musique électrique et lancinante de Johnny Jewel, du groupe Chromatics, apporte également une dimension unique à l’ensemble, à l’instar de son travail sur Lost River (Ryan Gosling, 2015). On peut saluer le travail au montage de Nico Leunen qui, particulièrement dans le dernier acte, joue habilement à convoquer nos sens, rendant l’expérience Holly toujours plus organique. Enfin il convient de saluer la qualité d’interprétation : la jeune comédienne jouant Holly, bien sûr, mais aussi Felix Heremans dans un rôle particulièrement casse-gueule ou encore Greet Verstraete dans celui de la professeure en mal d’enfant. Tout juste peut-on reprocher à Holly un excès de langueur par moments et un ventre mou en cours de film où l’on finit plus par penser à Un Monde meilleur (Mimi Leder, 2000) qu’aux prestigieuses références mentionnées avant, mais cela n’entache qu’à peine l’expérience de visionnage.
Un visionnage auquel nous invite Blaq Out avec son édition DVD – pas encore de Blu-Ray – dans une édition dénuée de suppléments quoi que particulièrement réussie d’un point de vue technique. En tenant compte qu’il s’agit d’un master DVD, l’image offre une précision remarquable permettant de mettre en valeur le travail de la photographie suscitée. Côté audio une seule piste est proposée, limitant quelque peu l’expérience pour ceux qui pourraient vouloir avoir le choix. Une édition un poil étriquée pour les amateurs de contenus et de bonus en tous genres qui a le mérite de faire exister ce long-métrage pas forcément parfait mais qui touche au cœur.