Nicky Larson et le Parfum de Cupidon


L’heure est à la prévention, à l’urgence. Le film Nicky Larson et le Parfum de Cupidon est finalement sorti, et si Nicky (Ryo Saeba dans l’œuvre originale City Hunter) occupe une place chère dans mon enfance, ce n’est pas lui qui se tient debout aujourd’hui, son Magnum 357 pointé sur nous, mais Philippe Lacheau, le réalisateur de l’adaptation. Et la balle qui en sort, je l’ai prise pour vous.

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Message préventif

On le craignait, dès le jour où l’on a appris son existence, le matin où l’on a vu un script (imprimé en plus, petite pensée aux arbres) arboré fièrement par Philippe Lacheau, annonciateur de deux mauvaises nouvelles : il était sur le point de commettre un nouveau film, et un film dont personne n’avait besoin de surcroît. M’enfin, qui sommes-nous pour empêcher ça ? De plus le résultat n’a finalement pas tant que cela déplu lors de sa sortie en salles le 6 février… Bon, si j’étais mesquin je ferais un petit paragraphe sur la blogosphère parisienne et les vidéastes ciné/manga sur Youtube capables des plus belles ronds de jambes tant qu’on continue de les inviter aux avant-premières pour affirmer leur influence dans leurs sphères respectives (oups) et un autre sur les quarantenaires qui glapissent dès qu’on leur dit “Goldorak Dorothée Pacman”. Mais en dehors de ça, l’objet semble avoir plu à beaucoup de nostalgiques du fameux dessin animé Nicky Larson qui occupait la même place dans nos petits cœurs que les Chevaliers du Zodiaque, Ken le Survivant, Sailor Moon, Ranma 1/2, Dragon Ball Z et j’en passe volontairement. Ce dessin animé est l’adaptation du non-moins fameux manga City Hunter de Tsukasa Hojo, et à l’instar de Ken le Survivant, cette œuvre adulte, violente, parfois coquine/érotique a été édulcorée dans un premier temps par l’industrie du dessin animé japonaise, puis par les doublages français oscillant entre l’envie de bien faire (Vincent Ropion) et le délicieusement crétin (Maurice Sarfati).

Nicky Larson et le Parfum de Cupidon est donc l’adaptation cinématographique de ce produit-là, celui qui nous a été servi à la fin des années 80 et durant les années 90. Même si le dessin animé tendait quelques fils rouges adaptant les intrigues importantes du manga, il nous apportait globalement notre dose d’épisodes où sur 20 minutes se succédaient “Nicky qui reluque des filles, Laura et Nicky qui découvrent la mission du jour, puis sa résolution durant laquelle on nous rappelle que Nicky pète la classe quand il pointe son Magnum sur fond de footsteps”. L’histoire du film s’adapte donc à ce schéma, l’intrigue du jour se déclenche lorsque le personnage de Didier Bourdon contacte le duo Nicky & Laura afin de leur présenter un parfum capable de déclencher une irrémédiable attirance amoureuse/sexuelle chez quiconque le hume sur quelqu’un d’autre. Nicky refuse de l’aider car il ne vient en aide qu’aux femmes, Didier Bourdon le pshitt-pshitt avec le parfum, gag, puis le drame survient : le parfum est volé sous leurs yeux, s’ensuit la petite course poursuite réglementaire, le parfum se retrouve alors chez un individu qui passait par là, et la mission de Nicky est de le retrouver lui et son antidote sous 48h sous peine de tomber définitivement amoureux de Didier Bourdon. Le souci, c’est l’individu qui a récupéré le parfum a bien compris son utilité et compte bien s’en servir pour séduire un max de meuf et ultimement Pamela Anderson.

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Les principaux problèmes sont déjà posés dès les prémices du récit, même en le regardant de loin et en plissant les yeux pour simplement voir la forme globale du truc, on est face à un pitch à peine digne des épisodes qui étaient déjà pénibles sur un format de seulement vingt minutes. Et si ça sentait déjà un peu du bout dès les prémices, c’est encore pire quand on laisse le film défiler. Car il n’y a que deux choses que Philippe Lacheau et sa bande ont choisi de retenir de Nicky Larson, qu’il soit obsédé et qu’il sache être sérieux lors des moments importants. Il rate pourtant ces deux aspects principaux du personnage puisque le fait qu’il ait vu en Nicky plutôt un voyeur qu’un harceleur lui permet juste de diminuer le côté provoc de sa démarche (même si le dessin animé était déjà beaucoup plus light que le manga à ce sujet). Il manque volontairement un aspect essentiel, que Ryo/Nicky était constamment tourné en dérision et qu’il était toujours sanctionné lorsqu’il se mettait à exhiber son érection, à attraper les seins/les cuisses des femmes ou qu’il les reluquait, ici il a juste l’air cool et rigolo en le faisant. De la même manière, Ryo/Nicky ne faisait pas de blagues sur l’homosexualité supposée de Laura, or ici on en compte quelques unes et elles ne s’inscrivent finalement pas tant dans la restitution d’un trait de caractère du personnage que dans la continuité des sujets de vannes récurrents de la bande à Fifi, rappelez-vous du navet Épouse-moi mon Pote (2017) par exemple. A noter qu’entre ça et la dernière blague du film “haha Didier Bourdon il va se faire enculer dans la prison”, ce n’est pas un long-métrage qu’il serait conseillé de montrer aux gosses qui ont l’âge qu’on avait lorsqu’on était la cible du Club Dorothée, ni  qui sait prendre de la distance sur ce genre de blagues en 2019. Il n’y aurait peut-être pas à s’attarder sur cet aspect si Philippe Lacheau ne semblait pas dire à travers sa filmographie “écoutez, moi vos histoires de sexisme et de culture du viol je m’assois dessus d’ailleurs ce qui compte c’est l’humour et le respect de l’œuvre de base”, tout en omettant que Tsukasa Hojo avait déjà un propos ainsi qu’un traitement du sujet qui était nettement plus juste. Rire de ce trait de caractère, oui, mais sans le valoriser et le confondre avec ce qui est cool chez Nicky/Ryu Saeba.

