S.O.S Fantômes


De nos jours, les classiques des années 80 ayant forgé notre pop-culture qui n’ont pas encore connu de reboot par des studios avides de se refaire de la thune avec des licences déjà existantes se comptent sur les doigts de la main (et entre nous, j’ai peur d’imaginer quels seront les prochains). Inévitablement, Ghostbusters (SOS Fantômes chez nous) allait devoir y passer et c’est à Paul Feig que les studios confièrent cette licence juteuse.


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Qui c’est qu’on appelle ?

Procédons à un petit topo sur la licence en elle-même, voulez-vous ? Ghostbusters sort en 1984 et raconte comment trois acolytes chercheurs en activités paranormales se font virer de leur institut avant de fonder une brigade visant à traquer et capturer les fantômes de New York. Harold Ramis jouait le rôle du nerd-nerd investi de sa mission et fasciné par ses travaux, Dan Ayrkroyd était le nerd-naïf un peu neuneu mais également très impliqué et Bill Muray lui était le nerd-connard motivé par le succès, la richesse et la possibilité de séduire ses clientes en enchaînant sarcasmes et punchlines. Notre fine équipe parvient à faire ses preuves en capturant leur premier ectoplasme, sont confrontés au Ministère de l’Environnement qui leur met des bâtons dans les roues puis finissent par sauver la ville de la vengeance de Gozer, un dieu de la destruction. Rien que ça. Le film était une très bonne comédie teintée d’un univers mettant en avant des thématiques et des personnages qui parlaient alors aux nerds de l’époque. C’est donc très logiquement que ce film soit l’un des piliers constituant la culture geek actuelle : une imagerie bien à lui, une musique catchy au possible, des répliques cultes, tout pour garantir un succès aussi bien à court qu’à long terme. Sa suite Ghostbusters 2 n’a pas eu cette chance, mais je dirais qu’elle a eu ses bons moment pour rester poli. Celle-ci n’aura pas eu le rayonnement du premier film et pour cause la motivation de ses auteurs (l’équipe du premier film composée de Harold Ramis et Dan Aykroyd à l’écriture) n’était pas au beau fixe, peu envieux à l’idée d’exécuter un simple film de commande au lieu de partir sur d’autres projets. Naturellement, le projet d’un Ghostbusters 3, réclamé par les studio pour continuer à presser le fruit mais ralenti par nos deux compères qui avaient sérieusement envie de passer à autre chose, n’a pas abouti. Finalement les idées de scénarios ont fini par être utilisées dans l’excellent jeu vidéo Ghostbusters : The Video Game sorti en 2009. Un peu comme pour Alien Isolation, et de l’aveu même des scénaristes, c’est ce jeu vidéo qui prolonge la saga cinématographique. Et pour nous public, les choses en sont plus ou moins restées 3là. Et puis soudainement, la licence s’est mise à refaire parler d’elle aux alentours de 2010 pour rassurer les fans que « vous inquiétez pas, on y pense », la belle affaire. Le décès du regretté Harold Ramis aura énormément bouleversé tout projet de séquelle et c’est en 2014 qu’on nous confirmait alors que la licence Ghostbusters serait rebootée.

Nous voilà revenus en 2016, toujours à New York, une nouvelle équipe SOS Fantômes est formée par Abby, Jillian, Erin et Patty (respectivement Melissa McCarthy, Kate McKinnon, Kristen Wiig et Leslie Jones). Notre nouveau quatuor, comme l’original, parvient à faire ses preuves et à gagner en crédibilité auprès de toute la ville après une capture de fantôme réussie. A la manière de l’original, deux forces d’oppositions à notre groupe vont se développer dans le film, la première sera incarnée par la mairie elle-même, s’appropriant les mérites de nos chasseuses de fantômes tout en limitant leurs activités et l’autre sera l’équivalent de Gozer en beaucoup plus terre à terre. En effet, notre antagoniste n’est ici qu’un simple fonctionnaire sérieusement branché sciences occultes et apocalypse selon Saint-Rowan. Ingrat et trapu, Rowan North (Neil Casey) incarne ce stéréotype du scientifique timbré et qui souhaite prendre sa revanche sur une société dont il estime avoir été rejeté. Celui-ci a construit dans son laboratoire des « machines de film de fiction » à la logique discutable qui lui permettent en gros de canaliser en un point précis toutes les forces ectoplasmiques de New York. Je vous le donne en mille, il parvient à ses fins et SOS Fantômes est l’ultime rempart face à cette menace.

