Sorti l’année dernière en Italie et arrivé chez nous ces jours-ci, Vallanzasca, le nouveau film de Michele Placido, reste dans la même veine que ses œuvres précédentes. Violent, immoral, dont la seule intention est de faire du bon cinéma d’action et de glorifier un salopard, L’Ange du mal n’a pas la quasi perfection d’un Romanzo Criminale, mais reste incroyablement efficace.
On se souvient tous de Romanzo Criminale, énorme succès italien de 2005 et acclamé par le public et les critiques de toute l’Europe après son exportation dans toute l’Union. On comprend l’attirance de Placido pour les affaires policières et autres histoires de gangsters, car le réalisateur a débuté comme policier, et c’est également un métier qu’il a joué lors de ses plus grands rôles au cinéma et à la télévision (notamment dans La Piovra au milieu des 80s, dans laquelle il tenait le rôle principal des quatre premières saisons). Dixième réalisation de Placido, L’Ange du mal, biographie du gangster milanais Renato Vallanzasca, leader de la “banda della Comasina” avec laquelle il faisait régner la terreur sur la Lombardie. S’il est méconnu chez nous, Vallanzasca est la figure la plus célèbre du grand banditisme rital des années ’70-’80.
Le biopic de Vallanzasca est un projet qui a vu le jour après 30 ans et plusieurs avortements: au début des années ’80, alors que le “beau René” était trop occupé à effrayer Milan et à s’échapper de taule, le mythique Fernando Di Leo a tenté de saisir le moment pour réaliser un film sur les origines de Vallanzasca et ses premières années de terreur. Pour le rôle, l’acteur pressenti était un jeune qui avait déjà fait ses preuves, et qui répondait au nom de… Michele Placido. Au même moment, en France, on pense à une coproduction avec l’Italie pour faire un film sur le même sujet (sans savoir, évidemment, que Di Leo préparait son projet), et c’est Alain Delon, rien que ça, qui est proposé pour jouer le gangster. Ce qui est sûr, c’est que sortir en même temps deux films sur Vallanzasca, l’un avec Delon, l’autre avec Placido, c’est toujours mieux que faire deux remakes de La guerre des boutons. Malheureusement, les deux projets seront mort-nés, ce qui est encore plus triste quand on voit que les deux remakes de La guerre des boutons, eux, se sont vraiment faits. En 1999, l’autobiographie de Vallanzasca sort, et relance les discussions sur une éventuelle adaptation de sa vie au cinéma. Le projet se concrétisa au début des années 2000, avec un réalisateur/producteur (Claudio Bonivento), un scénario, une ambiance toute trouvée, et un casting: Sean Penn était envisagé pour le rôle-titre, aux côtés de Charlotte Gainsbourg. C’est finalement Riccardo Scamarcio qui se vit proposer le rôle du gangster, sur conseil de Vallanzasca lui-même. Dès 2002, Bonivento travailla plus sérieusement sur le film, avec l’aide de Fernando Di Leo (décédé malheureusement quelques mois plus tard), et confirma à plusieurs reprises que le film se ferait. Mais c’est connu, les italiens sont des menteurs, et personne n’a plus jamais entendu parler de ce projet. En 2007, c’est Marco Risi, le fils de Dino, qui se voit confier la direction du film, plus inspiré cette fois par les lettres échangées entre le gangster et Antonella D’Agostino, son amie d’enfance. L’idée fut, encore une fois, mise de côté, et c’est seulement en 2008, quand la branche italienne de la 20th Century Fox approcha Michele Placido pour mettre en route un (nouveau) projet de film sur Vallanzasca, que tout a été revu depuis le début. Ecrit initialement par Placido, d’après la lecture de la fameuse autobiographie, Kim Rossi Stuart, Antonella D’Agostino et Gerardo Amato (frère de Michele Placido, et interprète du père de Vallanzasca dans le film) ont, entre autres, apporté leur patte au scénario. Le film est finalement sorti le 21 janvier 2011 en Italie, et malgré son succès public, a été massacré par les critiques.
