Dix ans après son dernier film Julia, Erick Zonca revient avec un film aussi sombre que l’indique son titre. De quoi renouer avec le genre policier le temps d’un film « de cinéma », genre depuis longtemps dévolu aux flux télévisuels et à leur(s) qualité(s) douteuse(s).
La vie n’est pas un long fleuve tranquille
Il faudra un jour se pencher sérieusement sur la chronologie du cinéma policier français et essayer de comprendre comment nous sommes passés des polars aux dialogues ciselés d’Audiard (le père) à Sections de recherche (Steven Bawol et Dominique Lancelot, 2006). Ou comment des grands films noirs des années 50 aux questionnements moraux puissants, nous nous contentons à présent des unitaires gentillets du Capitaine Marleau (Elsa Marpeau, 2015) ou des Petits meurtres d’Agatha Christie (Anne Giafferi et Murielle Magellan, 2009). Il ne s’agit pas ici de dénigrer ces créations dont les enjeux de production et les prétentions artistiques ne sont pas comparables avec les représentants du genre, mais bien d’acter un fait : la création policière se fait pour l’essentiel à la télévision et on aurait du mal à citer un grand film policier depuis Les Rivières pourpres (Mathieu Kassovitz, 2000) ou à la limite 36, Quai des orfèvres (Olivier Marchal, 2004), bien que ce dernier ne rentre pas tout à fait dans la case du genre abordé ici.
On attendait donc de Fleuve noir, au budget confortable de 7 millions d’euros et au casting solide, une proposition forte, loin des routines scénaristiques que nous débitent par dizaines d’heures la télévision. C’est sur ce premier point que le film faillit et ne semble pas décider sur quel pied danser : film noir ou polar ? La question se pose. L’enquête du commandant Visconti (Vincent Cassel) se révèle bancale et ne s’éloigne que peu du whodunit cher aux télédiffuseurs. Le long-métrage ne prend en effet pas ses distances avec ce qui ressemble au cahier des charges standard du genre : une intrigue faussement imprévisible, un enquêteur borderline (c’est mieux s’il est alcoolique), des teintes désaturées pour bien donner le cafard… Fleuve noir coche toutes les cases. L’adaptation d’un best-seller (Une étrange disparition de Dror Mishani, éd. Seuil, 2014) ne sauve pas la mise. Et que dire des intrigues secondaires non résolues, comme celle du fils de Visconti qui, loin de son image de beau gosse des beaux quartiers, plonge dans le trafic de drogue ? Son intérêt ne semble résider que dans la caractérisation faussement complexe et ambigüe de l’enquêteur : définitivement pas un héros de film noir. La mise en scène à l’épaule et sans surprise de Zonca achève de donner un goût trop familier à ce qui se veut être un « polar choc ».
Il nous reste alors les interprétations satisfaisantes des acteurs, qui portent à eux seuls l’heure trois quarts de spectacle. Vincent Cassel est à la limite du cabotinage dans le rôle du commandant éreinté et alcoolique, névrosé jusqu’au bout des ongles et transpirant le manque d’amour. Les cheveux sales, la barbe mal taillée, les vêtements mal ajustés (son personnage est celui d’un flic dont le costume de Columbo serait trop grand pour lui), les yeux rougis par les lampées de mauvais alcool qu’il boit… La panoplie complète, si elle n’est pas révolutionnaire, est bien tenue. Sandrine Kiberlain en mère éplorée et rongée par le remord n’en fait ni trop ni pas assez, sa retenue face à Vincent Cassel étant en cela appréciable. Romain Duris, quant à lui convainc beaucoup moins dans le rôle du professeur pervers, à la barbe fournie pour l’occasion. Le mystère qui enveloppe son personnage est trop fort pour être totalement crédible, et là où la fascination malsaine aurait pu devenir enfin captivante au point d’arriver à des pulsions morbides renversant le récit, le scénario s’arrête au milieu du guet pour revenir à une fin beaucoup plus sage, mais de fait beaucoup plus maladroite. On pensait tenir quelque chose d’intéressant dans ce personnage rempli de fantasmes qui aurait pu devenir le protagoniste principal du film, mais non. L’audace a ses limites.
Il serait cependant faux de dire qu’on s’ennuie ferme devant Fleuve noir. Le long-métrage possède malgré tout le charme désuet des vieux romans de gare, qui s’oublient vite, mais dans lesquels on se plonge ardemment. Que le titre du film reprenne le nom de l’historique maison d’édition spécialisée dans le roman policier et d’espionnage (Harlan Coben, les premiers OSS 117…) n’y est sans doute pas pour rien. C’est sûrement pour cela qu’on ne peut pas ranger définitivement Fleuve noir dans la catégorie des mauvais films : la nostalgie et l’élégance surannée du travail d’Erick Zonca lui font pardonner ses maladresses et ses habitudes démodées. Qu’en 2018 le cinéma français puisse encore proposer un film de genre (policier, certes) simple et sans prétention est tout de même plutôt rassurant. Même s’il mérite tout au plus son titre de « polar de l’été », en attendant qu’un autre vienne prendre sa place…
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