Beaucoup en ont parlé, très peu l’ont vu. Schlock, le premier film de John Landis, est ce que les anglo-saxons appellent un « cult film », qui se différencie légèrement de notre définition du film culte dans la rareté presque systématique de l’objet filmique en question. Voyage au cœur des premières singeries de Landis.
Cinéma Gorilla
Au début des années 1970, les débuts de John Landis, alors à peine majeur, ont été courts mais déjà impressionnants : après avoir travaillé au courrier pour la 20th Century Fox, puis à la régie de nombreux tournages avant de devenir assistant seconde équipe sur De l’or pour les braves (Brian G. Hutton, 1970), puis, d’abord en Espagne ensuite aux Etats-Unis, tantôt régisseur, tantôt cascadeur, quasiment jamais crédité au générique, pour Sergio Leone, Michael Winner ou Roger Corman. Son expérience et ses rencontres lui ont permis rapidement de mettre en route son premier long métrage, Schlock, qu’il finance en grande partie à l’aide de sa famille et de ses amis. A l’heure où le blockbuster s’apprêtait à devenir un genre cinématographique à part entière et où de jeunes auteurs comme Roman Polanski, Brian De Palma, Tobe Hooper et David Cronenberg étaient en train de révolutionner le cinéma d’horreur, Schlock mélange deux genres déjà largement passés de mode : le slapstick – tous les maîtres de ce sous-genre de la comédie étaient déjà décédés, Stan Laurel, Oliver Hardy, Buster Keaton, Fatty Arbucle, et les survivants vivaient une retraite paisible, de Charlie Chaplin aux deux membres restants des Trois Stooges – et le film de monstres – l’un des principaux sous-genres de la série B américaine des années 1930 au début des années 1960 et qui ne connaîtra plus de succès jusqu’au milieu des années 1990. Pour preuve, en voici le synopsis : dans une petite ville de Californie, de gigantesques massacres terrorisent les habitants. Les seuls indices dont dispose la police sont les peaux de bananes retrouvées sur les lieux des crimes, et a ainsi surnommé le mystérieux criminel le « tueur à la banane ». Il s’agit en réalité d’un singe préhistorique vieux de plusieurs millions d’années, que la police, une jeune fille aveugle et son petit ami vont essayer d’exterminer.
John Landis est le cinéaste par excellence : trop underground pour les grands studios, trop mainstream pour les plus petits circuits. C’est là que se trouve le « cinéaste » : ni un « auteur », ni un « faiseur », celui-ci est avant-gardiste dans le fond et classique dans la forme, ou vice-versa. Schlock est une œuvre formatrice autant qu’elle est fondatrice : sur la forme, Landis n’a pas particulièrement de marque de fabrique, il essaie d’être le plus transparent possible ; c’est dans le fond qu’il est bien plus acerbe, sous couvert d’un humour exubérant. Derrière ses agents de police débiles, son couple BCBG qui assiste à la chute du singe, son animateur de télévision, il installe déjà ses sujets favoris, polémiques s’il en est, comme la justice ou la télévision, qu’il continuera à fustiger tout au long de sa carrière comme dans Les Blues Brothers ou Hamburger Film Sandwich. Avec cet humour un peu lourd qui rappelle inévitablement les ZAZ avant l’heure (il coécrira son film suivant avec eux), Landis cache déjà dans Schlock (en plus de se cacher littéralement lui-même dans le costume de Schlock) quelques-unes des séquences les plus drôles de sa filmographie, et qui sont tout à fait politiques (le jeu concours en direct de la scène du crime, l’énorme référence au 2001, L’Odyssée de l’Espace (1968) de Kubrick, la séquence de la salle de cinéma…).
Certes, Schlock est un film bourré de défauts, mais, comme beaucoup des films de cette période et réalisés pour être exploités dans le même type de circuit, il a beaucoup de charme. Les acteurs ne sont pas aussi bons qu’ils sont drôles, la musique, pourtant importante chez Landis, reste très didactique et largement en retrait (à l’exception d’une scène d’anthologie où Schlock accompagne au piano un musicien aveugle pour jouer un boogie endiablé), les décors sont cheap… Malgré tout, Schlock reste un véritable moment de cinéma, ce type de moments qui vous transporte immédiatement quarante ans plus tôt, dans une autre ambiance, dans un autre temps. Le premier film de John Landis est aussi celui dans lequel le futur grand Rick Baker est pour la première fois créateur et responsable des maquillages et effets spéciaux : son costume de Schlock reste, pour un film de si petite envergure, l’une des créations les plus impressionnantes du cinéma bis et reste le grand atout charme du film. L’humour désuet et subversif, les maquillages et costumes, le scénario qui balance constamment entre parodie et hommage, mais aussi les défauts de Schlock font de ce premier effort, plus encore qu’un « cult movie », le grand chef-d’œuvre, malheureusement méconnu, du cinéma de drive-in.