Rien de neuf sous le soleil, c’est même logique que le reboot d’une licence reprenne la structure de l’épisode fondateur donc c’est dommage d’un point de vue créatif (même s’il y a de la marge) mais, et on l’a vu avec Star Wars VII, c’est quelque chose d’hélas nécessaire pour renouer avec la partie « fan » de la cible du film. N’en déplaisent à ceux qui prétendent le contraire mais la nouveauté dans les grosses licences de ce genre n’est jamais bien vue ni récompensée par les défenseurs de l’œuvre originale. Et puis tout comme pour Star Wars VII à qui il avait été injustement reproché de n’être qu’un décalque du IV (on n’a pas dû voir le même film), inévitablement le film s’ouvre sur des suites qui n’auront rien à voir avec les suites de la série de base. Ghostbusters 2016 reprend donc le déroulement du Ghostbusters de 1984 mais tout se passe évidemment différemment. Les scènes d’actions sont largement plus percutantes et les situations comiques ne reposent plus sur les sarcasmes et punchlines de Bill Muray. Ce reboot de Ghostbusters dispose d’une excellente direction artistique dans ses effets spéciaux, c’était déjà le cas de l’original certes, mais c’est rassurant de voir qu’un travail de qualité a été apporté ici. Mis côte à côte les deux Ghostbusters se valent grâce au décalage de 30 ans qui les sépare, l’original était une très bonne comédie telle qu’Harold Ramis savait en écrire, autrement dit avec de l’humour dilué dans son sujet. L’ayant revu peu après la version 2016, j’ai quand même eu du mal à le considérer comme un chef d’œuvre indétrônable juste parce qu’il serait l’original. En qualité de film, j’estime que le nouveau est plus séduisant à bien des niveaux puisque d’une part il est ancré dans son époque et donc adressé à ses contemporains mais il est beaucoup plus riche puisque c’est ainsi que sont conçus les blockbusters de nos jours. Ne serait-ce que pour la scène finale beaucoup moins avare que le Ghostbusters de 1984 qui, sortie telle qu’elle aujourd’hui déclencherait l’incompréhension du public tant elle est chiche. Le passage du bibendum chamallow est toujours aussi saisissant dans sa mise en scène inquiétante, tour de force de Dan Aykroyd et Harold Ramis, mais son équivalent dans le reboot n’a pas à pâlir. Vraiment, tout ce que réussissait Ghostbusters 1984, son reboot le réussit également (mis à part l’innovation évidemment) et lui permet d’être un divertissement plus qu’honorable. Et je vais même vous dire, je trouve les personnages principaux du reboot bien mieux écrits que les précédents. J’aime beaucoup l’équipe originale de SOS Fantômes, mais à bien y regarder, Ray et Egon sont tels que je les décris plus haut mais très unidirectionnels dans leur rôle au sein de l’histoire. Winston (Ernie Hudson) arrive un peu plus tard et a quelques chouettes moments mais le personnage de Bill Murray, Peter Venkman, était le seul à apporter du relief à l’époque un peu comme la sauce samurai dans un kebab : c’est lui qui pique. C’est un personnage négatif dès ses débuts, c’est un charlatan que le film nous montre en train de séduire une étudiante, il voit tout avec cynisme et ne partage pas l’enthousiasme de ses deux collègues avant d’envisager la thune à se faire, il se comporte comme le dernier des creeps auprès de Dana (l’excellente Sigourney Weaver qui n’a ici qu’un rôle nul de personnage fonction), bref. Pourtant, il sort des punchlines mémorables et mène le quator, qui, sans lui, serait certes sympathique mais un peu terne. En opposition à ce que je viens de dire, les 4 membres du SOS Fantômes 2016 sont toutes très intéressantes et dotées de caractères qui paraissent classiques sur le papier, mais qui dans le déroulement du film offrent une réelle dynamique et une synergie constante. Si la première équipe faisait appel aux services d’une secrétaire (Annie Potts), ce nouveau Ghostbusters a eu l’idée géniale de 2confier à Chris Hemsworth le rôle d’un secrétaire complètement ahuri. Comme tout blockbuster actuel, ce reboot est bien plus dense que l’original et comporte donc beaucoup plus de punchlines ou de situations comiques. Si dans la majorité tout est très drôle, il tombe dans l’écueil des blagues pipi-caca à deux/trois reprises. On passe vite à autre chose, heureusement. Et puis ça va, dans le premier Ghostbusters dans la séquence musicale, Ray se fait sucer par une fantôme et haha trop drôle il louche. C’est suggéré mais c’est pour dire que c’était pas non plus la finesse incarnée. Autre aspect important sur lequel j’attendais cet épisode au tournant, c’était son utilisation d’une imagerie et d’une mise en scène horrifique pour la séquence finale telle que le passage de Bibendum Chamallow suscité qui a mouillé plus d’un pyjama à l’époque du premier épisode. De toute évidence, Paul Feig a été très sensible à cet aspect également et a su l’adapter à un Ghostbusters pourtant plus pop et coloré. Quand je vous disais que ce reboot réussissait tout comme l’original.