Quant aux moments “sérieux”, Philippe Lacheau n’étant pas bon acteur, on peut se permettre de lever les yeux quand il se prend pour serious Nicky, mais comme ce sont les seuls moments presque dépourvus de malaise du film, il faut savoir prendre sur soi. Cette rupture de ton était pourtant l’une des principales caractéristiques de City Hunter, et donc de Ryo Saeba puis Nicky : ce contraste entre les moments d’humour, de bouffonnerie totale d’un côté, et des moments très sérieux relevant d’éléments de narration, de contexte, ou bien des scènes de combat et de leur résolution, de l’autre. Or ce contraste n’est pas aligné sur ce qui est l’ADN de City Hunter (dont l’auteur a déjà prouvé à quel point il pouvait taper juste sur des sujets comme l’homosexualité/transidentité/harcèlement où se vautrent les tendances actuelles de l’humour en France), il est aligné sur ce que Philippe Lacheau trouve drôle sans que cela ne corresponde vraiment à ce qu’il souhaite ressusciter devant nous, à savoir Nicky Larson, le Club Dorothée (à travers douze milliards de références aussi délicates qu’un coup de coude dans les côtes), et une propension à prendre à la légère ce genre de sujets à l’époque. Philippe fait ce qu’il peut pour imiter le ton de Vincent Ropion (comédien ayant doublé Nicky dans la VF du dessin animé), sauf que pour les raisons énumérées, ce n’est pas Nicky Larson que l’on a face à nous mais juste un quarantenaire très branché cosplay un peu gênant, avec assez de fric et de contacts pour réaliser ses caprices.

Parmi les moments “sérieux”, donc de bagarre, il faut reconnaître quelques moments de mise en scène bienvenus, notamment celui de la vue à la première personne. Il n’est même pas un hommage à la série ou une marque de fabrique mais il fonctionne plutôt bien. De même, le long-métrage est plutôt cool à regarder, il a adapté des décors très franco-français à l’ambiance qu’il cherche à restituer, on accepte de croire à l’univers pourtant initialement japonais de la série alors que les décors vont des douze colonnes de Cergy à Monaco en passant par Nice. On pourra alors saluer le travail de Samuel Teisseire (direction artistique), Claire Lacaze (costumes) et Vincent Richard (photographie) qui font que si cela n’avait pas tenu qu’à Philippe Lacheau, on aurait pu s’y croire. Aussi, parmi les points positifs toujours, Élodie Fontan (qui incarne Laura) semble vraiment jouer la comédie. On sent qu’elle donne tout ce qu’elle a pour restituer le personnage, à l’intérieur des limites du projet. Car il faut bien en parler, de ces limites, tant elles sont inhérentes à la notion d’adaptation live. Nicky Larson avait des scènes très cartoon pour souligner ses traits de caractères (et donc les rendre variés et compréhensibles), ou lorsque Laura sortait son gigantesque maillet de sa poche. Or c’est là quelque chose d’au mieux imitable mais il ne peut que manquer l’essence même de ce qui fait le gag cartoon en tant que tel : le fait que ce soient des dessins animés. Et que quand on choisit ce que l’on dessine, on choisit ce que l’on exprime. Le corps d’un acteur est forcément plus figé, et donc ne peut pas chercher à concurrencer le dessin sur ce terrain là.

