Neil Jordan est de retour dans le feu de l’action ! Pour sa troisième incursion dans le monde du film de vampires, le cinéaste irlandais compose une œuvre magnifique sur le mal être de ces créatures de la nuit, adaptée d’une pièce de théâtre. Une grande réussite.
Vampire Chronicles
Clara et Eleanor Webb, une mère et sa fille, sont deux vampires qui errent à travers le Royaume-Uni depuis le XVIIIe siècle. Elles sont jeunes, elles sont belles. Pour gagner leur vie, Clara se prostitue depuis deux cents ans et tue sans hésiter tous ceux qui se mettent en travers de son chemin, ou qui savent ce qu’elle est vraiment. Eleanor, elle, est très différente : elle écrit beaucoup, joue du piano, et déteste sa vie de vampire : elle ne tue d’ailleurs que les personnes qui sont prêtes à mourir, c’est-à-dire les personnes âgées ou gravement malades. Ensemble, elles vont déménager dans une petite ville côtière d’Irlande, sans forcément savoir qu’elles y ont déjà vécu il y a bien longtemps…
Mine de rien, ça fait déjà presque cinq ans qu’il n’a pas réalisé de long métrage, Neil Jordan. Depuis Ondine, dans lequel il mettait en scène Colin Farrell, il n’a quand même pas chômé, puisqu’il a planché sur l’adaptation de la vie de la famille Borgia pour la superbe série qu’il a créé, écrit et réalisé pour Showtime, The Borgias, et qui prendra fin l’année prochaine, après trois saisons. Mais cette année, il revient au cinéma, et pas n’importe comment puisqu’il livre de nouveau un film de vampires, genre qui a révélé au monde entier le talentueux cinéaste qu’il est, avec Entretien avec un vampire (1994). Et de même qu’à l’époque, il utilisait Anne Rice, auteure du roman Entretien avec un vampire, pour écrire le scénario du film, il fait appel à Moira Buffini, la dramaturge qui a écrit la pièce A Vampire Story, pour signer le script de son adaptation, Byzantium. De plus – c’est à se demander s’il s’agit vraiment d’une coïncidence – alors que Brad Pitt et Tom Cruise, les deux beaux gosses du cinéma américain de l’époque, il choisit Gemma Arterton et Saoirse Ronan, qui sont sans conteste deux des plus belles actrices britanniques du moment, pour le duo de vampires de cette nouvelle œuvre. On peut déjà imaginer que, lors de sa sortie française (s’il y en a une, puisqu’aucune date de sortie n’a encore été communiquée), personne ne pourra s’empêcher de comparer Byzantium à son illustre prédécesseur en matière de films de vampires de ce même réalisateur. Pourtant, Jordan sait, comme tout auteur digne de ce nom, se renouveler, et livre un grand, voire un très grand film qui, s’il ne fera pas oublier Entretien avec un vampire, a tout le potentiel pour lui faire de l’ombre.
Neil Jordan, à travers son Byzantium, réalise un film symptomatique de ce qu’est le cinéma britannique de ces vingt dernières années, que ce soit dans le fond comme dans la forme. Grâce à ses deux héroïnes, unies par les liens du sang (sans jeu de mots) mais aux personnalités complètement opposées, le cinéaste se donne l’occasion d’explorer deux des aspects les plus éloquents du cinéma d’Outre-Manche : d’un côté, Gemma Arterton se fait l’incarnation de la violence, de l’agressivité du vampire. Introduite par une scène qui se termine sans lésiner sur le gore, le ton est vite donné pour caractériser cette créature de la nuit, tantôt pute au grand cœur, tantôt prédatrice impitoyable. De l’autre, on a Saoirse Ronan, qui joue tout en retenue en incarnant la candeur et l’innocence de la jeunesse mais en même temps, le côté romantique du vampire. Car Byzantium, c’est surtout un film sur le mal-être du vampire, que Saoirse Ronan personnifie très habilement : elle ne cesse de se poser des questions sur sa situation, ne supporte plus de devoir s’inventer des histoires, n’aime pas la violence – c’est pourquoi elle ne prend que les vies des personnes qui se sont préparées à l’idée de mourir… Bref, elle souhaite être un humain comme les autres, et pas une créature de l’entre-deux-mondes. A travers elles, il met en scène aussi bien le côté romantique des films en costumes qui sont une tradition dans le cinéma britannique mais qui restent encore très populaires aujourd’hui (les films du génial Joe Wright en sont les preuves les plus récentes), que le côté plus sauvage et violent, sans aucune concession, de cette nouvelle vague qui touche un peu tous les genres (notamment le film d’horreur – voir notre dossier sur la Brit Horror) et tous les supports (les séries Dead Set, Black Mirror et la merveilleuse Utopia, par exemple) depuis une quinzaine d’années.
Deux femmes, deux ambiances, deux époques. Ce n’est ni un réel défi, ni un gros pari pour Neil Jordan, mais il est vrai qu’à certains égards, transformer une pièce de théâtre en une œuvre dense qui requiert énormément de moyens – bien que le budget du film, 8 millions de livres, reste relativement peu élevé – aurait pu porter préjudice au projet. Il n’en est rien, en réalité, puisque les somptueux décors de Hastings – une grande majorité des séquences du film se déroulent en extérieur – ne font que desservir la beauté du long métrage. L’hôtel Byzantium, qui donne évidemment son titre au film et qui est le lieu de résidence des deux protagonistes, a lui aussi quelque chose de beau et de mystérieux : de l’extérieur, il ne ressemble pas tout à fait à un hôtel, mais plutôt à une sorte de bordel de bas-étage (ce qu’il devient d’ailleurs dans le film), et de l’intérieur, il possède cette dimension angoissante que l’on retrouve dans les grands manoirs des films de la Hammer ou même dans l’Overlook Hotel. Enfin, Byzantium ne serait pas ce qu’il est sans son choix remarquable de seconds rôles : Caleb Landry Jones, qui semble être l’une des grandes révélations du cinéma indépendant de ces dernières années, prouve qu’il est aussi à l’aise avec de jeunes réalisateurs qu’avec de grands noms (et, cerise sur le gâteau, John Boorman lui a offert le rôle principal de son prochain long métrage) en interprétant des personnages totalement différents à chaque fois. On retrouve également Daniel Mays, trop peu absent du paysage cinématographique britannique, Jonny Lee Miller, qui semble être revenu tellement en force depuis deux ans qu’on le voit partout (Elementary, Dexter, Dark Shadows…), et Sam Riley, qui sait définitivement choisir ses films.