Dans la forêt 1


Après L’autre Monde qui permettait au moins de voir Louise Bourgoin à poil, Gilles Marchant revient avec sa touch de cinéma de genre à la française : Dans la forêt.

Camping 4

Quand on aime le cinéma de genre on est bien obligé de faire cas particulier de celui de notre hexagone, et quand on se plaint de la rareté ou de la qualité des œuvres genresques françaises comme dans cet article rempli de haine, il y a toujours quelqu’un pour nous citer un nom style « Tu es dur, regarde un tel ». L’argument fait rarement mouche mais il est toujours là, comme un beau moyen de se rassurer soi-même ou entre cinéphiles, pommade agréable, arbre qui cache la forêt. Cet arbre, Gilles Marchand peut se targuer d’en être un. Parce qu’il a écrit des trucs un peu badants pour Dominik Moll (Harry un ami qui vous veut du bien ou Lemming par exemple) et a osé faire un film sur le conflit réalité/virtuel dans L’autre monde (inconcevable en France, Assayas s’y était déjà empêtré avec un Demonlover difficilement digérable), on devrait quasiment le considérer comme un fervent défenseur du cinéma de genre français. En interview, dans l’intention, le monsieur est absolument des nôtres, nous partageons ses références, son goût, sa volonté de faire du genre en France. Mais dans l’exécution et le produit fini… Vous connaissez l’expression : du coup faute de grives, on mange des merles. Faute d’avoir des maîtres du genre français, le premier qui réussit un peu à en faire peut être utilisé en porte-étendard par une certaine communauté.

Mais voilà, Dans la forêt est une nouvelle frappe manquée dans le genre hexagonal. Pourtant le postulat de départ, en partie autobiographique, pouvait aboutir à un excellent ouvrage : un père (Jérémie Elkaïm) expatrié en Suède après son divorce, emmène ses deux fils en vacances dans une maison isolée qu’il a acquise au fin fond d’une forêt. Le séjour idéal, or ce papa est taiseux, énigmatique, inquiétant même et le plus jeune de ses fils semble sujet à un pouvoir surnaturel, fait de télépathie et d’hallucinations. Bien qu’il emprunte largement à Shining (isolement, gosse doué d’un truc, rapport au père inquiétant) ce point de départ était original dans le cinéma français et ouvrait des possibilités infinies, avec un tel décor (visuellement, le long-métrage est soigné et épouse la nature suédoise), et notre sensibilité, nos particularismes, nos perceptions de l’enfance, de la paternité etc. Peut-être trop de possibilités justement, et Marchand (ainsi que son co-scénariste Dominik Moll) face à elles, botte littéralement en touche, dans ce coin qui commence à devenir pénible du « Chacun interprète comme il veut ». Lancer des pistes, c’est ce que Dans la forêt sait faire de mieux quitte à perdre son spectateur. Car le jeu d’Elkaïm ne laisse aucune porte d’entrée et qu’il nous est impossible d’y adhérer et les ciments scénaristiques ne sont que lancés à l’image de cette télépathie, éventuel point commun entre le gamin et son père, mais suggéré de manière beaucoup trop large pour qu’on s’y tienne. S’y tenir, c’est à dire avoir tout simplement envie de marcher avec les personnages parce que nous saisissons au moins leurs enjeux intellectuels ou émotionnels. On peut ne pas envisager, raisonner tout ce qui se passe ou ce que tout veut dire, mais on ne passe pas 1h30 avec des gens dans lesquels rien, ou si peu, nous est donné à voir ou ressentir : le dosage est infime, entre le mystère et l’opacité, et c’est un dosage que Marchand rate.

Le ratage est malheureusement aussi du côté du genre que je qualifierai de pur. Si certaines scènes ne manquent pas de tension (paradoxalement, plutôt au début, notamment celle de la psy !), on se rend compte avec le recul que Dans la forêt bouffe à tous les râteliers surtout pas les meilleurs. Entre l’apparition jump scare d’un défiguré, une séquence de photos creepy prises sur un smartphone pendant le sommeil du gosse (autre idée pas expliquée du tout, on appelle ça de la peur pour faire peur), un couple de jeunes campeurs qui baisent (forcément, ils ne peuvent que baiser), Gilles Marchand convoque en fait, plus que Stanley Kubrick, Jacques Tourneur ou La nuit du Chasseur dont il se revendique, les motifs stéréotypiques des slashers style Vendredi 13 et l’horreur toute actuelle des Conjuring et autres Sinister. Sans oublier qu’il abuse évidemment d’une bande originale dissonante qu’il estime certainement suffisante pour angoisser son public…Mais des gens qui rament dans un bateau, quand on ne les comprend pas, qu’on ne sait pas ce qu’ils font, et qu’on ne sait pas ce qu’ils fuient, ça ne reste que des gens qui rament sur un bateau, même avec de la musique stridente. Le mystère a ses limites, et n’est pas David Lynch qui veut…


A propos de Alexandre Santos

En parallèle d'écrire des scénarios et des pièces de théâtre, Alexandre prend aussi la plume pour dire du mal (et du bien parfois) de ce que font les autres. Considérant "Cannibal Holocaust", Annie Girardot et Yasujiro Ozu comme trois des plus beaux cadeaux offerts par les Dieux du Cinéma, il a un certain mal à avoir des goûts cohérents mais suit pour ça un traitement à l'Institut Gérard Jugnot de Jouy-le-Moutiers. Spécialiste des westerns et films noirs des années 50, il peut parfois surprendre son monde en défendant un cinéma "indéfendable" et trash. Retrouvez la liste de ses articles sur letterboxd : https://boxd.it/s2uTM


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