[Entretien] Alain Della Negra, fast and furry-ious 1


Nous avons rencontré l’un des réalisateurs du documentaire The Cat, the Reverend and the Slave, Alain Della Negra, afin de discuter plus amplement du sujet de son film: le monde virtuel de Second Life et le rapport des joueurs à leurs avatars.

Un homme roux et barbu à la mine triste, la trentaine, pose le visage à moitié caché par un bord de fenêtre, plan du film The Cat, the Reverend and the Slave pour notre interview du réalisateur Alain Della Negra.

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Fast and Furry-ous

On sent dans The Cat, the Reverend and the Slave la volonté de montrer par ces portraits de joueurs, des vrais personnages. Ce qui m’a frappé c’est le constat que tous sont plus ou moins “rejetés” de la société qui les juge désaxés, et Second Life leur sert d’exutoire. Vous avez vous même voyagé dans ce monde, est- ce que vous considéreriez qu’une grande partie des joueurs que vous avez rencontré sont réellement “malades” ?

En fait je pense que le dispositif de faire parler les gens de leur vie virtuelle dans la réalité leur donne obligatoirement une certaine folie, car c’est décroché de la réalité, mais cela pourrait fonctionner avec n’importe qui. Il y a bien quelque chose qui aurait pu faire contrebalancer cette impression, cela aurait été par exemple de mettre les témoignages de gens comme des entrepreneurs, ou des philosophes. On l’a fait, on en a filmé, on a interviewé le créateur de Second Life, ou un professeur de philosophie qui est influent dans le milieu des mondes virtuels. Mais finalement au montage on s’est rendus compte que cela ne fonctionnait pas, car ce qui nous intéressait c’était plutôt le rapport direct à l’avatar, le quotidien avec l’avatar, et pas le regard distancié qu’ont ces personnes qui sont dans l’utopie, à dire constamment que c’est génial car, collés aux images de nos personnages, cela les marginalisaient encore plus qu’ils ne le sont déjà. On peut avoir l’impression que nos personnages sont dans l’extrême, qu’ils n’ont pas de vie sociale, mais c’est surtout parce que le sujet du film c’était de ne parler que de Second Life et de leur lien avec leur avatar. Mais rassurez-vous, dans la vie réelle ils parlent d’autre chose que du jeu!

On sent bien que ce monde virtuel, qui devrait être plus paradisiaque que le monde réel, est finalement une sorte d’extrapolation de toutes les “dérives” de notre monde: omniprésence du sexe, de l’argent, l’aspect communautaire, le sectaire ou même l’omniprésence des religions. Cette omniprésence des dérives est-elle généralisée?

Les dérives sont en effet omniprésentes, elles sont même parfois assez flippantes. Il y a par exemple des gens qui viennent sur le jeu pour recréer des familles, donc il y a des joueurs adultes qui jouent des enfants. En Allemagne par exemple, il y a eu un gros scandale car certaines personnes jouaient des enfants dans le jeu et s’adonnaient à des pratiques sexuelles avec des adultes. Il y’a donc eu tout un débat: est-ce de la pédophilie ou pas? Krista, le personnage qui est de la communauté des Goréens dans le film avait d’ailleurs un avatar enfant, et il faisait plein de rites fétichistes avec lui, donc quand tu vois ça, c’est vrai que ça fait un peu froid dans le dos. Mais malgré ça, y’a pas mort d’homme, ça reste un jeu de rôle! Mais c’est vrai que le caractère exutoire du jeu pousse forcément à se poser ces questions d’ordre moral. Mais faut aussi relativiser, c’est d’abord un laboratoire où l’on tente des choses: quand on joue au Monopoly on est durant un instant un horrible capitaliste et ce n’est pas pour ça qu’on le devient dans la vraie vie juste après.

Ces personnages sont un peu des “freaks” des temps modernes, on imagine qu’il ne s’agit que d’une sélection de personnages et que d’autres ont été retirés du montage. Quel a été le fil conducteur pour choisir les personnages?

