Annoncé sans ménagement comme un film policier, le premier long-métrage de Dong Yue, Une pluie sans fin, se révèle être une tragédie sociale dans une Chine en pleine transformation, juste avant la rétrocession de Hong Kong. De quoi brouiller les pistes dans ce film sombre et elliptique.
Les Âmes Grises
Auréolé du Grand Prix du Festival International au Film Policier de Beaune 2018, on attendait qu’Une pluie sans fin devienne le véritable thriller de l’été, après le décevant Fleuve noir (Erick Zonca, 2018), sorti une semaine auparavant. Malheureusement, nos espoirs sont vite balayés par ce qui ressemble trop à un pâle remake de Memories of Murder (Bong Joon-ho, 2003). Même scène liminaire de découverte d’un cadavre dans un champ à proximité d’une zone industrielle, le troisième d’une série meurtrière qui prend au dépourvu la police locale. Yu Guowei, responsable respecté de la sécurité de l’usine d’à côté, décide donc de mener son enquête et sombre dans une folle obsession, jusqu’à en perdre à la raison.
Derrière le parcours du protagoniste, le réalisateur tente de dépeindre le paysage social chinois d’époque, aussi morne et sinistre que l’atmosphère diluvienne qui englobe tout le film. La déliquescence des complexes industriels qui tombent en ruine est à l’image de la chute de Yu : la fermeture des usines marquent l’abandon de toute une population par l’Etat chinois, l’obsession du pseudo-policier exclut sa compagne, sacrifiée et marginalisée par sa quête. Rien ne fonctionne dans ce pays tiraillé entre maoïsme historique et capitalisme rampant. Les voitures s’embourbent et démarrent mal, les outils et les locaux semblent dater d’il y a un siècle… À la manière des films chinois People Moutain People Sea (Cai Shangjun, 2013) ou Black Coal (Dia Yi’nan, 2014), Une pluie sans fin utilise le genre policier pour mieux s’attacher à filmer les mutations sociologiques, politiques et historiques du pays.
Cependant, le long-métrage de Dong Yue souffre de la comparaison avec le chef d’oeuvre de Bong Joon-ho, tant dans sa construction que dans le parcours de son personnage principal. La mise en scène est hésitante, maniant l’ellipse maladroitement entre les scènes conjugales et l’intrigue policière, de plus en plus ténue. Une overdose de plans et un montage cut ne suffisent pas à sauver les rares séquences de tension, à l’image de la course-poursuite entre Yu et le tueur dont la bande-annonce nous avait déjà dévoilé l’essentiel. Les teintes grises et sales très à la mode ne rendent pas aussi bien compte du changement d’époque que l’image nostalgique de Memories of Murder. Si l’idée d’une pluie continue qui enveloppe tout aussi le décor que le paysage mental du héros semble être de prime abord une bonne idée, elle n’est pas du tout exploitée par la suite et rejoint la liste des nombreux clichés.
La critique politique transpire par tous les pores, au point d’en oublier le scénario. La présentation du nom du personnage en exergue du film donne déjà la solution. Alors qu’il sort de prison, il décline son identité : il s’appelle Yu Guowei. Yu comme « vestige » et « inutile », Guo comme « nation » et Wei comme « glorieux ». Soit le « vestige inutile d’une nation glorieuse ». Tout est dit. L’enquête se réduit comme peau de chagrin à sa plus simple expression et son final se révèle laborieux, voire ridicule. L’équilibre que tente d’atteindre Dong Yue n’est pas trouvé et on peut avoir l’impression de regarder deux longs-métrages en un, deux idées parallèles qui n’arrivent pas à trouver une symbiose. Soit exactement le même syndrome que Fleuve noir. À se demander si les réalisateurs ont bien révisé leurs classiques…
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