Faire de l’affaire Dupont de Ligonnès un véritable objet de cinéma, quel programme ! C’est Jean-Christophe Meurisse qui s’en charge, avec toute la folie qui caractérise son cinéma depuis Apnée (2016). Après ses Oranges sanguines (2021), voici donc Les Pistolets en plastique (2024) qui vient de débarquer sur les étals de vos revendeurs vidéo…
Terrasse-moi si tu peux
Quand Oranges sanguines a débarqué sur les écrans de cinéma français, beaucoup se sont demandés qui était l’olibrius derrière ce long-métrage fantasque et extrême. D’aucuns le comparent même à Quentin Tarantino pour sa façon de tordre le cou au septième art, son usage de vieux standards comme bande originale de son film, son goût prononcé pour la violence et les guests de luxe. D’autres y ont vu une forme d’imposture, de la provocation facile. Alors, autant dire que lorsque le cinéaste a annoncé s’attaquer à l’affaire Xavier Dupont de Ligonnès, le monde cinéphile attendait le long-métrage les bras ouverts ou équipés de fourches. Et ce même si Jean-Christophe a le bon goût – peut-être le seul, nous allons le voir – de changer les noms, les époques et les lieux pour brouiller les pistes. En effet, ici, c’est Paul Bernardin qui a zigouillé toute sa famille pour ensuite mettre les voiles on ne sait où. Les Français se passionnent pour l’affaire dite Bernardin et deux enquêtrices amatrices se rendent sur les lieux du crime pour trouver des indices. Pendant ce temps, les médias annoncent son arrestation à l’aéroport de Copenhague.
Bon, même en brouillant les pistes, il est facile, même pour un non connaisseur de la véritable affaire, de voir en quoi l’intrigue du film reprend à l’identique les quelques rebondissements de la tuerie de Nantes. C’est même d’ailleurs un point positif jusqu’au dernier tiers du récit puisque l’on prend plaisir à recoller les morceaux entre la réalité et la fiction. Les Pistolets en plastique prend le contre-pied – et on pouvait s’y attendre vu le pedigree du cinéaste ! – de tous les documentaires, téléfilms et autres séries déjà produits sur le sujet. L’affaire n’est qu’un prétexte pour une succession de sketchs aux personnages hauts en couleur. Cela commence fort avec une séquence de dissection où Fred Tousch et Jonathan Cohen ne semblent pas prendre la mesure de ce qu’ils sont en train de faire, et cela se poursuit avec des séquences hilarantes d’interrogatoires totalement lunaires avec l’extraordinaire Anne-Lise Heimburger ou le danois Thomas Landbo, ou du comique de situation révélant au passage Delphine Baril. Il n’y a pas de doute, le film se créé sa propre identité et, pour une affaire aussi connue que celle de Ligonnès, ce n’est pas une mauvaise idée d’avoir emprunté cette voie-là.
Seulement voilà, très rapidement le long-métrage démontre son manque de cohésion. Le récit est éclaté, choral, certes, toutefois il manque un liant à l’ensemble qui puisse empêcher Les Pistolets en plastique de rester un simple film à sketchs. On comprend la légèreté avec laquelle Jean-Christophe Meurisse compose mais on ne peut s’empêcher de penser que son film aurait gagné à être soit plus resserré, moins dispersé, chapitré à la manière de Pulp Fiction (Quentin Tarantino, 1994) par exemple. En l’espèce, pour peu que l’on reste insensible devant certaines scènes – interminable séquence de visio entre deux policiers franchouillards joués par Aymeric Lomperet et Vincent Dedienne et trois flics danois – on risque de potentiellement s’ennuyer voire de décrocher. On comprend même là où veut en venir le réalisateur : cette succession de portraits est assez grinçante pour révéler les aberrations de notre époque. Or ce manque de fil rouge nuit au propre bien du film qui, pour aboutir à quelque chose de marquant, finit par faire le choix de la facilité dans son dernier acte…
Comme pour inscrire ce dernier film dans la continuité d’Oranges sanguines, Meurisse décide de faire de son petit manège d’humour noire un déluge de gratuité gore. Dans une scène où l’une des deux enquêtrices éborgne à la petite cuillère, c’est toute la démarche du réalisateur qui tombe à plat. Non pas que la scène soit choquante d’un point de vue graphique : elle arrive tellement comme un cheveu sur la soupe qu’on ne peut s’empêcher d’y voir un aveu d’échec. Incapable de rester sur le fil de l’absurde, il préfère se jeter dans une surenchère digne d’une provoc adolescente. Et allez savoir pourquoi, alors qu’il avait jusque-là réussi à caractériser la place du tueur dans son film, il enchaîne avec une représentation réaliste des assassinats de la famille – avec un faux suspens indigne sur le meurtre d’un enfant de deux ans en mode « Va-t-il montrer en gros plan sa mort ? » – qui ajoute une troisième tonalité répugnante aux Pistolets en plastique. C’est presqu’un cas d’école auquel on assiste ici ; comment transformer l’expérience du visionnage de franchement drôle à tristement pathétique ? On vous laisse vous faire votre propre avis à la faveur de la sortie vidéo du film éditée par SND.