Fort d’un succès à 4,3 millions d’entrées en 2015 pour Les Aventures d’Aladdin faisant de lui le plus gros succès français de 2015, Kev Adams rechausse ses babouches de Prince de Bagdad pour affronter l’infâme Jamel Debbouze. Si le premier opus était un ego-trip à la gloire de Kev Adams, il semblerait que sa suite ait changé de cible. Cela pourrait apparaître comme une sortie de route que Fais pas Genre ! vous parle d’une comédie populaire comme celle-ci, mais on s’est dit que ce conte fantastique où l’on croise des génies sortis de lampes magiques méritait tout de même qu’on se penche un peu sur son cas…
Aladdin 2 : le retour de Jamel
Je n’ai pas détesté Les Nouvelles Aventures d’Aladdin (Arthur Benzaquen, 2015). Si les gags ont ricoché sur moi, je pense que ce n’est pas tant qu’ils sont ratés, mais plutôt que je ne faisais tout simplement pas partie du public ciblé. Je pense que le film réussit à parler à une jeune génération dont je ne partage pas forcément toutes les références…Mais la force d’un produit réussi n’est elle pas de parler à tout le monde ? C’est donc sur ce constat que je suis allé voir cet Alad’2 (Lionel Steketee, 2018) avec une curiosité presque innocente. Le film débute sur une séquence plutôt sympathique, dans laquelle on voit une ombre s’infiltrer dans ce qui semble être le palais d’Aladin pour tenter de cambrioler la chambre forte. Mais on déchante bien vite à travers la séquence suivante en tapis volant dans laquelle on peut voir toute l’étendue de la désolation des effets-spéciaux numériques que l’objet va nous servir jusqu’à plus soif. Le titre apparait, l’ambiance est lancée, ce film sera moche. Mais ce n’est pas là qu’est le principal point préoccupant.
Le récit prend deux gros virages qui peuvent désorienter lors de son intrigue. Le premier est l’arrivée de l’antagoniste Shah Zaman, incarné par Jamel Debbouze. Immédiatement le public sera séparé en deux factions : ceux qui seront ravis de revoir Jamel au top de sa forme « comique » et qui se réjouiront de sa performance – car il s’en donne à cœur joie et on ne peut pas le lui reprocher – et ceux qui seront exaspérés en constatant que le comédien n’a jamais évolué dans son jeu comique et nous ressort les mêmes mimiques à base de français approximatif (le fameux « Cours Amstérixme !») et les mêmes reprises yaourt de chansons populaires. Jamais on ne croit au personnage de Shah Zaman, on ne voit en réalité qu’une pâle copie du Numérobis de Mission Cléopâtre (Alain Chabat, 2002) ou bien encore du Jamel de la sitcom H (1998-2002). Des acteurs qui se renouvellent pas ou peu, au fil des rôles et des années, ce n’est pas si rare, mais ce ne serait pas trop un problème ici si le récit ne propulsait pas Jamel au rang de personnage principal, ses scènes se multipliant, lui faisant bénéficier certainement d’un plus grand temps de présence que Kev Adams lui-même.
Ce dernier, même s’il se fait largement voler la vedette par Jamel, bénéficie d’un traitement un peu hasardeux. Si le principe du film précédent le voyait forcé de raconter une histoire de son cru à des enfants dans un supermarché, et qu’il craignait d’avouer à sa fiancée de bonne famille qu’il ne faisait pas partie du même monde (évidente comparaison avec le récit d’Aladdin qui nous permet de raccrocher à son histoire), la partie « monde réel » du récit est très sous exploitée. Le principe qui faisait l’originalité du premier épisode ne fonctionne plus, et on ne s’attache pas au personnage de Kev Adams, ni à son alter ego Aladdin. Il ne reste alors que l’humour auquel nous accrocher, et je vous renvoie donc à mon introduction : soit vous êtes la cible et cela peut fonctionner sur vous, soit vous ne l’êtes pas (c’est toujours mon cas) et vous passerez un bien mauvais moment. Du moins, peut-être, jusqu’au deuxième virage du film.
Car en effet le long-métrage prend une nouvelle tournure lorsqu’Aladdin retrouve son génie, incarné par l’inénarrable Eric Judor. On a alors le droit à une (trop) longue séquence d’enchainement de situations comique provenant du fait qu’Eric ne contrôle plus ses pouvoirs. Tout ceci est le prétexte à un emballement du scénario dont la suite semble provenir d’un brainstorming lors duquel les scénaristes font de la libre association d’idées sans aucun filtre. On imagine vraiment un scénariste en réunion sortir de manière enjouée « Et là Aladdin se retrouve chez La reine des neiges ! iIs font des jeux de mots sur Libérée Délivrée, ce sera drôle ! Oh et puis ensuite on pourrait l’envoyer en Afrique, et là on fera apparaitre Frédéric Lopez qui fait des blagues sur Rendez-vous en terre inconnue ! Ah et puis après il tombe sur Gérard Depardieu qui incarne Christophe Colomb ! Et on a qu’à dire qu’après il se retrouve dans l’espace et il frappe Jar Jar Binks avec une morue séchée !!!! ». Bon j’avoue que la dernière est fausse, mais elle n’aurait pas été étonnante ! Le délire se prolongera par des scènes incohérentes et des caméos improbables jusqu’à la fin. Le point positif reste donc toutefois la prestation du duo Eric & Ramzy qui incarnent l’un et l’autre des génies. S’ils sont sans aucun doute les deux acteurs les plus remarquables du projet, c’est que le fameux duo, au contraire de Jamel, peut se tarir d’avoir vraiment fait évoluer son jeu comique au fil des années. Si Ramzy par ses choix de rôles et de films a amené son jeu vers quelque chose de plus contrôlé, gagnant en crédibilité et en simplicité, Eric quant à lui s’est offert des partitions – de Platane (2011-2019) à Problemos (Eric Judor, 2017), en passant par le récent Roulez Jeunesse (Julien Guetta, 2017) ou ses passages chez Quentin Dupieux – qui lui permettent de montrer un éventail large de son talent comique, de l’art de l’improvisation, son sens du timing et du ping-pong verbal, et un sensible décalé. A bien des égards, malgré un bref retour avec La Tour 2 Contrôle Infernale (Eric Judor, 2016) à l’humour absurde et « gogole » (comme ils aiment le dire eux-mêmes) de leur début, le duo a délaissé le côté « folie ingérable » qu’ils arboraient dans le mythique La Tour Montparnasse infernale (Charles Nemes, 2001) et toutes les comédies des débuts 2000 qui ont suivies.
Difficile alors de considérer Alad’2 comme un très mauvais produit, dans la mesure où il plaira inévitablement à une tranche du public (ce que semble confirmer son démarrage). Il a seulement le défaut d’être très excluant pour les autres tranches : on assiste à un film somme toute très générationnel – comme l’était La Tour Montparnasse Infernale avant lui – parlant au public jeune en se jouant du canevas du conte traditionnel en le bardant de références générationnelles (les réseaux sociaux, les artistes musicaux, la bande du Jamel Comedy Club…). Malheureusement en dehors de quelques blagues ciblées, rien ne vient soutenir le long-métrage pour ceux qui y seraient hermétiques, que ce soit au niveau du scénario, de l’intention du film ou même des acteurs (le caméo de Depardieu semble arriver comme un cheveu sur la soupe), là où le Astérix de Chabat était assez généreux et intelligent pour parler à tout le monde.