La démarche qu’entreprend Hollywood à vouloir rebooter ou faire des suites à toutes les licences juteuses mérite un questionnement complet. A l’échelle contemporaine, dirais-je, c’est offrir l’opportunité aux nouvelles générations de profiter d’une œuvre qui a certainement marqué les précédentes mais dont la forme serait incompatible avec ce qui se fait en ce moment. Je m’oppose fermement aux remarques à l’encontre des adaptations et remakes qui prétendent que « c’est un massacre de l’œuvre originale, c’est une insulte aux fans de la première heure, aucun respect du matériel de base, gnagnagna moimoi-j’ai-connu-à-l’époque-moimoimoi » : Exception faite pour la trilogie Star Wars, le matériel de base existe toujours à ce que je sache, c’est un comportement égoïste que de croire que la seule version qu’il suffirait pour une œuvre serait celle qu’on a eu le privilège de découvrir soit jeune, soit lors de sa parution. Ces œuvres originales sont encore accessibles et regardables et il est ridicule de s’opposer à ce que les gens aient le choix. Sans plus m’attarder sur une liste des remakes dressés aux rangs de chef d’œuvres (The Thing, Scarface, La Mouche, King Kong, Total Reca-attendez non) je pense qu’on a vite fait d’évacuer le faux problème du remake/reboot qui remplace l’original – toi par contre, Georges Lucas, il est un peu tôt pour souffler on ne t’a pas oublié. En revanche, à l’échelle culturelle (vu comme j’invente des échelles je vais abandonner l’audiovisuel pour devenir ingénieur), cette ribambelle de reboot/remake est une impasse créative. Il y a encore de la marge avant que l’industrie du cinéma y soit condamnée mais il faudra peut-être une nouvelle révolution culturelle comparable à l’émergence du Nouvel Hollywood pour que les décideurs cessent d’exiger à tour de bras des films de commande qui ne sont pas tant envisagés comme des œuvres de l’esprit que des retours sur investissement. C’est une solution de facilité qui ne peut être vertueuse que si les profits servent à financer des projets originaux et/ou plus risqués en grande proportion. Ghostbusters 2016 existe en partie pour ces raisons. Si le film de 1984 fut déjà un carton en son temps, il est resté l’un des films vedette de ce qui est devenu aujourd’hui « la culture geek » aux yeux des trentenaires aux côté de Retour vers le Futur, Star Wars, Jurassic Park, Star Trek et j’en passe, vous connaissez la chanson. La « culture geek » autrefois marginalisée est aujourd’hui une culture dominante et qui repose plus que jamais sur des logiques de 4marché. Aujourd’hui n’importe quelle réutilisation de ces licences trentenaires (ou plus) est une garantie de pognon facile, ce n’est pas une mauvaise chose mais c’est bien de le garder à l’esprit. Mais Ghostbusters est aussi un film que nous avons presque toutes et tous découvert quand nous étions enfants, et ceux d’aujourd’hui méritent leur Ghostbusters également, tâche dont s’acquitte parfaitement ce reboot.

Pour terminer, difficile de ne pas l’évoquer mais j’y consacrerai le peu de lignes que mérite cette stupide polémique : je suis ravi que le film soit réussi. Il n’est pas un chef d’œuvre mais je ne vois vraiment aucune raison de le trouver moins bon que l’original. Et c’est rassurant, car si ça n’avait pas été le cas, cela aurait donné raison à ce troupeau de gros bébés barbus qui voyaient déjà d’un mauvais œil la présence d’une femme comme héroïne principale de Star Wars VII mais pour qui un Ghostbusters entièrement féminin était définitivement la goutte de trop. Des raisons de se méfier d’un reboot, même de Ghostbusters, il y en a de très bonnes. Mais quand on voit que le trailer de Ghostbusters 2016 a eu une quantité record d’avis négatifs et de «pouce baissés » sur You Tube alors qu’au même moment cette crotte de Batman vs Superman soulevait à peine une réaction mitigée, cela traduit bien l’ampleur d’un problème qui est, je l’espère, en passe de se résoudre. J’en oublie, mais des films comme Mad Max Fury Road, Star Wars VII et Ghostbusters 2016 mettent en avant de vrais personnages féminins (en opposition aux « personnages fonctions » tels que les rôles d’intérêt amoureux ou de demoiselles en détresse) qui inspireront les jeunes filles, lesquelles seront probablement à l’avenir beaucoup moins stupides que les hordes de trou-de-balle réac qui ne veulent voir qu’eux et rien d’autre. A bien y réfléchir, la seule condition pour que ce Ghostbusters 2016 parvienne au niveau de l’original serait qu’il parvienne à avoir une influence comparable à moyen terme. Il ne pourra jamais marquer le cinéma comme Harold Ramis, Bill Muray et Dan Ayrkroyd le firent en 1984 mais s’il peut au moins marquer les générations d’enfants à venir, c’est tout ce que je peux lui souhaiter.

PS : Fuyez la VF qui ne rend vraiment pas honneur au travail des actrices. Les dialogues sont largement plus percutants en VO.

 


A propos de Nicolas Dewit

Maître Pokémon depuis 1999, Nicolas est aussi champion de France du "Comme ta mère" discipline qu'il a lui même inventé. Né le même jour que Jean Rollin, il espère être sa réincarnation. On sait désormais de source sure , qu'il est l'homme qui a inspiré le personnage du Dresseur "Pêcheur Miguel" dans Pokemon Rouge. Son penchant pour les jeux vidéoludiques en fait un peu notre spécialiste des adaptations cinématographiques de cet art du pauvre, tout comme des animés japonaises pré-Jacques Chirac, sans vraiment assumer. Retrouvez la liste de ses articles sur letterboxd : https://boxd.it/rNYIu

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