Ick


Le PIFFF 2024 s’ouvre cette année avec un habitué du festival : Joseph Kahn, dont la filmographie a déjà été mise à l’honneur lors de précédentes éditions, notamment avec son film culte Detention (2011). Dans cette même veine, il revient avec Ick, une comédie horrifique iconoclaste qui reflète parfaitement le style si singulier de son réalisateur.

Dans un bar juste éclairé en clair-obscur, une femme, un homme et une adolescente quelque part devant eux avec appréhension ; scène du film Ick.

© Tous Droits Réservés

Comme un ick

Plan en contre-plongée sur les quatre personnages du film Ick, qui regardent à leurs pieds dans l'expectative ; derrière eux une structure qui fait penser à un puits de forage à pétrole ; issu du film Ick.

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Joseph Kahn tient une place particulière dans le cinéma indépendant de par ce qui constitue sa principale activité – et source de revenus – à savoir son travail publicitaire et ses réalisations de clips musicaux. On lui doit notamment le virage pop très référencé de Taylor Swift à partir de 2015 mais il a surtout marqué les années 2000 en signant de nombreux clips emblématiques qui ont façonné l’esthétique de la pop music de cette époque. C’est notamment à lui que l’on doit le culte Toxic par Britney Spears. Kahn a donc à la fois un pied dans l’industrie et un pied largement en dehors lorsqu’il s’agit de réaliser des films. Torque (2004) reste à ce jour son seul film de studio et une terrible expérience selon les dires de l’intéressé. Depuis, Joseph Kahn finance ses projets avec des budgets très modestes, souvent issus de ses propres fonds. Cette approche, atypique pour un cinéaste indépendant, confère une singularité à sa filmographie. Contrairement à de nombreux réalisateurs indépendants qui définissent leur œuvre en opposition au cinéma des grands studios, Kahn adopte une double posture : il est à la fois un créateur d’images pop standardisées, qu’il s’amuse ensuite à détourner et à parodier dans ses propres films. C’était déjà le cas avec Detention, et cela se poursuit avec Ick, projeté au PIFFF 2024, que l’on pourrait voir comme une suite spirituelle tant les deux œuvres dialoguent entre elles.

Alors que dans Detention on suivait les aventures d’un groupe de lycéens au début des années 2010, Ick nous montre la vie pas très glorieuse d’un ancienne gloire de lycée – incarné avec brio par Brandon Routh -, reconverti en professeur de sciences, ex-alcoolique qui rumine le destin glorieux qu’on lui avait promis. C’est donc à travers ce regard de trentenaire que l’on va observer la jeunesse d’aujourd’hui et si le film s’autorise quelques piques envers la gen Z il n’est pas non plus tendre avec les adultes de son récit. L’élément fantastique du récit – le fameux Ick – est une substance noirâtre qui s’est progressivement développée dans le monde entier et dans l’indifférence totale de celui-ci. La jeunesse actuelle hérite donc d’un monde mortifère, presque déjà condamné par l’inaction des générations précédentes, faisant du Ick une parfaite métaphore du dérèglement climatique et du conflit inter-générationnel qui en découle. Aussi, le propos de Kahn n’a rien de conservateur car la véritable volonté du Ick est de posséder toute l’humanité pour qu’elle ne soit plus qu’un bloc, sans voix dissonante, ni diversité. Un propos qui n’est pas sans rappeler le prophétique The World’s End (Edgar Wright, 2013).

La petite famille du film Ick est dans la main géante humaine ensanglanté sur fond bleu couleur ciel illuminé ; visuel promotionnel pour le film Ick.

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Dans l’exécution de son récit, Ick profite de l’inventivité de son metteur en scène pour proposer de nombreux gags visuels réjouissants et qui nous fait à nouveau penser à Edgar Wright (l’approche transmédia de Scott Pilgrim en 2010) avec notamment un jeu sur les inserts de texte à l’écran et un montage hyperactif. Sur l’aspect horrifique en revanche le film échoue à renouveler ses mises à mort et à faire du Ick une menace réellement marquante, sauf dans le climax qui réserve son lot de moments de bravoure. La volonté de Joseph Kahn de proposer un récit cynique – quitte à flirter avec la parodie – ne lui rend pas toujours service. C’est notamment évident lorsque le long-métrage tente d’aller sur le terrain de l’émotion mais que la musique – toujours signée Brain & Melissa – volontairement cliché force le spectateur à ne pas prendre la scène au sérieux. Un décalage étonnant qui donne parfois l’impression que les comédiens jouent à contre-temps. Voilà peut-être les limites du cinéma de Kahn, un cinéma inventif, bourré d’idées, quoi que prisonnier de son ton cynique et surtout teinté d’une certaine rancune.


A propos de Antoine Patrelle

D'abord occupé à dresser un inventaire exhaustif des adaptations de super-héros sur les écrans, Antoine préfère désormais ouvrir ses chakras à tout type d'images, pas forcément cinématographiques d'ailleurs, à condition qu'elles méritent commentaire et analyse. Toujours sans haine ni mauvaise foi.

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