Police Python 357


Diffusé sur C8 ce dimanche 21 mars 2021 à 21h, Police Python 357 (1976) assoit Alain Corneau comme le nouveau représentant du polar français peu de temps après la mort de son maître absolu, Jean-Pierre Melville. Fais Pas Genre saisit la balle au vol, et vous livre une critique d’une œuvre désespérée et rêche, portée par un casting de haut rang.

Sur les rives de la Loire, un pont d'Orléans en arrière-plan, Yves Montand dégaine son revolver, prêt à tirer dans le film Police Python 357.

                                            © Tous Droits Réservés

Aussi belle qu’une balle

Plan rapproché-épaule sur Simone Signoret assise dans son lit, la mine sérieuse dans le film Police Python 357.

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Le 2 août 1973, Jean-Pierre Melville passe ad patres après 55 automnes et 13 films dont un dernier, testamentaire au point de puer la mort, Un Flic (1972). A ce cinéaste hors norme, un des premiers réalisateurs vraiment indépendants du cinéma français – il s’est auto-produit, a eu son propre studio -, surtout un des plus influents à travers le monde, il a vite fallu trouver un héritier. C’est que Melville ne s’est pas contenté, notamment dans Le Samouraï (1967), d’avoir son propre style ; par sa patte il a tout bonnement réinventé le polar hexagonal. Avec lui la narration aride perce le spectateur comme une balle, la France n’a jamais paru aussi grise, les mines plient sous le poids de la gravité, parler paraît dérisoire : Melville, c’est la mythologie du film noir américain pétrifiée par la froideur du monde moderne. En cette décennie 70 où les utopies des 60’s ont la gueule de bois, le cinéma français a besoin de quelqu’un pour poursuivre le travail de sape. Un candidat se déclare assez tôt, sans même attendre que Papa Jean-Pierre se dérobe, en la personne de Yves Boisset dont l’impressionnant Un Condé (1970) est une variation à peine voilée de la filmographie de Melville jusque dans son titre. Un filon rugueux que Boisset poursuivra d’ailleurs à peu près tout au long de sa carrière mais il s’éloignera assez vite du « simple » récit policier pour embrasser des récits plus politiques et/ou historiques. L’héritier désigné serait plutôt Alain Corneau qui signe à cette époque trois excellents métrages coup sur coup : Police Python 357 (1976), La Menace (1977) et le dépressif Série Noire (1979), peut-être un des plus grands polars du cinéma français, reposant sur les épaules maladives d’un Patrick Dewaere possédé. Pour l’heure toutefois, c’est bien sur le premier de cette espèce de trilogie que nous nous arrêtons à l’occasion de sa diffusion sur C8.

L’inspecteur Marc Ferrot (Yves Montand) officie sous la responsabilité du commissaire Ganay (François Périer) dans les environs d’Orléans. Flic exemplaire trimballant sa solitude sur les rives de la Loire, Ferrot fait la rencontre de Sylvia, une jeune photographe à l’accent chantant d’Italie dont il s’entiche. Or la jeune femme a une double vie : elle a aussi une liaison avec Ganay qu’elle n’ose pas quitter. Et le soir où elle s’apprête à le faire, le commissaire pète un plomb, la tue… L’enquête est confiée à Ferrot, sauf que si personne n’a vu Ganay et Sylvia flâner dans les rues d’Orléans, leur relation ayant été tenue secrète, Ferrot et la victime ont été vues plusieurs fois ensemble. L’inspecteur, au fil de l’enquête, se rend compte qu’il risque d’être identifié comme le principal suspect. En plus de cette douloureuse situation de devoir enquêter sur la mort de celle qu’il aime, Ferrot doit alors affronter deux nécessités : effacer les indices qui pourraient mener à tort jusqu’à lui, et retrouver l’homme qui a tué Sylvia sans savoir qu’il s’agit de son supérieur hiérarchique… Cette intrigue retorse, tissée sur celle du roman Le Grand Horloger de Kenneth Fearing, est servie par une esthétique d’une sobriété chirurgicale, d’un naturalisme abrasif jamais apaisé par la musique spectrale de Georges Delerue.

Yves Montand avance sans protection et les bras ballants dans une petite rue devant une équipe et un camion de CRS dans le film Police Python 357.

                                ©CSFF/RDA/Everett Collection

La plastique de Police Python 357 épouse bien ce que la destinée de ses protagonistes semble vérifier : ce bas monde est un cul-de-sac. Piégés sont Ganay qui, tout commissaire qu’il est, trébuche dans le crime passionnel ; son épouse cocue invalide qui ment pour le couvrir afin de ne pas finir seule dans son fauteuil roulant ; Sylvia qui n’ose quitter Ganay car il l’a sortie de la prostitution. Chacun vit dans une prison symbolique bâtie par l’attachement à l’autre, par l’amour, une cellule dont on ne s’extirpe qu’en tuant ou se tuant : en somme, dont on ne s’extirpe pas. Parmi ces âmes damnées traîne bien sûr celle de Ferrot en chute libre, homme intègre qui se désagrège lors d’une enquête lui faisant perdre, littéralement, la face (aspergée de vitriol pour ne plus être reconnue par des témoins). Au bout du chemin, l’inévitable confrontation finale entre les deux amants de Sylvia échappe même à son rôle de climax salvateur. Celui qui tire le plus vite ne repart pas en cow-boy sifflotant sous le soleil couchant, une fois le corps de l’ennemi tombé. En désespoir de cause, il n’a plus qu’à se chercher une rédemption comme il peut, lors d’une saisissante ultime séquence d’intervention policière dérapant en guérilla urbaine… On peut tout à fait fustiger dans l’intention de Corneau un trop grand misérabilisme, une certaine pornographie dans la noirceur dont Série Noire sera certainement l’acmé : il reste que Police Python 357 demeure un morceau de cinéma intransigeant, habité et méritoire.


A propos de Alexandre Santos

En parallèle d'écrire des scénarios et des pièces de théâtre, Alexandre prend aussi la plume pour dire du mal (et du bien parfois) de ce que font les autres. Considérant "Cannibal Holocaust", Annie Girardot et Yasujiro Ozu comme trois des plus beaux cadeaux offerts par les Dieux du Cinéma, il a un certain mal à avoir des goûts cohérents mais suit pour ça un traitement à l'Institut Gérard Jugnot de Jouy-le-Moutiers. Spécialiste des westerns et films noirs des années 50, il peut parfois surprendre son monde en défendant un cinéma "indéfendable" et trash. Retrouvez la liste de ses articles sur letterboxd : https://boxd.it/s2uTM

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