On a filmé beaucoup d’autres personnes qu’on a pas mis dans le montage final, mais les personnages que l’on a choisi sont comme des représentants de leurs communautés. Le jeu fonctionne sur l’omniprésence de communautés, et lorsque l’on s’est rendus compte de cette notion, on a souhaité rendre compte aussi de cet aspect. C’est comme ça que se sont déterminés les choix de personnages. On aurait pu choisir des tonnes d’autres communautés ! Sur Second Life il y a aussi des Vampires, des Elfes, des tonnes de choses, mais ce qui nous a amené à rencontrer ces communautés plus que les autres c’est d’abord la trame logique qui nous a fait partir du couple du début du film, et à partir de leur histoire personnelle à l’intérieur et à l’extérieur du jeu, on a souhaité en savoir plus. Par exemple, lui avait un club de furries, alors on a été voir un furry. Sa femme était partie dans la vraie vie avec un Goréen, donc on s’est intéressé aux Goréens, pour ces derniers comme on ne parvenait pas à les infiltrer – car c’est une communauté très fermée qui fonctionne sur les relations de maître à esclave – on a été voir les Chrétiens, parce que l’on savait que dans leur quête d’évangélisation ils parvenaient à faire des entrées en cachette.

 

Pourquoi ne pas avoir choisi de mettre davantage en avant les utilisateurs qui utiliseraient Second Life comme un réseau social ou de promotion plutôt que comme un lieu de communautarisme et de “dérives” ?

Ce qui nous intéressait ce n’était pas de faire un film sur Second Life mais un film sur le rapport qu’on peut avoir avec son avatar, et comment on l’utilise. En réalité, il y a très peu de gens qui sont sur Second Life et ne rejoignent pas de communautés. Tu peux, mais forcément au bout d’un moment tu te fais un cercle d’amis autour de toi. Mais c’est pareil dans Facebook par exemple, quand tu “like” tel film… Tenez, vous qui aimez le cinéma! Vous vous créez une communauté autour de cette passion, c’est pareil que dans Second Life! Il faut voir ça comme une nouvelle géographie. Mais c’est aussi comme ça que le monde s’organise aujourd’hui, avant on était liés au cercle familial, mais aujourd’hui l’essor du net fait que l’on peut choisir à adhérer à des communautés, s’investir dedans, sans que ce soit systématiquement néfaste, bien au contraire.

Pourrions nous dire alors qu’entre Second Life et la “Real Life” s’inversent simplement la notion de minorité? Les minorités du vrai monde semblent largement majoritaires sur le jeu, car cet aspect de monde virtuel amplifie les mouvements et radicalise les idées qu’ils ne peuvent pas exprimer dans la vie réelle.

La plupart des gens qui font partie de ces groupes font en effet partie de minorités du monde réel. Mais on a pas cherché à montrer les cas extrêmes, on a filmé d’ailleurs des choses beaucoup plus spectaculaires qu’on a finalement pas choisi de conserver au montage. Mais en soit, lorsque l’on est arrivés sur le jeu, c’était un monde assez pionnier, un jeu basé sur l’entraide, un monde open source où l’on pouvait créer des choses. Donc pour revenir à ce que l’on disait avant sur les dérives, il y’en a bien sûr, mais il n’y a pas que ça, il y a aussi un esprit d’entraide très fort. Prenez Krista, notre Goréen, lorsqu’il a eu des soucis avec son ordinateur qui ne fonctionnait plus, des gens se sont cotisés sur le jeu pour lui en racheter un neuf! L’amitié qu’il a sur Second Life est beaucoup plus forte, il peut davantage compter sur ses amis virtuels que sur son coloc’ qui l’a viré depuis parce qu’il ne pouvait pas payer son loyer…

Dans votre film, ce qui fonctionne assez bien, c’est la manière dont très vite, le monde virtuel vient infiltrer le réel. Je pense à cette scène du couple dans sa cuisine qui parle du bar à putes que possède le mari, et qui n’est pas assez rentable.

Oui, ce qui nous a intéressé dès le début c’était de jouer sur le jeu réalité/fiction, principalement lorsque l’on fait du documentaire car cela mène à jouer avec le spectateur, se poser la question de la manipulation des images, car dès lors que tu filmes, tu modifies la réalité. On a donc choisi de ne pas mettre de voix off et de conserver une petite ambiguïté, pour laisser le spectateur perdu à l’intérieur de cette frontière. C’est des questions primordiales lorsque tu fais un documentaire, on a donc voulu jouer avec ses limites. Mais au début, sur le papier c’était un film plus conceptuel, sans images du jeu, le son et l’image était totalement en décalage. On imaginait pas qu’il y aurait autant de porosité: on ne pensait pas que le furry-chat aurait des oreilles de chat dans la vraie vie! Mais c’est bien finalement, on s’est fait rattraper par notre sujet qui était peut être trop théorique et conceptuel.

