Norwegian Ninja 2


Depuis l’année dernière, des petites perles nous arrivent tout droit de la Norvège, tantôt drôles, tantôt étranges, tantôt étrangement drôles (ou drôlement étranges, j’arrête parce que ça fait 4 fois que je répète ces deux mots dans la même phrase) : la trilogie Cold Prey, The Troll Hunter et autres Dead Snow en sont les trois illustres exemples qui sont arrivés en France ces derniers mois. (voix inquiétante de narrateur de bande-annonce ) Mais il y a des films… des films bien plus méconnus… Des films encore inédits chez nous, mais qui ne le méritent pas… Des films… Oui, des films… Filmés en Norvège avec des acteurs norvégiens, qui parlent pas français. (retour à la normale ) Parmi ces grands films à petit budget, Norwegian Ninja, une péloche complètement déjantée qui revisite l’Histoire contemporaine de la Norvège façon kitsch.

Pour commencer, petite leçon d’histoire : en 1984, la guerre froide continue à être menée tambour battant, surtout depuis l’expansionnisme de l’URSS et l’élection de Ronald Reagan, le meilleur ami du singe. Mais un fait important va marquer la Norvège et l’Europe toute entière : l’arrestation d’Arne Treholt, diplomate norvégien, et sa condamnation pour trahison au profit de l’URSS et de l’Irak. Aujourd’hui encore, son cas est considéré comme l’un des plus graves cas d’espionnage de la guerre froide. S’il est utile d’expliquer tout ça, c’est parce que le protagoniste de Norwegian Ninja n’est autre que le fameux Arne Treholt, ninja style.

Le film de Thomas Capellen Malling se pose clairement comme l’un des métrages les plus barrés qui soient : réalisé sur le modèle des films d’action de série B des 70s, avec des effets kitschissimes et un scénario bien trop improbable, Norwegian Ninja est tout simplement un film autre, au-dessus de l’imagination du commun des mortels. A l’origine du film, un livre écrit par le même Malling, un manuel de combat ninja prétendu être écrit par Arne Treholt, et malgré son absence d’expérience dans le milieu cinématographique, l’Institut du Film de Norvège offre à l’auteur la possibilité de réaliser une libre adaptation de son roman. Ainsi sort Kommandør Treholt & ninjatroppen, traduit pour l’international par Norwegian Ninja. Le film est une uchronie qui débute dans un 1978 alternatif, et dans lequel Treholt n’est pas le fameux espion mais un Maître ninja à la tête d’une équipe top secrète aux ordres du Roi Olav V de Norvège, chargés de s’attaquer aux ennemis d’Etat.

Impossible de ne pas penser à Inglourious Basterds (autant à celui de QT qu’à l’original de Castellari, l’acteur Mads Ousdal cultivant une certaine ressemblance avec le suédois Bo Svenson) devant ce film, et pourtant il n’y a que peu de ressemblance entre les deux œuvres. Si Tarantino garde son style habituel, Malling opte pour une mise en image beaucoup plus kitsch et plus fidèle aux films de ninjas les plus délirants, notamment à travers l’utilisation de filtres de couleurs (rouge, bleu, presque tout y passe) et d’effets visuels en stop-motion à faire frémir Spielberg et Michael Bay (à l’heure où les effets numériques sont utilisés pour tout et n’importe quoi, c’est à la fois un véritable affront et une décision intelligente et très efficace). Autre fait intéressant qu’on peut rapprocher de Tarantino : Malling aussi connaît bien son histoire, et se permet de la déformer pour livrer ce film complètement nonsense. De traître, Arne Treholt passe au statut de héros norvégien salvateur et miraculeux, en y introduisant une folle théorie du complot. Là où Tarantino ne s’attarde pas (la France occupée, la résistance), le réalisateur du pays du Père Noël approfondit plus de faits réels sans pour autant y faire participer des personnages historiques (dans le long-métrage, seuls Treholt et le Roi Olav V ont existé), et sont impliqués dans le complot les stay behind, organisations clandestines de l’OTAN visant à repousser une éventuelle invasion des poupées URSS (à lire comme un seul mot, sinon l’astuce ne fonctionne pas), qui combattent également les ninjas norvégiens.

Mais le film n’est pas simplement une œuvre qui surfe sur le style Tarantino : Malling insère moult éléments appartenant à l’univers du film de ninjas. On retrouve, comme souvent dans ce sous-genre, le Maître ninja (Arne Treholt) et les membres de son équipe, parmi lesquels le traître (Black Pete) et l’Elu (le Bourdon), celui qui est destiné à devenir un Maître. Le film, en apparence simple et complètement barré, comporte en réalité plusieurs niveaux de lecture, suivant les références et les éléments ancrés dans la réalité ; on peut reprocher à Malling d’avoir réalisé un film un peu foutoir, mais c’est comme reprocher à Luc Besson de produire des films racistes, c’est ce qui en fait la force. En ce qui concerne les références aux films de ninjas, rien n’est négligé : de l’entraînement à la présentation des armes, en passant par les ninjas qui apparaissent et disparaissent dans un éclat de fumée blanche, on bascule entre l’hommage sérieux des films pas sérieux, et la parodie pure et simple. Ca peut déstabiliser le spectateur, mais ça reste néanmoins très maîtrisé.

La décennie ’70, synonyme des années de plomb, de la violence omniprésente, de l’apogée du terrorisme et des guérillas engendrées par la guerre froide, passionne énormément les cinéastes européens actuellement, on a pu le voir avec le succès du diptyque Mesrine, en Allemagne avec La bande à Baader, ou en Italie avec les récents films de Michele Placido. La Norvège exploite également le filon, mais avec plus d’originalité, et livre enfin un film sur le grand personnage historique de ces années-là. En 1992, Treholt est sorti de prison après avoir purgé une peine de 8 ans (sur les 20 ans qu’il était censé y passer), et vit aujourd’hui à Chypre où il exerce la profession d’homme d’affaires. Son autobiographie est sortie en 2004, et il a approuvé totalement le livre et le film. Pas de doute qu’il devienne (malgré lui ?) une nouvelle icône de la pop culture made in Norway.

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A propos de Valentin Maniglia

Amoureux du bis qui tâche, du gore qui fâche, de James Bond et des comédies musicales et romantiques. Parle 8 langues mortes. A bu le sang du Christ dans la Coupe de Feu. Idoles : Nicolas Cage, Jason Statham et Michel Delpech. Ennemis jurés : Luc Besson, Christophe Honoré et Sofia Coppola.


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2 commentaires sur “Norwegian Ninja