Le premier a été réalisé en 1973 pour la télévision par un dénommé John Newland qui connu une seconde vie en vidéo, donnant aux millions de jeunes gens devenus grands un moyen simple de revivre leurs peurs de mômes en revoyant ce petit film d’épouvante devenu avec le temps un brin kitsch mais culte. Le second quant à lui, est le remake du premier – le titre anglais de la version d’origine était déjà Don’t Be Afraid of The Dark – made in Hollywood et trusté par une réécriture complète du scénario par le visionnaire Guillermo Del Toro. Mais lequel des deux tire finalement son épingle du jeu ?
Round 1: le scénario
Avec la version de 1973, ce qui marque les esprits plus que la qualité de sa réalisation, c’est son histoire, sorte de relecture moderne du mythe du croquemitaine. Dans cette version originale, un couple emménage dans une vieille maison chargée d’histoires, et pas des plus réjouissantes. Le vieux jardinier et homme à tout faire de la baraque leur avait pourtant dit de ne pas ouvrir la cheminée qu’il avait lui même condamnée des années avant. La femme du couple, Sally, se retrouve alors harcelée nuit et jour (mais surtout nuit) par des créatures de l’ombre – d’où le titre français – qui veulent l’amener avec eux. Sur ces bases, le film n’ira jamais dans la psychologie et déroulera les scènes les unes après les autres avec le souci d’en finir. Une fois repassée entre les mains de Guillermo Del Toro, si les scènes clés sont conservées, l’histoire gagne en intensité dramatique, en poésie mais surtout se constitue une agréable mythologie de conte de fées macabre, dans la droite lignée du Labyrinthe de Pan. Del Toro a aussi la bonne idée de faire de Sally, non plus une adulte insupportable, mais une jeune enfant un brin étrange qui n’est pas sans rappeler une certaine Esther ou le petit Danny de Shining. Bien qu’il s’évertue davantage à expliquer le drame familial qui tourmente la jeune fille, le scénario de Del Toro l’emporte donc haut la main puisqu’il transfigure le simple film d’épouvante en un film fantastique et sombre à la mythologie cohérente.
Round 2: les acteurs
De ce côté là, la version télévisuelle de 1973 ne peut guère faire le poids, avec son casting d’inconnus ou presque, seul le rôle principale de Sally est interprétée par Kim Darby qui n’est autre que la jeune Mattie Ross de Cent dollars pour un shérif (la version originale de True Grit, en 1969) et malgré ce film au C.V., sa prestation est clairement ridicule. Pour le reste, le casting est composé d’acteurs plus que moyens qui ont écumé la télévision américaine de fond en comble et qui ne parviennent jamais à convaincre; pire encore, on frôle parfois le ridicule tant les interprétations sont à côté de la plaque. Alors en face de ça, le remake de 2011 l’emporte encore une fois, avec son couple d’acteurs un peu plus célèbres – Katie Holmes et Guy Pearce – et une jeune actrice à suivre, la petite Bailee Madison qui interprète ici une préoccupante gamine. Le remake gagne aussi en force visuelle avec ses créatures numériques qui remplacent les pauvres acteurs trop mal grimés de la première version.
Round 3: la technique
Marquée au fer rouge par son époque, la version de 1973 fait immédiatement penser à des dizaines d’autres productions du genre, lorgnant autant du côté du meilleur de Dario Argento – lumière bleue et rouge inside – que du pire du cinéma bis américain. Délicieusement kitsch et pêchant clairement de son manque de moyens et d’ambition, le film n’hérite jamais d’une aura considérable, restant constamment au rang de petit film télévisuel à la mise en scène aseptisée, recyclant maladroitement les codes d’une dizaine de sous-genres du cinéma d’horreur. On pense à ces films étranges, hybrides, à la lisière du fantastique et de l’horreur qui fleurirent en masse dans les années ’70, comme Chromosome 3 (David Cronenberg, 1979). Mais voilà, réalisateur de télévision, John Newland n’a pas le talent visionnaire de David Cronenberg, et le média pour lequel le film a été façonné amoindrit l’audace et la prise de risque. Le film est comme figé dans une monoforme sans contour et sans aspérité qui ne pêche ni par ses défauts ni par ses qualités, mais simplement par son manque apparent de caractère. On a déjà vu ça dix fois, on pense d’ailleurs souvent à ces formes d’horreurs télévisuelles telles que Les Contes de la Crypte, dont Les Créatures de l’Ombre aurait très bien pu être l’un des nombreux épisodes. Alors puisque le souci réel de cette version d’origine est clairement son manque de caractère, l’idée qu’un visionnaire à l’univers fourmillant d’idées et d’images comme Guillermo Del Toro puisse s’atteler au remake était fort alléchant. Ce qui est clair, c’est que la version de 2011 hérite clairement de l’univers visuel de son scénariste, mais pas de sa maestria technique puisque ce dernier n’est pas à la réalisation. C’est le jeune Troy Nixey qui s’en charge, jusqu’alors inconnu au bataillon, le mec n’avait signé qu’un court-métrage déjà fort remarqué. Pas grand chose à dire sur son travail, le job est assuré, à la hauteur des ambitions du scénario que Del Toro a probablement choisi de ne pas réaliser car il en voyait clairement les limites. Le produit qui en résulte est un objet hollywoodien sans grand relief, mais qui dispose toutefois d’un peu plus de gueule que la version télé et qui luit un peu plus loin que la plupart des films du genre, grâce aux petites lucioles que Del Toro a placé çà et là, pour rappeler son style et sa personnalité.
Verdict
Le match partait irrémédiablement sur des bases inégales, c’est donc clairement le remake de Troy Nixey qui mérite le plus des deux qu’on y porte un coup d’oeil. Le premier est devenu un petit film culte dans la culture populaire, malgré sa qualité plus que moyenne, mais c’est probablement là tout son charme. Le remake, lui, aura étonnamment dû se contenter d’une sortie vidéo en France, sans passer par l’exploitation en salles, et ce malgré un bon résultat aux Etats-Unis. Si le film n’est pas un chef d’oeuvre, il réussit à être beaucoup plus intéressant que la plupart des productions du genre que l’on nous propose sur les écrans. Une injustice, donc.
La version de 1973 est certes kitch mais énormissime! Je l’ai découverte il y a pas longtemps et j’ai vraiment trouvé que quelque chose de malsain se dégageait de ce film. Le rôle de Sally, s’apparente à une femme-enfant (très nive, curieuse, craintive,…) d’où peut être le choix de Del Toro dans la version de 2011 de prendre une enfant pour le rôle principal?
En tout cas, je pense qu’il faut voir les deux!