Très vite on a l’impression que chacun de ces personnages pourrait peut être bien habiter le même village. L’utilisation des images du jeu, mais aussi les transitions, font que l’on pense très vite que Second Life est représenté par une sorte de petit village à la fois réel et virtuel dans lequel tous vos personnages habiteraient, sans jamais se parler.

Ça fait plaisir que tu dises ça car c’était vraiment le concept de départ! Ce que l’on voulait c’était recréer l’image d’une ville qui n’existe pas. Au départ on ne voulait pas vraiment rentrer dans la psychologie des personnages. On avait l’idée ambitieuse de faire le premier film “internet”, un film où l’on zappe de personnage en personnage, comme si l’on planait au dessus d’une énorme ville. La première version du film zappait comme ça dans tous les sens, la forme était intéressante mais était assez difficile pour le spectateur, et cela enlevait beaucoup de force aux témoignages. Donc je suis content qu’il reste un peu de cette idée dans le montage final, malgré l’ajout des titres qui localisent les personnages dans la version finale.

D’ailleurs l’insertion des images du jeu est assez bien menée, elles ne sont jamais trop présentes, et en même temps, contribuent parfaitement à créer cette porosité entre le réel et le virtuel. Vous aussi, vous avez vécu en quelque sorte votre Second Life de cinéaste, car certains plans du jeu sont de réelles compositions. Peut on parler de journée de tournage à l’intérieur du jeu?

On l’a fait assez peu, même si je me suis beaucoup amusé à prendre de belles captures du jeu. Mais la plupart des images restent celles prises des joueurs devant leur ordinateur, pour être un peu plus proche de l’espace entre eux et la caméra. Au final, on en a rajouté car cela frustrait le spectateur, mais trop d’images du jeu aurait créé tout autre chose. Par contre, certains plans du films marchent à l’inverse: plus ça va, plus les plans du réel sont travaillés, à mesure qu’on s’enfonce dans le virtuel.

Il y a deux plans dans le film qui, à ce titre, sont vraiment incroyables: celui des jeunes qui parlent de Second Life dans l’herbe avec ce zoom arrière qui n’en finit pas de découvrir l’immensité de la ville autour d’eux, et celui à l’intérieur de la voiture qui finit par dévoiler deux personnes qui parlent dans une laverie.

En fait il ne s’agit pas vraiment de parti pris de mise en scène au moment du tournage, il s’agit plutôt d’une improvisation de l’instant qui a porté ses fruits. Les jeunes dans l’herbe, on les avait déjà filmés de plus près mais la présence de la caméra les bloquaient beaucoup. Donc pour qu’ils soient naturels, on a décidé de les filmer de loin en laissant un micro sans fil, et du coup, sans savoir quand ils étaient filmés, ils se saront mis à discuter naturellement. Je me suis battu pour que l’on conserve ce genre de plans, il y’en avait beaucoup plus et celui-ci j’ai insisté pour le garder. Je suis content qu’il te plaise.

Vous avez vous même “joué” à Second Life durant une longue période. Avec l’idée déjà d’être dans une démarche d’en faire un documentaire, ou bien en simple joueur? En d’autres mots, est ce que c’est votre avatar qui a existé avant l’idée de film, ou l’inverse?

On a d’abord eu l’idée du film avant de créer nos avatars. En fait, nous avions déjà exploré l’univers des Sims auparavant avec un court-métrage qui s’appelle Neighborhood¹ et suite à ça, on s’est dit que ça serait génial si ces histoires se croiseraient dans un film. Suite à cette idée, on a vu que ça existait en ligne, donc on a été sur les Sims Online, mais le jeu a fermé très vite, et donc on a finalement rejoint Seconde Life.

Le tournage vous a amené à faire un road trip aux USA, et on ressent bien dans le film la présence du reporter, et le spectateur est un peu placé à votre place, allant à la rencontre des gens, assistant à leurs confidences et à leur vie privée. Comment arrive-t-on à extraire de ces gens ce genre de confidences, alors que l’on comprend très vite que leur vie sociale est assez restreinte et qu’elle ne s’exprime que par Second Life?

