Attendue au tournant, cette première saison de l’adaptation de la saga Scream au format télévisuel surprend tout en ne parvenant jamais à faire oublier son illustre modèle. Voici donc un décorticage, sans aucun spoiler, promis-juré-craché.
#Whoisthekiller?
Comme une ironie du sort, l’épisode final de la série télévisée produite par MTV et adaptée de la saga à succès Scream (1996-2011) a été diffusée quelques jours seulement après la mort de Wes Craven. Les plus ricaneurs diront que la révélation, en avant-première, de l’identité du/des tueur(s) – pas de spoilers, je brouille les pistes – lui aurait filé un infarctus direct. D’autres qu’il aurait préféré rejoindre par lui même les limbes, plutôt que d’assister au massacre de son œuvre. Ou plus encore, qu’il n’aurait pas supporté que MTV – chaîne révolutionnaire à sa création devenue celle d’une jeunesse américaine branchouille et décadente – en vienne à exploiter les filons d’une saga, qui, en son temps déjà, dénonçait non sans une certaine ironie les travers de la débilisation de la société américaine par les médias et le cinéma. Rien de tout ça. Non, rien d’aussi terriblement romantique. C’est simplement le cancer qui a emporté ce bon vieux maître de l’horreur. Voilà tout. Sa mort nous rappelle ainsi, bien malheureusement, qu’elle est peut-être la première d’une longue série, puisqu’il faut bien s’y résoudre, un jour ou l’autre, la grande faucheuse, génitrice de tous les boogeymens, tueuse en série originelle, finira bien par prendre la main de tous ses amants d’un soir – les Hooper, Carpenter et j’en passe – qui lui ont permis de mettre au monde des tas de rejetons cinématographiques. Celui à s’être le plus acoquiné avec la grande dame est sans nul doute Wes Craven, car c’est à lui que l’on doit la paternité d’au moins deux boogeymens parmi les plus célèbres : l’inoubliable Freddy Krueger bien entendu, mais aussi et bien sur, la somme de tous, le petit dernier de la famille, le fameux Ghostface de la saga Scream. Avec ces films ultra réflectif sur le genre – ce que l’on nomme communément méta – Wes Craven a littéralement dynamité le genre au point que les Scream signèrent à la fois, l’apogée et la mort du sous-genre du film de boogeymen. N’hésitant pas à se jouer des codes jusqu’au lisière de la parodie, ils en décortiquent les mécanismes, les dévoilent, les moquent, et les explosent. Ainsi sous leurs aspects de pochades et de films pour adolescents un brin décérébrés, les films de la saga Scream atteignent en cela des sommets d’intelligence, bien aidé par le petit plaisir coupable que prend Wes Craven à s’auto-parodier et à revenir aux affaires, sourire en coin, pour montrer que personne d’autre ne sait mieux expliquer un tour de magie que le magicien lui même.
La crainte que pouvait avoir les fans du réalisateur et de sa saga mythique autour de la mise en chantier de cette série était bien légitime. D’autant plus lorsque l’on sait qu’elle est produite sous l’égide de la chaîne de télévision MTV, à qui l’on doit probablement aujourd’hui le record aux Etats-Unis du plus grand nombre d’absurdités et ignominies véhiculées par minute – si l’on excepte tout de même FoxNews. Difficile en effet d’imaginer cette chaîne tirer à boulets rouges sur la génération Spring Breakers – des étudiants branchés des facs américaines, issus principalement des classes aisées – alors même qu’il s’agit de son audimat principal d’une part, mais aussi de la population qu’elle met majoritairement à l’antenne dans ses télé-réalités tellement affligeantes de bêtise qu’elle ferait passer notre Secret Story pour une émission de Secrets d’Histoire. Soyez-en assuré, si cet article ne mitraillera pas bêtement une série qui, il faut bien le dire, est une très bonne surprise, il ne manquera pas de tenir responsable la chaîne et sa ligne éditoriale de la plupart des défauts de cette adaptation. Car oui, cette première saison de Scream surprend à plusieurs niveaux. D’abord de part son scénario. En effet, la multiplicité des épisodes offerte par le format, densifie bien sûr les personnages mais aussi l’enquête policière, déjà au centre des films, qui trouve ici