Last Man – Saison 1


La série Lastman débarque en 2016 sur France 4 et en 2018 en DVD/Blu-Ray chez Wild Side. Réalisée par Jérémie Périn (bien connu dans le petit monde de l’animation française), elle raconte les événements se déroulant avant ceux qui font l’objet de la BD du même nom.

Le dernier rhum

Des patates, de la bagarre, des super pouvoirs, des héros, des complots, on connaît bien la recette puisque c’est la plus répandue dans le monde des shônen, cette catégorie de mangas à destination des ados au Japon. À ma gauche, Ken le Survivant, Les Chevaliers du Zodiaque, Dragon Ball, Jojo’s Bizarre Adventures. À ma droite, Naruto, One Piece, Death Note, Bleach, Full Metal Alchemist, Toriko, One Punch Man, Boruto, My Hero Academia. Quel que soit leur siècle de provenance, des conventions sont apparues et continuent de structurer la façon dont ces histoires sont racontées. Si le sujet de cet article était là, il y aurait des choses à dire sur la façon dont elles sont entretenues, voire imposées, puisqu’il s’agit là d’une industrie, d’un modèle économique à part entière qui prend le dessus sur le pouvoir décisionnel de l’artiste. Seulement non, et puis comme je suis du genre à préférer relire une 150ème fois l’intégrale de Dragon Ball plutôt que de me renseigner sur un sujet que je connais mal, on est mal barrés, voyez-vous. C’est d’ailleurs l’histoire de ma scolarité. Recentrons, voulez-vous : ainsi donc, le shonen est initialement un genre d’histoires associé à un mode de parution exclusif au Japon et à sa façon de consommer les bande-dessinées (« mangas »). La France étant le deuxième pays du monde consommant le plus de mangas, il était évident que l’on verrait émerger parmi notre génération Club Dorothée des artistes souhaitant écrire et publier « des mangas à la française » (en un sens, Joly Guth, dessinatrice des Croqueurs de Sable, les a tous précédés dans les années 90 en publiant carrément dans un magazine japonais…).

En 2013, suite à une campagne de communication sur internet rondement menée, le trio Bastien Vivès, Michaël Sanlaville et Balak sort le premier tome de Last Man. « Un shonen à la française » justement, mais qui, fait inédit dans l’histoire de cette réappropriation du genre par des français, se détache des poncifs visuels et narratifs qui y sont associés. Pour quiconque connaît au moins les travaux de Bastien Vivès et qui aurait éventuellement suivi le making-of de cette aventure, il y a définitivement quelque chose d’unique et de propre aux trois compères qui donne vie à Lastman. En grands amateurs de ces univers mais aussi de la mercantilisation de la pop-culture, les trois auteurs ont décidé de réserver à Lastman le traitement de la plupart des séries à succès depuis les années 80 : merchandising, adaptations sur d’autres supports, jeu vidéo, tout l’attirail. Aujourd’hui on parle « d’œuvre transmedia » pour briller dans les dîners mondains. Tout ça pour dire que c’est de ce désir de décliner l’univers de Lastman sur les supports de prédilections des auteurs que provient la série dont il va être question.