Le tournage a duré trois mois aux Etats-Unis mais il y a eu beaucoup de travail en amont, on les avait rencontrés dans Second Life et ils nous connaissaient donc déjà un petit peu. Mais encore une fois, le dispositif de faire parler les gens de Seconde Life libère plus facilement leur parole, et les amène plus simplement à la confidence. Si on leur avait dit: “Parlez-nous de votre vie”, ils auraient été tout de suite moins à l’aise. Pour nous c’est un filtre agréable, car derrière ce qu’ils racontent de Second Life, ils se racontent un peu eux-mêmes.

Cela serait désobligeant d’oublier de citer que vous avez co-réalisé ce film avec Kaori Kinoshita, devant le vaste nouveau monde que vous avez eu à explorer, on imagine que deux personnes n’étaient pas de trop.

Au niveau de l’écriture du film, c’est d’abord moi qui ai beaucoup joué, mais plus tard Kaori s’est aussi investie à l’intérieur de Second Life. Et comme nous sommes un couple dans la vraie vie, il a fallu gagner en crédibilité dans le jeu et donc on s’est investis en ce sens: on a créé une maison, organisé un mariage virtuel, on a montré nos films… Et pour ce qui est du tournage, Kaori est principalement au cadre et je m’occupe de l’aspect journalistique, les interviews, etc. L’équipe était très petite, on a été quatre personnes maximum sur ce film, le plus souvent trois.

Sur un tout autre registre, il y a une question aussi qui me taraude, elle est peut être un peu étrange, mais j’ai remarqué l’omniprésence de tondeuses dans le film.

C’est étonnant, car je m’en suis aussi rendu compte après. Mais c’est assez intéressant finalement. Car aux Etats-Unis il y’a un truc spécial avec le fait de passer la tondeuse. Car là-bas tu es censé le faire toi-même, y’a pas de services municipaux qui entretiennent ta pelouse, et si tu le fais pas, tu as des fortes amendes. Donc c’est un truc qui rentre dans la vie de chacun: il faut tondre. C’est le hasard, mais c’est finalement assez beau, c’est un peu le dernier geste qu’il faut faire avant d’être marginalisé. Tu es obligé de le faire pour être comme tout le monde, si tu ne coupes pas ton herbe devant chez toi, tu es un marginal, c’est la dernière chose qui prouve qu’on joue encore le jeu social.

Parlons des influences, en avez-vous eu des particulières pour ce film ? Que ce soit en terme de fiction ou de documentaire ?

L’idée de base m’a beaucoup été inspiré par un film de Richard Linklater qui s’appelle Slacker (1991), qui raconte l’histoire d’une communauté de jeunes glandeurs à Austin dans le Texas. Le principe du film c’est qu’à chaque fois qu’ils rencontrent une personne, ils la suivent jusqu’à en recroiser une autre. C’est très rapide et totalement écrit, c’est de la fiction, mais très vite il arrive à dresser un portrait de la communauté autour de cette ville, simplement en voyant chaque personnage deux petites minutes. C’est un peu ce que l’on a voulu faire au début mais en utilisant le net, car c’est à ça que ressemblent les rapports sociaux d’aujourd’hui.

Pour ma part en voyant le film, j’ai pensé à beaucoup de films de fiction qui ont été fait sur le sujet des jeux massivement multijoueurs ou du rapport entre l’humain et les jeux vidéos. Je pense notamment à eXistenZ de Cronenberg qui comporte quelques analogies avec votre film, le traitement de la fiction mêlée au réel, mais aussi à des films plus récents comme le belge Ben X (Nic Balthazar, 2007) ou le très moyen L’autre monde de Gilles Marchand.

J’ai vu eXistenZ il y a longtemps et j’avais beaucoup aimé ce que Cronenberg a créé avec les pads, cette notion très organique, ce rapport au virtuel un peu moins technologique: et c’est vrai que cela peut être semblable à notre film qui joue un peu de la même façon des frontières entre le réel et le virtuel, et avec ce rapport de l’humain à son double virtuel. Ben X je vois ce que c’est vaguement, j’en ai entendu parler mais je n’ai jamais vu le film. Par contre j’ai vu L’Autre Monde, qui n’est pas inintéressant, même si je pense que Gilles Marchand n’a pas dû vraiment jouer au jeu! Malgré tout il y a des influences que je reconnais bien, notamment dans l’imagerie très proche de l’univers Goréen: en ce sens, les séquences de jeu sont assez bien faites. Après, ce que je ne trouve pas crédible, ce sont ces joueurs qui sont tous de super beaux gosses, les acteurs ne sont pas crédibles en joueurs de Second Life. Mais c’est sûr que le film est complètement inspiré par Second Life.

