Quatrième film de Christopher Smith, Black Death a surpris son petit monde en 2010. Petit, car n’ayant injustement pas bénéficié d’une sortie en salles. Prenant place dans un contexte médieval sombre, Black Death s’inscrit en marge de la filmographie de Smith mais n’en a pas moins volé sa place.
Poupon la peste noire
Christopher Smith est un enfoiré. Le seul. Le premier. Le haut du panier des salopards. Crevons céans l’abcès (je n’aime pas cette expression) afin de m’épargner les moqueries de mes semblables, car j’aime mieux que ce soit dit par moi : je me suis barré d’une séance de cinéma parce que j’avais les foies, et ce film, c’était Triangle. Nan, en fait ce n’est pas que j’avais les jetons, et d’ailleurs on s’en fout, mais il fallait reconnaître que je ne suis pas à l’aise devant ce genre cinématographique. Et pourtant, on m’a confié Black Death du même monsieur. Seulement, les ficelles sur lesquelles les faiseurs tirent pour me faire sursauter comme une pucelle, je les connais bien, j’en ai l’habitude, et c’est armé d’une chaude couette (et d’un poulet curry/riz/lentilles) que je m’apprêtai à affronter l’un de mes démons.
Triste époque que le xxème siècle. Les règles d’hygiène, ne serait-ce que les plus basiques, ne sont pas même pas appliquées par le plus petit pourcentage de la population du Tiers-Etat. Du côté de l’Eglise, on se trempe le bout dans le bénitier, mais ça s’arrête là. Résultat, épidemie de peste. La fameuse, celle qui fouette, the black plague, la tristement célèbre peste noire qui aura causé un affaissement considérable de l’indice démographique européen. Prendre parti et parler de sélection naturelle pour éliminer tous les bouseux cradingues serait un peu facile et je préférerais invoquer le châtiment divin, mais là n’est pas la question. D’autant que la question de la religion et ses plus sombres travers est formidablement bien évitée par Black Death qui s’interroge sur un domaine similaire, mais nous y reviendrons. Le récit débute in media res, autrement dit, notre amie aux ongles noircis par la moisissure a déjà fait des ravages et être contaminé par cette coquine équivaut à un abandon pur et simple (dans le meilleur des cas) par ses camarades, ces gros lâcheurs. On murmure qu’il existe un village isolé épargné par cette épidémie de peste, comme ce sont sans doute des hérétiques (ça vous fait marrer, mais imaginez-vous à l’époque un type qui se pointe avec un savon, c’est bûcher direct), une troupe se forme et décide d’aller s’occuper de leur cas. Cette troupe est menée par Boromi Sean Bean et s’impose au spectateur comme la personnification d’une Justice égoïste, étriquée mais déterminée. Cependant, si le but de cette troupe n’est que d’exterminer “ceux qui nous semblent un peu louches, donc on les bute”, elle se compose de personnages à la profondeur formidablement bien conçue. Celui qui révèle ces traits de caractères au spectateur, c’est Osmund, un jeune moine qui s’engage dans la troupe alors qu’il est en plein questionnement (et qu’il espère retrouver sa meuf en chemin). Ses échanges, ses maladresses et ses interventions permettront à chaque membre de la troupe de se dévoiler, anéantissant tout sentiment d’empathie du spectateur qui ne voit alors en eux qu’une bande de crados bien décidés à suivre les ordres d’un leader égoïste.
Le film narrant leur périple et leurs quelques rencontres a le bon goût et l’élégance de se passer des astuces que je craignais destinées à effrayer, épouvanter, faire sursauter le spectateur. Non, mieux que ça, point de screamer, point d’action brute au son appuyé pour faire réagir notre adrénaline : ici, c’est une ambiance funèbre, désespérément triste et morbide que Christopher Smith est parvenu à dresser tout au long du film. J’en suis même venu à envisager une comparaison avec l’excellent Le Nom de la Rose (Jean Jacques Annaud, 1986) qui réservait un traitement similaire du milieu clérical : froid, repoussant mais mystérieux. Sans parler de la ressemblance entre Osmund et Adso. Seulement, le traitement du contexte religieux au moyen-âge diffère de l’un à l’autre. Dans Le Nom de la Rose, il s’agit d’un formidable climat au sein duquel s’échafaude un thriller. Dans Black Death, c’est un point de départ : l’aversion du spectateur pour l’Eglise d’alors passe au second plan lorsque Christopher Smith en vient à la découverte du fameux village aux moeurs religieuses présentant toutes les caractéristiques d’une dangereuse secte. Black Death n’est pas un film d’horreur, disait Christopher Smith, mais une histoire horrifique. Black Death est également un film humain, pas d’heroic fantasy, pas de pouvoirs magiques, pas de mystères, juste les travers les plus noirs d’hommes en proie à leurs croyances. C’est d’ailleurs l’aboutissement du film qui transforme Osmund, un moine “moderne” (qui croit aussi bien en Dieu qu’en la possibilité d’aimer une femme) en un croyant bien plus radical que l’on voit marcher sur les pas de son mentor, Sean Bean. Après tout, ils considéraient que la peste noire était un châtiment divin : Sean Bean, en s’en allant imposer sa religion à ce village reculé devenait donc par extension la peste noire, la Mort. Mais la mort, c’est aussi le traitement que ces villageois réservent aux membre de cette troupe faite prisonnière lorsqu’ils leurs proposent de renoncer à leur dieu. Finalement, le film ne se finit bien pour personne, alors qu’il aurait suffit d’un peu de gel douche.
Christopher Smith maîtrise ses films, et Black Death révèle une nouvelle fois son talent pour la mise en scène, là où tant d’autres n’auraient pu s’empêcher de ce soupçon d’épique que beaucoup estiment indispensable lorsque l’on traite du Moyen-Âge. C’était sans compter sur sa propension à élaborer ses personnages et à leur réserver le sort qu’ils méritent sans distinction. Si il n’y a pas de gentils ni de méchants, alors il faut faire mieux que finir le film tel qu’il a commencé, et proposer un développement à chacun d’entre eux.
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