La série se compose de 26 épisodes d’une dizaine de minutes chacun, et sert à développer le passé de certains personnages centraux dans Lastman (la BD), notamment Richard Aldana. J’en parlais en début d’article, mais Lastman, c’est un univers de tournois, de bourre-pif, de coups spéciaux, de magie et de relations caractérisant les personnages, du pur shonen dans le squelette. Richard Aldana est un escroc, un boxeur de talent qui n’a pour lui que sa moto et ses poings ravageurs, et on se demande directement à la première lecture d’où vient ce mec absolument normal dans ce monde de monstres et d’incantations. Ainsi, la série fait le choix d’en faire également son personnage central et de narrer les événements jusqu’à son arrivée dans l’autre monde, celui du tome 1 de Lastman. L’action prend place dans la ville de Paxtown, où la vie était encore simple quand seuls le vice et la corruption menaient la cadence. L’histoire commence quand l’entraîneur de boxe de Richard se fait kidnapper et assassiner par l’Ordre du Lion, alors à la recherche de sa fille. Suite à ces événements, Richard fait la rencontre de son jeune frère, parvient à sauver sa fille, et voici alors formé le trio de la série à travers lequel nous-mêmes, spectateurs, allons découvrir l’envers du décor. Le récit est solide et se maintient bien sur les 26 épisodes et fait un excellent support à tous les personnages issus de l’imagination de notre trio d’auteurs. Je préfère ne pas trop en dévoiler, l’intérêt de la série ne réside pas exclusivement dans cet aspect. D’ailleurs, certains aspects majeurs de la série avaient été dissimulés lors des teasers et autres annonces promotionnelles avant sa première diffusion, apprend-on dans le making-of du Blu-Ray.

Non, si Lastman (la série) mérite toute notre attention, c’est surtout parce que nous assistons là à un réel pas en avant pour l’animation en France en ce sens que sa façon de traiter ses sujets et sa cible sont délibérément adultes. De la violence, du sang, du sesque, des mots durs, Lastman est sincère dans sa démarche qui est de raconter une histoire sans se retenir sur ces aspects plutôt absents dans les séries d’animation les plus communes (hors production japonaises). Des artistes qui ont de telles choses à raconter, il y en a des pelles mais la plupart se heurtent à des distributeurs et diffuseurs frileux, à une mentalité globale qui fait que l’animation peine à se détacher de l’étiquette « pour enfants » pourtant largement contestée depuis des lustres. D’ailleurs, la genèse de la série est intéressante à bien des égards, les bonus livrés avec le Blu-ray sont riches en interviews et autres commentaires à ce sujet, et bien que l’appui de France 4 soit important, c’est la campagne de crowdfunding qui a révélé le besoin de la part du public de voir ce genre d’histoires racontées au format dessin-animé.

Ce même public connaît bien le réalisateur de la série, Jérémie Périn, auteur de nombreux clips d’animation à succès (Truckers Delight, Fantasy, Hi Life). Il était presque naturel de l’imaginer aux commandes de ce projet fou, tant son approche de l’animation était en parfait accord avec les possibilités offertes par l’univers d’une part, et par ce qui était permis par le budget alloué à la série. Jérémie Périn a en effet été très influencé par l’animation japonaise qui semble « fauchée » à certains égards lors des longues séries. Puisqu’il s’agit de produire beaucoup d’épisodes très rapidement, les techniques d’animations changent et il faut alors créer de la durée et du mouvement en dessinant le moins possible. Dans le cadre de Lastman, puisqu’il s’agit d’une série à petit budget qui cherche à faire de son mieux pour montrer la voie, on retrouve donc ce parfait mélange entre l’économie de moyen et l’efficacité brute. Que ce soit visuellement, sur le plan sonore ou même du doublage français, Lastman parvient à être une pure réussite…Bref, que vous ayez ou non suivi la BD Lastman, allez-y, c’est du lourd, du solide, et cela permettra à peut-être à l’animation « adulte » d’enfin faire un pas décisif en France. Les DVD et Blu-ray distribués par Wild Side sont de qualité et riches en bonus, que demander de plus ?

 

 

 


A propos de Nicolas Dewit

Maître Pokémon depuis 1999, Nicolas est aussi champion de France du "Comme ta mère" discipline qu'il a lui même inventé. Né le même jour que Jean Rollin, il espère être sa réincarnation. On sait désormais de source sure , qu'il est l'homme qui a inspiré le personnage du Dresseur "Pêcheur Miguel" dans Pokemon Rouge. Son penchant pour les jeux vidéoludiques en fait un peu notre spécialiste des adaptations cinématographiques de cet art du pauvre, tout comme des animés japonaises pré-Jacques Chirac, sans vraiment assumer. Retrouvez la liste de ses articles sur letterboxd : https://boxd.it/rNYIu

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