C’est un sujet qui revient souvent dans la fiction d’aujourd’hui, autant dans les thématiques abordées que dans les techniques employées. On se rend compte que très vite le cinéma va encore plus évoluer vers l’image virtuelle. Cela va du Tintin de Spielberg à la mode des machinima². Est-ce que c’est une évolution qu’il vous intéresse d’exploiter, je veux parler de l’image virtuelle ?

Cela m’intéresse dans la philosophie. Je crois qu’on en parle un peu à la fin du film lorsque l’on se rend à Burning Man, avec le fondateur qui dit que selon lui un jour les objets seront dé-matérialisés, et qu’il sera possible de voir et interagir avec des objets virtuels grâce à des lunettes. Mais c’est déjà un peu le cas, ça commence par le CD, on a tous des MP3 aujourd’hui, la musique n’est plus matérielle et on le vit très bien. Alors pourquoi pas le cinéma? On peut imaginer ne plus avoir besoin d’acteurs. Cela me fait penser à cette star japonaise, je ne sais pas si vous connaissez, c’est un réel phénomène au Japon, ils organisent des concerts énormes autour d’un personnage en hologramme. Et c’est absolument dingue, c’est la Michael Jackson du Japon, les gens sont là à applaudir comme des fous un personnage animé! Elle s’appelle Hatsune Miku³. C’est incroyable. Et je crois que ça, c’est une forme d’avenir.

Et quel est votre rapport avec le film de fiction ? Est-ce une écriture que vous avez déjà expérimenté, ou que vous comptez expérimenter ?

En réalité on s’intéresse plutôt à faire des films expérimentaux plutôt que des fictions traditionnelles. On sort tous les deux d’écoles d’art et donc entre les documentaires sur lesquels on travaille, on oriente d’autres productions qui gravitent autour de notre projet du moment. On teste donc plusieurs formes: on fait des courtes vidéos, des clips, des expositions photos, ce qui nous permet par exemple d’utiliser les budgets de ces travaux photographiques pour faire aussi les repérages. On fait plein de choses comme ça autour de notre sujet, qui se retrouveront ou pas dans le film à la fin. C’est donc pour ça que l’on avait d’autres films plus courts à propos de l’avatar. Malgré tout je n’exclus pas de faire un jour une fiction classique.

Vous terminez le film avec une fin assez ouverte qui utilise un parallèle avec le festival de Burning Man. Pourriez vous expliquer ce qu’est ce festival en quelques mots, ce qu’il représente, et pourquoi le parallèle avec Second Life vous a paru évident ?

En fait la raison qui nous a amené à Burning Man n’est pas tout à fait la même que celle qui nous a amené à le mettre dans le film. La raison pour laquelle on y est allé c’est qu’on à fait une interview du créateur de Second Life qui nous a expliqué s’être inspiré de Burning Man pour créer son monde virtuel. Pour expliquer rapidement, Burning Man c’est un regroupement de gens dans le désert qui essaient de repenser le monde pendant dix jours, c’est une sorte de ville utopique. Mais il y a beaucoup de points communs avec Second Life. Par exemple lorsqu’on arrive à Burning Man on change de nom, comme si on créait son avatar. On arrive aussi sur un terrain sans vie, pour tout repenser en partant de rien, et c’est la même chose dans Second Life, c’est les gens qui ont tout créé d’eux-mêmes. Il y a l’idée commune que tout est permis, à Burning Man si tu ne gènes pas les autres tu peux tout faire, si tu veux ramper tout nu, tu peux. Il y a ce même sentiment d’exultation que dans Second Life, d’être totalement libéré de ton quotidien, de ta pudeur, de ta timidité. Les gens, quand ils rentrent dans Burning Man, ils sont un avatar, mais un avatar non virtuel.

Cette fin est tellement ouverte qu’elle apparaît presque comme une porte ouverte vers une sorte de suite, qui se consacrerait uniquement à Burning Man, est ce que c’était l’idée ?