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Autre aspect trahissant la démarche du film, celui-ci s’est vendu sur des arguments d’autorité, arguant que Tsukasa Hojo, l’auteur, auraiot lui-même adoré l’adaptation de Lacheau, l’équipe ayant un peu travaillé le script avec lui pour respecter le matériau d’origine. D’ailleurs, la fidélité au dessin animé est (parmi les retours positifs) plutôt saluée, celle-ci tenant donc au pitch, aux personnages, aux référence, aux musiques, aux clins d’œil, etc. Ainsi, critiquer le long-métrage et pointer du doigt ses problèmes reviendrait à désavouer City Hunter, Nicky Larson, et l’auteur même de l’œuvre. Pratique. Or on est bien habitués au fait que ce sont des arguments caduques. Tardi a adoré le film Adèle Blanc Sec (Luc Besson, 2010), Toriyama était enthousiaste pour Dragon Ball Evolution, Stephen King a détesté Shining (Stanley Kubrick, 1980), etc. Et puis s’il y a bien un sujet sur lequel je ne demanderai pas l’avis à un auteur japonais, c’est bien sur les adaptations en film de leurs mangas tant la barre est placée bien bas. Enfin, le film est, à l’instar de Pixels (Chris Colombus, 2015), Ready Player One (Steven Spielberg, 2018), Les Mondes de Ralph 1&2 (Rich Moore, 2012 et 2019), pour ne citer que les plus récents, à savoir un nouveau cas qui en dit beaucoup sur la façon dont la pop-culture sait s’épanouir dans le recyclage, dans le fait de nous faire cracher au bassinet contre la promesse de nous vendre ce que l’on aime déjà. La culture geek est par essence mercantile, toute licence qui rapporte doit être déclinée le plus possible et le plus longtemps possible – en témoigne la longévité hallucinante de la licence Dragon Ball Z alors que Toriyama a terminé de raconter son histoire au début des années 90. Culturellement par exemple, le film sur Broly dont je vous parlerai bientôt, n’a rien à apporter, et pourtant, en sa qualité de produit, son existence est justifiée et rentabilisée. Mais il ne s’agit pas de rejeter tout ce qui n’est pas une œuvre mais un produit, ni de dire que les consommateurs sont fautifs, mais il faut malgré tout prendre du recul sur ce que l’on nous sert. Ici, la démarche n’est pas la même que pour la suite d’une série à succès ou le reboot d’une saga qui en aurait besoin. Si le film existe c’est parce que La bande à Fifi, les producteurs et annonceurs savent que, façonnés par cette culture, on veut bien payer pour qu’on nous rappelle qu’on a connu le Club Dorothée en dépit de l’intérêt du produit. Ce produit n’a aucun autre intérêt que de brosser dans le sens du poil quiconque se complaît dans la nostalgie d’une émission qui était finalement un Touche Pas à Mon Poste avant l’heure mais qui diffusait quand même de chouettes dessins animés. Philippe Lacheau doit se croire très malin à balancer des références à Hélène et les Garçons, les Chevaliers du Zodiaque, Ranma 1/2, Les Musclés, Jeanne & Serge, DBZ & co dès qu’il en a l’occasion. Seulement, elles sollicitent uniquement des références extra-diégétiques à Nicky Larson/City Hunter et nous sortent donc totalement de son univers. Ou alors il faut considérer que la diégèse n’est pas l’univers réduit du film (Nicky Larson), mais l’univers étendu de notre rapport au Club Dorothée. Et alors ok, il a contribué à l’essor du manga en France, mais on peut se contenter de le remercier pour ça sans verser dans l’adoration abrutie.

Plutôt que de perdre du temps devant ce film, vous pouvez soit lire le manga qui n’a pas pris une ride, soit vous retaper l’intégralité du dessin animé. Et peut-être même que vous vous en lasserez en vous rendant compte qu’il n’y a aucun mal à laisser certaines choses à l’époque d’où elles viennent. Et puis, il faut rappeler qu’un vrai film/OAV adapté de City Hunter va sortir cette année si vous voulez votre dose de Nicky Larson. Tout y sera. Bref, Nicky Larson et le Parfum de Cupidon n’est qu’un fan-film bien fait, sans valeur culturelle, un pur produit qui vous fera plaisir si vous tenez vraiment à ce qu’on vous rassure sur la qualité des dessins animés de votre enfance. On n’est déjà pas gâtés en terme de comédies françaises, mais alors si en plus on se met à financer des trucs dignes des pires épisodes de Nicky Larson, il y a matière à analyser un peu le phénomène. La Bande à Fifi ayant l’intention de continuer sur leur lancée et de passer à Cat’s Eyes, on ne peut que rester sur nos gardes.


A propos de Nicolas Dewit

Maître Pokémon depuis 1999, Nicolas est aussi champion de France du "Comme ta mère" discipline qu'il a lui même inventé. Né le même jour que Jean Rollin, il espère être sa réincarnation. On sait désormais de source sure , qu'il est l'homme qui a inspiré le personnage du Dresseur "Pêcheur Miguel" dans Pokemon Rouge. Son penchant pour les jeux vidéoludiques en fait un peu notre spécialiste des adaptations cinématographiques de cet art du pauvre, tout comme des animés japonaises pré-Jacques Chirac, sans vraiment assumer. Retrouvez la liste de ses articles sur letterboxd : https://boxd.it/rNYIu

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