Passé sous le radar en salles, Riders of Justice (Anders Thomas Jensen, 2021) s’avère pourtant être un des films les plus réussis de l’année passée. Sa sortie vidéo chez M6 Vidéo devrait heureusement lui permettre d’être ré-évalué à sa juste valeur.
A charge de revanche
Dans une année 2021 encore perturbée par la pandémie, Riders of Justice de Anders Thomas Jensen n’a pas vraiment marqué les esprits avec seulement 75 000 entrées en salles dans l’Hexagone. En comparaison, Drunk – dans lequel joue également Mads Mikkelsen et qui est sorti quelques mois plus tard – autre film danois sorti la même année chez nous, aura cumulé plus de 450 000 entrées. Si le long-métrage de Thomas Vinterberg s’est fait connaître en festival pour mieux exploser en salles c’est certainement du fait de son pitch original au potentiel à la fois comique et dramatique. Pourtant, Riders of Justice n’est pas pour autant en reste, plus encore, il propose même un constat humain bien plus puissant. Ceux qui l’ont vu le diront sans peine : on ne sort pas émotionnellement indemne de la vision de cet uppercut filmique. C’est la cinquième collaboration entre le réalisateur – mais surtout scénariste – Anders Thomas Jensen et l’incontournable acteur danois Mads Mikkelsen. Nous nous étions déjà chargés dans un précédent article analytique de retracer l’impressionnante carrière de cet acteur caméléon (lire notre article Mads Mikkelsen, droit dans les yeux) on le retrouve ici dans un registre qu’il connaît bien, celui de la violence, mais loin de l’image lissée du tueur en série de Hannibal (2013-2015), Mikkelsen incarnant cette fois un homme à l’apparence bien plus baroudeuse et à la rage incontrôlable.
Markus est rappelé de son poste militaire au Moyen-Orient quand sa femme décède brutalement dans un accident de train. Désormais seul pour s’occuper de sa fille adolescente (Andrea Heick Gadeberg) dont il n’a jamais été proche, l’homme tente maladroitement de la consoler, oscillant entre répression des sentiments et discours anti-religieux. Mais quand Otto (Nikolaj Lie Kaas), survivant de l’accident, et accessoirement expert en statistiques, sonne à sa porte pour lui expliquer que l’accident n’en était pas un, Markus abandonne alors toute rationalité pour entrer dans une quête effrénée à la recherche des coupables. S’ajoutent à la fine équipe deux pirates informatiques (Lars Brygmann et Nicolas Bro), soudainement prêts à sacrifier leur vie et leur liberté pour faire justice eux-mêmes face à l’inaction de la police. Plus qu’une comédie dramatique comme il a été présenté, Riders of Justice est un revenge movie, certes enchaînant situations comiques et drame humain, mais mettant surtout l’accent sur la gestion du deuil et la justification à tout prix qui en découle.
Quand certains diront que le déraillement du train n’est qu’une malheureuse coïncidence, la faute à pas de chance, les protagonistes quant à eux refusent de balayer aussi facilement un événement qui semble en tout point justifié. Si la jeune fille ne s’était pas fait voler son vélo, sa mère ne l’aurait pas accompagnée. Si la voiture avait démarré, elle n’aurait pas pris le train. Si Otto ne lui avait pas cédé sa place assise, alors elle aurait peut-être survécu. L’implication d’Otto et ses amis dans cette recherche de la justice n’est pas anodine, mais intimement liée au survivor’s guilt, la culpabilité que ressentent les survivants en se demandant « pourquoi pas moi ? ». Quand la justification vire à l’extrapolation et à la paranoïa, Riders of Justice met alors en lumière les dangers du deuil mal accompagné. La dimension psychologique est immense, d’autant plus qu’elle expose les personnages dans leurs émotions les plus contradictoires. Rares sont les films qui arrivent à jouer sur plusieurs genres et plusieurs tonalités sans tomber dans les affres d’une absurdité totale. Porté par un scénario solide, une écriture juste, et un quatuor d’acteurs masculins aux performances étoffées, Riders of Justice aurait mérité une meilleure promotion en salles. Espérons que sa sortie vidéo, dont une édition DVD et Blu-Ray chez M6 Vidéo, lui permette de trouver un plus large public, prêt à recevoir une des plus grandes leçons de vie que le cinéma nous aura donnée l’année passée.