Présenté en 2019 au Festival de Cannes dans la catégorie Cannes Classics, The Doors s’offre une version restaurée 4K, couplée à un Final Cut encore inédit jusqu’à présent, et éditée par StudioCanal. L’occasion de (re)découvrir ce morceau assez surprenant dans la carrière d’Oliver Stone, et qui, depuis 1991 – année originelle de sa sortie – est toujours aussi fascinant dans sa vision de toute une génération des États-Unis.
Forever Stone
Sur le papier, il est assez surprenant de découvrir Oliver Stone s’intéresser à la vie tumultueuse du groupe de rock’n’roll The Doors, et plus particulièrement à son leader Jim Morrison. Le réalisateur américain, connu pour son engagement politique invétéré, venait d’être doublement oscarisé pour Né un 4 juillet (Oliver Stone, 1989) et s’apprêtait à sortir JFK (Oliver Stone, 1991) à la fin de l’année, deux œuvres particulièrement importantes dans sa carrière et qui traitent de sujet encore vivement présents dans les mémoires de l’époque, la Guerre du Viêt Nam et l’assassinat du président Kennedy. En réalité, ce qui peut sembler comme une parenthèse musicale entre ces deux futurs chefs-d’œuvre, ne l’est jamais et se révèle être le cri de toute une génération, détruite par un pays qu’elle ne tolère plus. The Doors retrace dix ans de la vie de Jim Morrison, mais s’ouvre sur ses derniers instants, quelque peu avant son décès, lors d’un enregistrement de ses poèmes qui seront utilisés pour l’album posthume An American Prayer : Jim Morrison. Ce choix permet de commencer le long-métrage par un cut au noir, où la voix de Jim Morrison semble s’adresser directement au spectateur, avec des phrases énigmatiques et presque chamaniques, parlant concrètement du fait qu’il faille s’installer car « cela va commencer ». Cette incarnation d’un Jim Morrison en ersatz de chaman est largement appuyée par les choix de narration et de mise en scène par la suite. Un statut qui ne quittera plus le personnage, arborant dans la fin de sa vie une allure christique, barbe et cheveux longs étant de rigueur.
Durant The Doors, cette impression de découvrir un jeune Christ, accompagné de ses fidèles et prônant leurs valeurs et visions du monde par le biais de chansons à leur auditorium ne quittera jamais l’esprit des spectateurs. Oliver Stone fait de Jim Morrison un Jésus Christ qui aurait foiré. L’erreur de programmation ne venant pas tant de l’homme en lui-même, mais davantage du monde qui l’entoure. Tout le long-métrage n’existe que pour une finalité, qui n’est malheureusement pas la dernière, le cinéaste préférant accompagner les spectateurs jusqu’à la tombe de Morrison plutôt que de les laisser sur un moment hors du temps, mais terriblement enclavé dans l’histoire des États-Unis. Cette séquence est celle où Jim Morrison, entouré de ses proches et après avoir été jugé coupable pour quelques délits d’obscénités, déclare : « Je crois que je fais une dépression nerveuse ». Le personnage se perd dans ses pensées, et les quelques plans de remontrances par ses collaborateurs sont espacés par des images d’archives de la guerre du Viêt Nam, de Charles Manson, de Nixon, de l’assassinat de John F. Kennedy, ou encore des luttes contre la ségrégation. Durant ce court instant, Jim Morrison porte sur ses épaules les remords de toute une génération, qui pèsent bien trop lourd pour son simple corps de mortel. L’homme que l’on idolâtrait, et que beaucoup percevaient comme un guide à travers l’obscurité d’une décennie douloureuse – en injustices, massacres et guerres sociales – s’écroule devant les yeux des spectateurs. Tout d’un coup, c’est trop pour lui. Il est dommage que The Doors persiste, durant quinze minutes supplémentaires, à vouloir narrer quoi que ce soit, tant il vient de tout dire. La réponse à la question de ce qui intéresse Oliver Stone dans la vie de Jim Morrison, c’est justement la perception de son œuvre artistique par les jeunes américains comme un échappatoire à la dure réalité qui les entoure, les drogues dont s’imbibent artistes et adulateurs étant le lien sacré dans ce serment que l’un fait à l’autre, et réciproquement. Jésus Christ est mort à 33 ans. Jim Morrison, lui, a 27 ans et laissant l’impression d’avoir plié le genou devant les maux du monde, qui réussissent l’exploit de le désinhiber et le ramener à une réalité qu’il ne pouvait supporter. The Doors dresse le portrait d’une génération en quête spirituelle, passant par l’alcool, le sexe, les drogues, les arts et le rock’n’roll pour échapper aux dangers d’un monde en plein changement. Ils sont comme des adolescents qui se réfugient dans leur chambre afin d’échapper à leurs parents et qui, dans un dernier geste contestataire, claquent leur porte en signe de mécontentement.
Avant d’arriver à cette séquence charnière, Oliver Stone s’amuse, par les faits réels de la vie du groupe, à préparer l’arrivée de ce moment. La mise en scène du cinéaste se joue de l’esprit chamanique qui se dégage de son personnage principal, alternant, par l’image et le son, les apartés où Jim Morrison semble sortir de son corps pour constater les faits et gestes des personnes qui l’entourent. C’est le cas lors d’un concert à San Francisco où il vagabonde dans la foule, regardant les visages des fans venus l’écouter, tout en jouant l’une de ses chansons sur scène. Oliver Stone travaille la transparence et joue sur la notion d’esprit, faisant apparaître à plusieurs reprises des Amérindiens, que le jeune chanteur aurait vu lors d’un accident de voiture plus jeune. D’ailleurs, Val Kilmer, interprète de Jim Morrison, trouve sûrement l’un des plus beaux rôles de sa carrière, étant complètement transpercé par l’esprit du chanteur et offrant des séquences de concerts hallucinantes. Dans le rôle de la petite amie Pamela Courson, Meg Ryan trouve un rôle à contre-emploi, s’éloignant très loin de l’image de Quand Harry rencontre Sally (Rob Reiner, 1989). Tous les deux portent The Doors jusqu’au sommet, où même des acteurs de la trempe de Kyle MacLachlan et Frank Whaley peinent à exister à leurs côtés. En plus d’être un réel long-métrage engagé d’un réalisateur qui l’est tout autant, The Doors est un grand film d’acteur où la simple performance dépasse l’entendement et se révèle être l’important du spectacle.
Pour cette version restaurée en 4K, StudioCanal a fait un travail absolument gigantesque, aussi bien sur l’image que le son. Chaperonné par Oliver Stone, himself, on peut se targuer de (re)découvrir le long-métrage dans une version « ultime », aussi bien dans la forme que le fond. En effet, ce Final Cut, différent de seulement trois minutes par rapport à la version cinéma, supprime toute la séquence du château Marmont Hôtel, présente dans les quinze dernières minutes du long-métrage. Certes l’épilogue gagne en force et rythme, est-ce pour autant qu’il reste nécessaire au déroulement du propos ? Rien n’est moins certain, comme évoqué précédemment. Du côté des bonus, on retrouve tout ce qui était déjà sur les différentes éditions DVD et Blu-Ray (commentaire audio, scène coupées, making-of, documentaires), mais également une nouvelle interview d’Oliver Stone et de l’ingénieur du son, Lon Bender. The Doors a tout de l’édition définitive, celle qui annule toutes les précédentes tant il paraît impossible d’aller plus loin dans la restauration et la proposition de contenus. Il ne vous reste plus qu’à (re)pénétrer de l’autre côté, comme le chantait Jim Morrison.