L’Ange du mal est pourtant un film qui mérite le détour. D’abord pour le personnage, et son interprétation magistrale (Kim Rossi Stuart, même après vingt ans de carrière, ne cesse de se bonifier): Vallanzasca n’est pas glorifié ni élevé au rang d’idole. On sent que Michele Placido ne veut pas le juger (il a d’ailleurs dit lui-même que la justice s’en était chargée pour lui), mais après le succès des Mesrine (qui a fait un carton en Italie) et autres films de gangsters moins récents, comment ne pas prouver de l’intérêt pour ces histoires vraies, parfois vécues par le spectateur à l’époque, qui nous sortent de l’ordinaire? Car après tout, L’Ange du mal n’est rien d’autre qu’un divertissement, au sens noble du terme: Placido qui souhaite divertir le spectateur en même temps qu’il lui raconte une histoire vraie, et c’est sans se cacher qu’il affirme avoir fait “un film d’action”, et non pas une biographie ou un film à caractère historique qui porterait un jugement sur les actes du protagoniste. La grande force de Vallanzasca, ce qui le rend fascinant, c’est que c’est un vrai gangster, un pur et dur: ne travaillant pour le compte de personne, il fait le mal pour le mal, n’a aucune idée politique derrière ses actes. Il est plus proche de Tony Montana que de Lee Harvey Oswald. Il aime porter de grandes marques, fréquenter les clubs à la mode… Sa vie semble un peu trop romancée, mais la réalité dépasse parfois la fiction, puisque rien n’a été exagéré ni changé par rapport à la réalité.
On retrouve en effet tous les éléments classiques du film de gangsters dans sa vie: l’ascension et la chute du mythe (qui se solde ici par une ultime incarcération, puisque Vallanzasca est toujours derrière les barreaux depuis 1987, après quatre condamnations à perpétuité + 290 ans de réclusion), le frère ennemi (Enzo, interprété par Filippo Timi, l’acteur italien le plus talentueux de ces dernières années), l’humour cynique du personnage, les multiples histoires d’amour, un charisme qui énerve les flics mais ravit les foules, et un degré de violence qui effraie les médias.
La plupart des critiques françaises et italiennes ont reproché au film de faire l’impasse sur les années de plomb, de taire cette période qui a mis l’Italie à feu et à sang, et durant laquelle a sévi Vallanzasca, mais c’est parce qu’il n’est justement pas lié à ces événements qu’ils ne sont pas cités. On a également reproché à Michele Placido de faire un film insipide parce qu’impersonnel, comme si les bons films de gangsters devaient forcément porter un jugement sur les actes du criminel qu’ils mettent en scène. Lorsque Jean-François Richet fait son extraordinaire diptyque sur Mesrine, il sait que le fait de montrer les tireurs du BRI qui abattent le gangster sans aucune sommation fera polémique. Lorsque Ridley Scott raconte l’histoire de Frank Lucas dans American Gangster, il ne prend clairement aucun parti, se contentant juste de raconter une histoire. Ces deux films sont-ils pour autant mauvais? Et on peut se poser la question pour des tas d’autres films, comme le Scarface d’Howard Hawks par exemple…
Les vrais gros défauts du film résident surtout dans le montage, qui déborde parfois dans le style vidéoclip et fatigue très vite, ainsi que dans la B.O. à la limite du supportable du groupe Negramaro. Malgré son succès public évident en Italie, Vallanzasca n’arrive que moyennement à convaincre notre public et très moyennement nos critiques. De toute évidence, Michele Placido a fait un film très italien, sur un personnage qui n’a pas de réelle signification pour nous et que nous ne pouvons connaître qu’à travers ce film (et un article Wikipédia, probablement). On aime ou on n’aime pas.