Der Samurai


Une fois n’est pas coutume, un film de genre assez borderline nous vient tout droit des contrées germaniques. Der Samurai se flatte d’un bon bouche-à-oreille jusqu’à présent, tablant sur son pitch étonnant et bouffant à plusieurs râteliers. Sur le papier, dit comme ça, ça a l’air bien mais…

Théorie des genres

Le cinéma germanique s’exporte bien de manière générale et a pu jouir de plusieurs succès publics et d’estime comme Good Bye, Lenin ! (Wolfgang Becker, 2002) évidemment, La vie des autres (Florian Henck Von Donnersmarck, 2006) ou encore La vague (Dennis Gansel, 2008)… Je ne vais pas vous faire une liste plus longue, on a tous des noms en tête. Par contre si les antécédents sont illustres en pensant à l’expressionnisme, l’Allemagne n’est aujourd’hui pas vraiment une terre privilégiée du cinéma de genre, la production étant à peu près aussi foisonnante qu’en France, c’est dire. Masks (Andreas Marschall, 2011) pourrait être qualifié de dernier frisson teuton ayant fait du bruit dans nos contrées, en remportant notamment le prix du public au PIFF (Paris International Fantastic Film Festival), mais les exemples ne sont pas légion. Du coup, lorsque vient à l’oreille la bonne réputation de Der Samurai construite ça et là dans les festivals du monde entier, la curiosité ne peut qu’être piquée et l’on se prend à se précipiter d’urgence, en bon retardataire cinéphilique, à la dernière séance du dernier jour d’exploitation, pour ne pas passer à côté.

1h19 plus tard, je me dis que j’aurais peut-être dû passer ce temps de ma vie à taquiner la pinte, dans un des troquets pas loin, rue Galande, plutôt que d’essayer d’être embarqué par ce truc déjà sur le papier tiré par les cheveux. L’action prend place dans un village d’Allemagne, un petit village, où les policiers municipaux ne sont que deux (élément plutôt révélateur). L’un d’eux est le personnage principal, Jakob. Trentenaire dénué de toute espèce de charisme et d’expressivité, Jakob vit seul avec sa grand-mère dont il a la charge et subit les moqueries de la seule bande de jeunes du village qui n’hésite pas à le traiter de puceau sans aucune répartie de notre héros (même pas une du genre « Pff je suis même pas puceau d’abord, j’ai déjà touché une zézette »). Heureusement, quelque chose vient bousculer cette vie de merde : l’irruption dans le patelin d’un travesti, un homme blond maquillé et uniquement vêtu d’une robe de nuit féminine (ça rappellera Last Days de Gus Van Sant) qui fout le bordel avec son sabre de samouraï. Il commence par tailler des haies, puis des individus. Le film dépeint la traque, durant une nuit, du travesti samouraï par le policier faiblard.

Der Samurai est construit sur le rapport entre le fou au sabre et le flic looser, le premier représentant peu à peu un alter-ego de force, de violence et de liberté en opposition à la fadeur valétudinaire du second. Le samouraï va symboliquement s’attaquer à tout ce qui entrave Jakob dans sa vie quotidienne, de la bande moqueuse citée plus haut à la grand-mère sénile qui lui fait passer des soirées désespérantes à jouer aux cartes, en passant par le commissaire son patron… Le tout sous le regard perdu de notre policier des campagnes qui ne fout pas grand-chose jusqu’à la fin et on se demande bien pourquoi. Okay, le personnage est un incapable, on a compris. Mais à ce point-là, c’est un peu trop forcer la caractérisation, en plus de pisser allègrement sur toute notion de réalisme psychologique. Rien à faire, un personnage principal bel et bien impuissant de bout en bout donc… Et le mot « impuissant » n’est pas du tout choisi par hasard.

De peur d’en manquer dans la symbolique grasse, un sous-texte homosexuel irrigue le long-métrage. Comprenant que le samouraï était l’alter-ego de Jakob, et l’alter-ego en question étant travesti, on pouvait déjà se douter d’un truc, mais plusieurs scènes appuient l’idée que la réalisation de notre triste gardien de la paix, sa transformation en homme, passe par l’acceptation de son homosexualité. Ainsi, après une scène de danse à la forte teneur gay, comme un peu plus tôt dans le film lors d’un rêve éveillé où le travesti apparaît dans une fête adolescente attendant que Jakob vienne lui demander une danse, le paroxysme de ce sous-texte est très lourdement atteint lors de la confrontation finale : face à notre flic qui le tient en joug avec son revolver, le travesti est nu (je vous explique par pourquoi, y a une certaine thématique de l’animalité dans le film mais qui n’est pas exploitée et ne sert à rien) et surtout, bande vaillamment. Vous avez bien lu. Il n’y a aucune scène de nudité dans le film, pas une minute de sexe ou d’érotisme et tout d’un coup, à une minute de la fin, vous avez un gros plan sur un pénis en érection. D’accord. Ecce homo, on va dire.

Je sais ce que vous pensez, et je vous arrête tout de suite : si ce n’est quelques touches d’humour noir, Der Samurai est en plus absolument premier degré. L’attaque d’un travesti en chemise de nuit avec un sabre de samouraï et tout ce que je vous ai décrit, est traité au premier degré. AU PREMIER PUTAIN DE DEGRÉ. Jugé sous l’angle humoristique, on aurait pu justifier tout ça par l’absurde, le loufoque. Mais quand c’est terriblement sérieux, essayant de nous faire peur avec une lumière très contrastée, voire baroque, assez frappante selon les scènes, et avec une réalisation plate digne d’un téléfilm, on se demande s’il y a quelqu’un qui a pensé à faire de ce long-métrage quelque chose de réfléchi, de cohérent et d’harmonieux. Vous pouvez imaginer un mélange entre un film chanbara, Dario Argento, Larry Clark, et un épisode de RIS Police Scientifique tourné au fin fond de la Bavière ? Vous n’y arrivez pas ? Bravo, vous avez déjà 112% de chances de faire un meilleur film que Till Kleinert.

Écrit avec la finesse d’un hardeur spécialiste en gang-bang sauvage dans une usine désaffectée du Loiret, mais arrivant à être confus quand même (être grossier mais confus, faut le faire), Der Samurai est si disgracieux qu’écrire cette critique avec du sens et un semblant de structure a été vraiment dur. S’il vous plaît, arrêtez de faire des films cons, ça nous aidera à écrire des articles intelligents.

Alexandre Santos


A propos de Alexandre Santos

En parallèle d'écrire des scénarios et des pièces de théâtre, Alexandre prend aussi la plume pour dire du mal (et du bien parfois) de ce que font les autres. Considérant "Cannibal Holocaust", Annie Girardot et Yasujiro Ozu comme trois des plus beaux cadeaux offerts par les Dieux du Cinéma, il a un certain mal à avoir des goûts cohérents mais suit pour ça un traitement à l'Institut Gérard Jugnot de Jouy-le-Moutiers. Spécialiste des westerns et films noirs des années 50, il peut parfois surprendre son monde en défendant un cinéma "indéfendable" et trash. Retrouvez la liste de ses articles sur letterboxd : https://boxd.it/s2uTM

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