Présenté à Cannes en 2017, il aura fallu un peu plus d’un an pour pouvoir poser nos yeux sur le nouveau film de John Cameron Mitchell. Le réalisateur de Shortbus (2005) revient presque huit ans après son dernier long avec une adaptation personnelle, rafraîchissante et parfois étrange d’une nouvelle de Neil Gaiman, How To Talk to Girls at Parties.
Do more Punk to me !
Neil Gaiman est sans doute l’un des auteurs les plus prolifiques et respectés en activité. Si vous êtes étrangers à l’œuvre assez colossale de l’auteur anglais, sachez qu’il n’est pas nécessaire d’en connaître les arcanes pour apprécier ce film, il peut être même une bonne introduction. Cela étant, on ne peut que vous conseiller vivement de vous y mettre… vous ne serez pas déçus par le(s) voyage(s). Il faut dire qu’au cours de sa trentaine d’années d’activité, Gaiman s’est attaché à de nombreux médiums pour laisser libre cours à son imagination : comic books – on lui doit entre autre le chef-d’œuvre Sandman – romans, jeux-vidéos ainsi que l’écriture de scénarii pour la télévision –, quelques-uns des meilleurs épisodes du revival de la série Doctor Who – ou encore le cinéma puisqu’il a co-écrit avec Roger Avary le scénario de La Légende de Beowulf (Robert Zemeckis, 2007). L’oeuvre de Gaiman a également été de nombreuses fois adaptée pour des résultats toujours singuliers, du conte de fée décalé Stardust (Matthew Vaughn, 2007) au fabuleux Coraline (Henry Selick, 2009). Des œuvres qui doivent beaucoup à l’imagination originelle de l’auteur mais aussi à ceux qui ont porté ces projets… et cette adaptation de How To Talk to Girls at Parties ne déroge pas à la règle.
Publiée en 2006, la nouvelle – qui a déjà eu droit à une adaptation sous la forme d’un roman graphique par Gabriel Ba et Fabio Moon – s’intéresse à un jeune homme timide du nom de Enn qui se rend avec deux amis à une soirée où toutes les filles semblent venir d’une autre planète… ce qui est le cas ! Le premier changement apporté par Mitchell par rapport à la nouvelle est de faire de Enn et ses amis de jeunes lycéens punks dans l’Angleterre des années 1970. Artiste dans l’âme qui écrit et dessine de petites histoires dans un fanzine, Enn va faire la rencontre de la belle Zan qui va se rebeller contre le groupe et partir à la découverte du monde aux côtés de notre protagoniste.
Les fans de John Cameron Mitchell seront peut-être un peu déçus s’ils cherchent l’univers si caractéristique de son auteur, reconnu pour être ancré dans le politiquement incorrect délibérément à la marge. Néanmoins, Mitchell parvient à insuffler une vraie énergie qui donne parfois à cette histoire d’amour un peu douce une sacrée décharge aux relents de bière, de sueur et de tabac sur une musique énervée, fleuron d’une contestation et d’une contre-culture qui continue encore aujourd’hui de fasciner et d’inspirer. En outre, le réalisateur cherche plus à retranscrire une époque qu’à la recréer en plaçant sa romance dans le début de la fin d’une utopie, cette tranche de vie d’un mouvement qui commence à sentir le sapin, tiraillé entre son esprit et des aspirations commerciale au moment où certaines des figures de proue du mouvement Punk se dévoient à signer chez les majors. Ajoutons à cela un humour so british bienvenu ainsi qu’un design pour les aliens qui rappelle les grandes heures de la série Doctor Who – c’est à dire kitch à souhait.
Mais le long-métrage n’est pas qu’un film d’époque, une coming of age story ou simplement une petite ballade romantique kitch. Le réalisateur use de l’humour et de l’énergie de la musique pour rythmer sa narration et sa mise en scène avec des plans en courte focale accentuant la bizarrerie de cet univers mais aussi laissant les personnages bouger librement dans le cadre. Au détour de quelques scènes, de blagues et de l’innocence de certains des personnages, le récit aborde quelques thèmes sérieux tels que l’amour, la parentalité, l’idée de rébellion pour ne citer qu’eux. Même s’ils ne sont pas traités pleinement, il se dégage une certaine fraîcheur du métrage ainsi qu’une étonnante profondeur… How to Talk to Girls at Parties est donc à l’image d’un album de punk de la grande époque : plein d’insouciance, de rage, d’énergie et d’une envie de faire bouger les choses. Le fait que le film se déroule précisément à l’époque de la célébration du jubilé de la reine Elizabeth II ne peut pas être dû au hasard… Même si elle est porteuse de quelques défauts et n’est pas l’œuvre radicale que l’on attendait de Mitchell, cette adaptation de la nouvelle de Gaiman demeure une vraie surprise qui nous transporte du début à la fin. Sortez les rangers, les vestes cloutées, remettez vos plus beaux pins et faites-vous vos plus belles crêtes pour foncez voir ce qui est sans doute l’un des objets les plus attachants de cet été, voire peut-être de l’année.