Oui c’est totalement vrai, cela amène presque une suite, et d’ailleurs notre prochain projet est né de notre expérience à Burning Man et de ce que nous y avons découvert. Cette communauté basée sur l’utopie, cette contre-culture un peu New Age nous a beaucoup intéressés et nous a donné des idées pour le prochain projet.

Justement, votre démarche autour des mondes virtuels n’est pas neuve, vous vous êtes déjà intéressé à d’autres univers comme celui des Sims comme on l’a dit, et votre court-métrage La Tanière parlait déjà plus ou moins de Second Life et de la communauté des Furries. Est ce que ce prochain projet s’intéressera aussi à un monde virtuel ?

On n’est plus vraiment dans cet univers actuellement, le prochain film ne parle pas vraiment de ça. On s’intéresse désormais au milieu du New Age et à certaines formes de mutants, des gens qui sont à la limite de la perception, qui sont plus sensibles à certaines choses et qui pourrait donner des signes d’un homme du futur. Malgré tout je reste très intéressé par ce qui est généré par les réseaux sociaux et les mondes virtuels: les révolutions arabes ou le mouvement des indignés en Espagne sont des choses qui m’intéressent beaucoup et il s’agit de mouvements créés sur internet. En fait, cela fait un moment que je n’ai plus joué, même si il y’a un jeu qui m’intéresse énormément qui s’appelle The Endless Forest4 et qui a l’air super beau. C’est un monde dans une grande forêt où tu joue des espèces de biches, dans une ambiance un peu mystique, type Princesse Mononoké, ce qui m’intéresse c’est qu’il n’y a pas de discussion possible entre les joueurs dans ce jeu. Après, on s’est intéressés à d’autres jeux comme World of Warcraft, on a filmé des joueurs qui y jouaient, et au départ le film devait être un mélange, pour pas que ce soit un film seulement sur Second Life. Je pense que cela aurait rendu la chose un peu plus poétique mais finalement on a jugé que cela rendrait la chose beaucoup trop large.

Est-ce que vous pouvez nous en dire davantage sur ce nouveau projet ?

Dans Second Life c’est l’homme qui se substitue à la machine. C’est un peu l’idée de cyborg. La machine, l’avatar, qui devient l’humain. Là, on a pensé à l’inverse, comment l’humain peut muter vis a vis de la nature. On a donc rencontré plein de gens qui ont des signes dirons-nous “mutants”, cela va des gens qui ont des perceptions de clairaudience, d’autres qui ont vécu des expériences de mort imminente, des gens qui ont arrêté de se nourrir, d’autres qui parlent avec l’au-delà, encore un autre qui voit des êtres élémentaires… A partir de toutes ces rencontres, on a sélectionné quelques personnages qu’on a commencé à suivre. Et au niveau de la forme, on a essayé dès l’écriture de trouver une direction pour essayer de reconstituer un corps, un peu de la même façon qu’avec The Cat, the Reverend and the Slave on a voulu reconstituer une ville, là, cette fois, on a voulu créer l’image d’une personne avec plein de petites personnes.

C’est très Cronenberg aussi tout ça…

(rires) C’est très Cronenberg c’est vrai.

 Interview réalisée par Joris Laquittant
Avec l’aide de Nicolas Dewit
Remerciements à Alain Della Negra

Photo de Simon Laveuve

¹ Le court-métrage ”Neighborhood” est visible sur le net ici
² Le terme “machinima” désigne des films réalisés à partir de séquences de jeux vidéos.
³ Une vidéo d’un concert de Hatsune Miku ici
4 En savoir plus sur The Endless Forest ici
Vous pouvez lire notre article sur The Cat, the Reverend and the Slave ici.

Le film The Cat, the Reverend and the Slave est disponible en DVD, chez Capricci Films et dans la plupart des FNAC.


A propos de Joris Laquittant

Sorti diplômé du département Montage de la Fémis en 2017, Joris monte et réalise des films en parallèle de son activité de Rédacteur en Chef tyrannique sur Fais pas Genre (ou inversement). A noter aussi qu'il est éleveur d'un Mogwaï depuis 2021 et qu'il a été témoin du Rayon Bleu. Ses spécialités sont le cinéma de genre populaire des années 80/90 et tout spécialement la filmographie de Joe Dante, le cinéma de genre français et les films de monstres. Retrouvez la liste de ses articles sur letterboxd : https://boxd.it/sJxKY


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