Ils étaient dix


Déjà disponible sur Salto et prochainement sur M6, Ils étaient dix propose une énième adaptation de l’œuvre d’Agatha Christie version slasher, avec derrière la caméra un Pascal Laugier en petite forme.

Dans la jungle, accroupi, Samuel Le Bihan est sur ses gardes, un revolver dans la main droite ; scène de la mini-série Ils étaient dix.

                                      © Tous Droits Réservés

Un Koh-Lanta un peu spécial

Près de herbes hautes, Manon Azem les mains sur les hanches affiche une moue ennuyée, derrière son épaule gauche, Matilda Lutz regarde dans la même direction, vers le sol ; plan issu de la mini-série Ils étaient dix.

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Ça y est, les chaînes françaises se réveillent et se décident à entrer dans la folle danse du streaming. Depuis octobre dernier, la plateforme Salto propose de revoir les séries, films, téléfilms et émissions de téléréalité diffusés à la télévision, avec en prime quelques contenus inédits provenant notamment de Hulu (le concurrent américain de Netflix). Et niveau genre, il y a quand même quelques trucs à se mettre sous la dent. Notre regard s’est immédiatement posé sur Ils Étaient Dix, non pas qu’on soit des fans inconsidérés de la romancière anglaise à succès Agatha Christie, mais parce que Pascal Laugier est à la réalisation. Temps de pause. Laugier réalise une série pour M6 ? Étant donné le taux d’hémoglobine et la brutalité de sa filmographie (Martyrs en 2008, Ghostland dix ans plus tard…), on se demande comment le maître va apposer sa patte à une œuvre déjà adaptée mille fois – la plus récente remonte à 2015 sur la BBC –, mais surtout quel va être le niveau de violence toléré pour une diffusion sur une chaîne hertzienne. Les scénaristes Bruno Dega et Jeanne Le Guillou ne sont quant à eux pas du milieu horrifique, plutôt habitués aux fictions télé et films comiques. Le casting a en revanche l’air alléchant puisqu’on y retrouve entre autres Samuel Le Bihan, Romane Bohringer, et Matilda Lutz qui a su s’imposer comme la final girl dans Revenge (Coralie Fargeat, 2017). Sera-t-elle l’ultime survivante ici aussi ?

Ils étaient dix est une adaptation libre du célèbre roman de 1940 (les fameux Dix Petits Nègres depuis rebaptisé comme tel en 2020). Huit personnes sont invitées sur une île isolée des Antilles (exit l’Angleterre), sous prétexte de vacances/travail/rencontre, etc. À leur arrivée, seuls deux employés sont présents sur l’îlot, incapables de dire pour qui ils travaillent. Les jours passent, sans réseau téléphonique, sans nouvelles de personne ; les dix comprennent qu’ils se sont faits embarquer dans un traquenard. Certes ils ont un hôtel à leur disposition, mais ni eau potable ni nourriture. La tension monte, les disputes commencent, la méfiance s’installe jusqu’à ce que l’un d’entre eux soit assassiné. Puis un deuxième. Puis un troisième, etc. À chaque mort, un message s’affiche sur l’écran d’ordinateur de la réception : tous seraient coupables d’un crime et auraient été envoyés sur l’île pour payer leur sentence. S’entame alors la foire aux soupçons et aux délires paranos, qui est le tueur ? Bonne nouvelle pour ceux qui ont déjà lu le roman de Christie le plus vendu au monde, les personnages en sont suffisamment éloignés pour ne pas faire deviner l’identité du tueur. Le suspense devrait donc être à son comble pour les novices comme pour les connaisseurs… Si tant est qu’on soit motivé pour atteindre le dernier épisode. Il n’y en a que six, de 50 minutes chacun, mais que c’est long ! Ça fait presque 6h de contenu pour un livre de 250 pages, alors l’intrigue est étirée à outrance.

Romane Bohringer menace avec un bout de verre un jeune homme et une jeune femme qui tentent de la calmer dans la mini-série Ils étaient dix.

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Au lieu de développer un peu plus le côté survival et les échanges humains en milieu hostile, les scénaristes ont fait le choix de recourir à des flashbacks poussifs et incessants sur tous les personnages. On se croirait dans Lost (J.J. Abrams, 2004-2010) mais en pire. Certes c’est une manière comme une autre de révéler les crimes de chacun, mais ces flashbacks sont tellement longs qu’ils en viennent à éclipser l’intrigue principale sur l’île. Ce va-et-vient entre passé et présent nous déconnecte complètement des enjeux de survie et de la violence des meurtres (qui restent très softs, comme on s’y attendait). Et le problème de rythme s’aggrave encore plus quand vient s’y rajouter l’enquête de la police locale. La continuité spatio-temporelle est anéantie, et notre envie de continuer à regarder aussi. Si au moins les personnages étaient travaillés, et si les acteurs avaient de vrais dialogues à jouer, hélas ils sont malheureusement presque tous stéréotypés et antipathiques. La révélation finale du tueur quant à elle est une bonne surprise au premier abord, puis on réalise vite que rien ne tient la route dans ses explications et sa motivation… Décidément, c’est l’hécatombe. Même un réalisateur de talent comme Laugier ne peut pas sauver une écriture aussi mauvaise, et ne peut surtout pas faire ses preuves avec si peu de potentiel scénaristique. On ne reconnaît pas du tout la patte du metteur en scène, mais on se croirait devant une sitcom réalisée par un mec lambda. Quel dommage.


A propos de Emma Ben Hadj

Étudiante de doctorat et enseignante à l’université de Pittsburgh, Emma commence actuellement l’écriture de sa thèse sur l’industrie des films d’horreur en France. Étrangement fascinée par les femmes cannibales au cinéma, elle n’a pourtant aucune intention de reproduire ces méfaits dans la vraie vie. Enfin, il ne faut jamais dire jamais.

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