A la recherche de l’Ultra-Sex 1


C’est à l’occasion des trente ans de la chaîne Canal+ que les auteurs de la cultissime émission « Message à caractère informatif » sont revenus aux affaires pour parodier vingt ans de cinéma pornographique dans un détournement hilarant. Après une diffusion sur la chaîne cryptée, le film a eu le droit à une brève exploitation en salle.

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Message à caractère pornographique

En l’an de grâce 2015 ou Canal+ fête ses trente ans, il est très étrange de constater, en remontant le temps et en feuilletant, comme il convient, les vieux albums à souvenirs, que l’identité de Canal+ n’a plus rien à voir avec celle qui était la sienne hier. Pas de bol(orré) les jeunes, je vous parle d’un temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître. Je vous parle d’un temps, en effet, où Nul Part ailleurs et sa folie n’avaient pas encore été remplacés par la fadeur soporifique du Grand Journal. Un temps ou l‘humour canal – comme on le nomme communément – était d’abord celui des Nuls, de Groland puis de South Park ou de la mythique sitcom H. Un temps où l’on pouvait voir du football autre part que sur les chaînes qataries. Un temps où l’on pouvait voir du porno que le premier samedi du mois et pas dans tous les recoins d’internet et de NRJ12. Un temps où la direction de la chaîne ne remettait pas en cause l’humour caustique des Guignols. Un temps où Canal+ assumait son image de chaîne de la gauche caviar et agitait le bocal en proposant une autre télévision, privée mais irrévérencieuse, loin du pouvoir, des conglomérats et des conflits d’intérêts avec les hommes politiques et la famille Rothschild. Aujourd’hui, trente ans après, il n’en reste plus grand chose. Cette grande fête d’anniversaire tombe au moment où le groupe vit une révolution intérieure sans précédent qui effrite considérablement son image de décalée du paf à l’identité cryptée. Alors qu’elle a diffusée sur son antenne, lors de soirées événements, des grandes rétrospectives mettant en avant d’innombrables archives de ses mythiques programmes : difficile de croire à l’esprit de fête qui anime la chaîne. Comment fêter l’esprit Canal+ à grandes pompes quand celui-ci n’existe plus ? Cet article n’ira pas plus loin dans ce débat, il faudrait décortiquer d’avantage l’organisation des médias, tirer à boulets rouges le-premier-samedi-du-mois-j-ai-assiste-a-la-projection-du-message-a-caractere-pornographique,M244553sur les décideurs financiers qui les dirigent, et nous ne le ferons pas, car Intervista appartient sûrement aussi, sans qu’on le sache, de prêt ou de loin, au groupe Bolloré. Mais cette digression me permet simplement de re-contextualiser la sortie du film dont il est question ici.

Réalisé, donc, dans le cadre des trente ans de la chaîne, célébrant l’identité de Canal+ réputée à l’origine, qu’on le veuille ou non, comme étant « la chaîne du foot et du porno », A la recherche de l’Ultra-sex est aussi un retour aux affaires de deux des amuseurs les plus cultes des grandes années Canal, Nicolas et Bruno, auteurs de détournements hilarants de films institutionnels pour le programme-court Message à caractère informatif. Rappelons au passage que la tradition du détournement fait partie de l’esprit Canal. Les Nuls s’en donnèrent à cœur joie dans leur émission et c’est sur cette même chaîne que Michel Hazanavicius et son complice Dominique Mézerette ont réalisé certains des plus célèbres détournements : les courts-métrages Derrick contre Superman (1992) et Ça détourne (1992) – détournement d’une autre émission culte de Canal+, aujourd’hui malheureusement disparue, Ça Cartoon ! – et l’indétrônable La Classe Américaine : Le Grand Détournement (1993) que des millions de jeunes français, dont nous bien sûr, pourraient réécrire absolument l’ensemble des dialogues de tête, sans fautes de ponctuation ou de conjugaison. A la recherche de l’Ultra-sex marche dans les pas du film de Hazanavicius, son format long – le film est un vrai long-métrage, d’une heure et vingt minutes – tente, comme dans La Classe Américaine, d’inventer une véritable nouvelle histoire à partir de différentes sources, empruntés à différents films pornographiques des années 70 à 80, redoublés – avec la bouche, comme ils disent – par nos deux réalisateurs et leur gouaille légendaire.

L’histoire n’est pas tout aussi simple que celle d’un vrai film porno. On y suit un équipage tout droit sorti de Star Trik, dirigé d’une poigne de fer par le capitaine Zgeg, qui doit se mettre en chasse à travers l’espace pour retrouver l’Ultra-sex. Son vol par des voyous du crime a propagé sur terre une vague de frénésie sexuelle. Tous les terriens sont ainsi pris d’une envie démentielle de baiser, en toutes circonstances. Pour réaliser le film, Nicolas et Bruno ont dû consulter des spécialistes des films pornographiques de cette période – je vous laisse vous faire vous-même un portrait robot de ce genre d’individus – et visionner eux-même plus de cinq-mille heures de films de boule parmi les plus étonnants et déroutants qui soient. Ainsi aux détours d’extraits – qui, vous l’aurez compris, parviennent à former une fois redoublés, une seule Message-a-caractere-pornographique-interlude_gauloise-de-nuitshistoire cohérente – on découvre une épreuve de patinage artistique avec option kamasutra ; un ersatz de Bioman ou autres Power Rangers où l’héroïne, avant de se transformer dans sa combi-fluo de ninja passe forcément par la phase nudité intégrale ; ou bien encore, des films japonais très étonnants, où les filles se font attaquer, attacher et violer par des câbles péritel et téléphoniques très vivaces et vicieux. On notera par ailleurs l’espèce de parodie d’Edward au Mains d’argents (Tim Burton, 1990) où l’on découvre qu’Edouard n’a cette fois pas des ciseaux à la place des mains, mais bel et bien des organes génitaux… Sans oublier, bien sûr, pour finir, le clou du spectacle, la crème de la crème, le summum du bon goût : la version sexe-nasal de Cyrano de Bergerac, dont le nez n’est ni un pic, ni une péninsule, mais un énorme chibre qui vous fera faire des cauchemars érotiques inédits.

Il n’y a pas à tortiller du cul – pour rester dans le thème – même si la formule s’use quelque peu au fur et à mesure que les minutes s’égrainent, ce patchwork d’extraits les plus what the fuck de la production pornographique des années 70 et 80, doublés avec l’habituelle inventivité du duo pour manier l’humour absurde et la punchline, est profondément hilarant. Les réalisateurs avaient pour ambition de nous faire rire-sexe ? C’est réussi puisqu’on en ressort avec une grosse banane.


A propos de Joris Laquittant

Sorti diplômé du département Montage de la Fémis en 2017, Joris monte et réalise des films en parallèle de son activité de Rédacteur en Chef tyrannique sur Fais pas Genre (ou inversement). A noter aussi qu'il est éleveur d'un Mogwaï depuis 2021 et qu'il a été témoin du Rayon Bleu. Ses spécialités sont le cinéma de genre populaire des années 80/90 et tout spécialement la filmographie de Joe Dante, le cinéma de genre français et les films de monstres. Retrouvez la liste de ses articles sur letterboxd : https://boxd.it/sJxKY


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