une belle énergie de polar. Mis d’avantage à contribution, le spectateur se surprend, dix épisodes durant, à enquêter lui-même, relever les indices, émettre des suppositions, comme s’il jouait à une version vidéo-ludique du Cluedo. Bien écrite et s’appuyant sur des personnages stéréotypés mais tous intriguant et spéciaux, la série parvient à surplomber les films sur plusieurs points, profitant de sa durée pour pousser à l’extrême certains des concepts scénaristiques forts de la saga. Par exemple, la malice du scénario du premier film qui lance les spectateurs sur des fausses pistes, distillent des faux-indices pour lui faire croire qu’un tel ou un tel pourrait bien être le tueur est largement ré-employée, devenant un leitmotiv parfois déroutant – on s’agace régulièrement d’avoir été encore une fois baladé par les scénaristes – mais terriblement addictif et participatif. Pas étonnant en cela que MTV, qui se veut comme une chaîne jeune et connectée, ait senti le pouvoir participatif des hashtags tels que #KylianistheKiller, #ItisAudrey et tant d’autres – tous les personnages de la série sont à un moment ou un autre, des suspects idéaux donc hashtag-ables – qu’elle implante à même l’image et souvent plus à tort qu’à raison. Car oui, malheureusement, l’identité de la chaîne déborde un peu trop sur la série, au point souvent d’agacer et de jouer véritablement en sa défaveur. Chaîne à vocation musicale depuis sa création, elle tartine les épisodes de musiques pop totalement hors de propos, ne manquant pas par ailleurs d’afficher, comme dans un vidéo-clip, la petite barre en bas de l’écran spécifiant le titre de la chanson et le nom de son interprète. Ce systématisme frise le ridicule et agace, certaines séquences deviennent des juke-box, des encarts promotionnels, et aucun effort d’intégration un tant soit peu intelligent n’est effectué pour rendre la chose moins austère. On aurait pu tout à fait imaginer que ces références musicales soient traitées comme des musiques diégétiques, mais elles ne sont que des nappes jetées ça et là sur les scènes, aussi gratuitement qu’on ajouterait le logo d’une marque de vêtement sur le blouson d’un comédien, ou une marque de smartphone bien en évidence, aux détours d’un gros plan.
Pour le reste, on acceptera néanmoins que l’esprit de la saga perdure dans ses grandes lignes : drames familiaux, vengeances, meurtres inventifs et sanglants, personnages troubles et le fameux tueur au masque qui pour le coup est considérablement plus effrayant dans ses nouveaux atours. Par ailleurs, s’il n’est pas pleinement employé, l’esprit méta perdure un petit peu – il disparaît d’épisodes en épisodes – notamment via le personnage de Noah, geek surréaliste capable de pirater des logiciels cryptés et qui par dessus le marché, est une sorte de double de l’un des tueurs du premier volet puisqu’ils ont pour caractéristique commune d’être des fans absolument incollable sur le cinéma d’horreur. Dans le premier épisode Hello, Emma ! ce dernier explique qu’une série ne peut pas être basée sur un slasher car par essence cela doit être rapide et sans concessions. On s’amuse de cette auto-dérision qui rappelle bien sûr celle que maniait Wes Craven dans les films originaux, mais elle ne sert que de caution, délivrée au départ pour satisfaire le chaland, avant que l’intrigue ne s’abandonne à d’autres considérations plus mélodramatiques, perdant tout bonnement toute once d’humour et d’auto-dérision. Ce qui pourrait être considéré comme un défaut, parvient finalement à surprendre, puisque la série Scream réussit tout de même le tour de force d’utiliser une franchise réputée pour avoir tué dans l’oeuf le genre et expliqué tous ses mécanismes scénaristiques, tout en parvenant à tenir en haleine le spectateur pendant plus de dix épisodes et à surprendre par son cliffhanger. N’ayant pas la prétention de tuer le genre comme son illustre modèle, la série a plutôt comme objectif de lui redonner sa superbe en réactualisant les codes et les enjeux, profitant de son nouveau format. Alors si les codes sont peut-être éculés, on est bien forcé de constater qu’ils fonctionnent toujours à merveille.