Quand un réalisateur coréen nourri à Nicolas Winding Refn et Blade Runner (Ridley Scott, 1982) s’essaie au style indépendant japonais, cela donne Colonel Panics (Cho Jinseok, 2016). Un film « cyberpunk en dentelle » dont la catchphrase est le jeu vidéo tue, telle nous est vendue l’oeuvre sur l’excellente plateforme Outbuster : mais pas sûr de comprendre ce que cela signifie, laissons l’objet parler de lui-même…
Colonel Panics et mon cerveau aussi
Colonel Panics fait partie de ces ovni inclassables, qui regorgent de tellement d’inspirations qu’on est jamais vraiment sûr de savoir quel type de film on regarde. Cela se traduit généralement par notre visage arborant une magnifique expression hébétée face au générique de fin, et notre cerveau tentant de recoller les morceaux et de trouver des liens logiques entre tous les éléments qu’il vient d’absorber. Il s’agit d’une formule risquée, qui peut porter ses fruits – citons les classiques Mulholand Drive (David Lynch, 2000), ou encore Brazil (Terry Gilliam, 1985) – mais qui nécessite une grande maîtrise de la narration, de l’ambiance, et des clés servant à en interpréter le sens. Malheureusement pour Colonel Panics, le risque ne semble pas payer tant que ça.
En règle générale le meilleur moyen de parler d’un film est de commencer par son synopsis. Prenons celui qui est inscrit sur la plateforme Outbuster : Les destins de deux hommes, l’un du futur et l’autre du passé, vont se croiser lorsqu’un virus malveillant s’étend à travers Level 4, un jeu vidéo qui brouille les frontières entre rêve et réalité. Voyage temporel, jeu vidéo, rêve, voici les premières clés qui nous sont données pour orienter notre compréhension. Le récit démarre donc sur une romancière japonaise contemporaine qui fait une conférence et qui indique qu’elle travaille avec un laboratoire sur une IA qui générerait ses propres histoires par un processus de répétition de schémas desquels elle tirerait des leçons pour faire avancer son intrigue. Nous voilà alors projetés dans le futur et une rencontre entre un hacker (interprété par Yusuke Miyawaki) et un homme qui lui confie la mission de jouer à un jeu en développement pour y déceler d’éventuels bugs. Puis on se retrouve une nouvelle fois dans le présent en suivant un éditorialiste d’un journal à tendance nationaliste, interprété par ce même Yusuke Miyawaki. On comprend que la narration sera axée sur l’alternance entre l’univers futuriste du hacker et l’univers contemporain du jeu auquel il « joue ».
Colonel Panics repose donc sur un contraste présent/futur visuellement abouti : le présent très fade, déprimant aux dominances de marron/gris et le futur plus bucolique aux sublimes teintes bleues/violettes qui rappellent fortement un Neon Demon (Nicolas Winding Refn, 2016). Narrativement, en revanche, le contraste est moins poussé, notamment par la prégnance de la partie contemporaine qui aborde le sujet de l’ultra-nationalisme japonais (et en fond les douloureux souvenirs de la guerre dont il ne se serait visiblement jamais vraiment remis), de la sexualité en nous présentant de longues scènes entre l’éditorialiste et une prostituée (Sasa Handa, amoureusement mise en scène, il faut l’avouer), enfin l’ennui et la vacuité d’une vie bureaucratique contemporaine. Le hacker futuriste se contentera de quelques scènes d’entrée/sortie du jeu, par le biais de son casque de réalité virtuelle, et d’obscures scènes de masturbation futuriste, dans lesquelles la même Sasa Handa semble jouer un robot prostitué faisant travailler l’imagination de notre personnage.
Les sujets abordés sont certes très intéressants, et peu souvent traités, mais leur nombre nuit peut-être à la lisibilité. Le réalisateur nous montre un enchaînement de scènes au montage impeccable, mais qui semblent ne pas suivre de logique narrative. Et si l’on se réfère aux clés données dans le synopsis, le voyage dans le temps est hors de propos, l’homme du passé et celui du futur sont en fait le même, il n’y a d’ailleurs vraisemblablement pas de passé autrement que virtuellement, et le rêve n’est absolument pas abordé. On essaiera cependant de s’y accrocher pendant tout le film pour interpréter les scènes que l’on voit, hélas pour voir notre désarroi grandir. Le réalisateur aborde très superficiellement chaque sujet, et semble nous donner quelques clés pour favoriser notre interprétation de ce qu’on voit : s’agit –il d’un constat sur le Japon actuel (dressé par un Coréen qui plus est, au vu du lourd passé entre les 2 pays, ce serait une idée fascinante), d’une dystopie très inspirée par Blade Runner, les deux ? Cho Jinseok ne nous donne finalement pas une base solide sur laquelle nous appuyer pour apprécier son bbé. Cela donne une œuvre vraiment trop ouverte à interprétation, tellement ouverte que l’on ne peut plus tellement l’interpréter. Voici le visage hébété évoqué au premier paragraphe, les ponts logiques en moins, mais beaucoup d’images sublimes d’une Sasa Handa se trémoussant de manière torride.