La Loi de la Jungle 2


Paris, Juin 2016, 17h40, votre serviteur sort à l’air libre comme si la face du monde venait de changer et que plus rien ne serait comme avant. Sur le chemin, une révélation préoccupe son esprit : le genre de la comédie française n’est pas destiné à sombrer dans des abîmes de malaise et quelques éclaircies dans le paysage révèle qu’il existe encore des gens drôles en France. Il venait juste de voir La Loi de la Jungle de Antonin Peretjatko et il s’apprêtait alors à rentrer chez lui pour repasser sa bure froissée avant la messe noire de ce week-end attendez non c’est pas ce que je voulais dire comment on efface…

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Pitch oh mon Pitch

Ahem. Bon, où en étions-nous, haha quel déconneur celui-là, des messes noires non mais qu’est-ce qu’il faut pas entendre hein, héhé, hem. Reprenons, voulez-vous. La Loi de la Jungle a été annoncé dans nos salles au cours du mois dernier à travers une bande-annonce qui présageait déjà que nous allions avoir affaire à un film pour le moins inédit parmi nos habitudes de comédies françaises qui ne cessent de repousser les limites de l’indécence et du néant. En effet, sur fond de prélude au Te Deum de Charpentier, celle-ci singe à la fois les vieux spots télévisuels des années 60 et les bandes-annonces telles que celle du Mépris dans laquelle une voix-off énonce les mots-clé du film puis les noms d’acteurs. C’est là qu’opère le déclic. Si il y a plus d’idées dans la bande-annonce de ce film que dans tous les films à venir de Christian Clavier réunis, c’est qu’il est en train de se produire un phénomène inhabituel dans le cinéma français, celui de la seule bonne comédie française de l’année.

LA LOI DE LA JUNGLE 2 PHOTO4La France, au lourd passé colonialiste (mais qui s’en approprie toujours des bénéfices au présent), s’enorgueillit d’un nouveau projet d’envergure qui excite tout le beau monde du ministère des normes : afin d’intégrer la Guyanne aux normes françaises, donc européennes, nos chères chemises blanches créent le projet Guyaneige qui comme son nom l’indique propose la construction d’une station de ski en Guyanne (oui). Puisque bouleverser tout un climat risque d’être laborieux et coûteux pour notre beau pays, il suffira de pomper l’eau des lacs et rivière pour la transformer en neige. Futé n’est-ce pas. Puisque les maquettes sont faites, que les ouvriers sont déjà sur place et que la construction n’attend plus que le feu vert d’un expert en droit des normes européennes, c’est un stagiaire au nom de Marc Châtaigne qui s’y colle. Châtaigne (Vincent Macaigne) est physiquement pataud, à la ramasse, malchanceux et naïf, c’est un peu Pierre Richard mais en plus trapu, avec du bide et de la calvitie. Et moins blond. Et avec deux chaussures assorties aussi. Celui-ci se retrouve en Guyanne et devra suivre Tarzan (Vimala Plons) qui est également stagiaire, mais néanmoins chargée de faire la guide. Tarzan a mieux à foutre, Tarzan est blasée et Tarzan pète des gueules s’il le faut. Autrement dit elle ne sera pas de trop pour empêcher ce balourd de Chataîgne succomber à la première piqûre de moustique venue. Parce qu’il fallait bien annoncer les péripéties, ils se perdent dans la jungle au cours d’une expédition interrompue par des terroristes locaux et le film nous fera suivre leur périple dans ce monde impitoyable. Voici le menu. Rien d’extraordinaire, le schéma classique d’un type arraché à son confort de vie et placé dans un autre en compagnie d’une personne qui lui est opposée en tout point et qui devront braver ensemble les mêmes épreuves.

Seulement voilà, si La Loi de la Jungle ne raconte pas ça mieux qu’un autre, il le fait de façon hilarante. Je me suis longtemps trituré (attendez la fin de la phrase bon sang) les méninges pour établir une liste de références auxquelles le film faisait immanquablement penser. L’humour absurde et pince-sans-rire des Monthy Python ? Le rythme délirant de gags d’un film des ZAZ ? Le comique de répétition et délirant des Nuls ou des Inconnus de la grande époque ? Basta. On ne va pas se tuer à deviner au doigt mouillé d’où vient l’humour qui a inspiré l’équipe derrière La Loi de la Jungle et accordons-lui d’être drôle par lui-même. De toute façon, vous n’aurez pas le temps d’y réfléchir car une avalanche de gags jalonne le film du début à la fin (pas de façon homogène, certes) tout en ayant le bon goût de se succéder sans s’attarder dans des situations de “post-gag” (situations récurrentes durant lesquels les acteurs marquent un temps d’arrêt ou soulignent ce qu’ils vient de se passer pour bieeeeen que le spectateur comprenne qu’il y a eu un gag et qu’il doit donc rire). On y 1311275_backdrop_scale_1280xautoretrouve donc le confort et la maîtrise humoristique des meilleures sélections de films pré-2000 comme La Cité de la Peur (Alain Berbérian, 1994), Calmos (Bertrand Blier, 1978), Y’a-t’il un Pilote dans l’Avion (Zaz, 1980), Sacré Graal (Terry Jones, 1975), etc. Le film va même plus loin lorsqu’il lorgne dans le meta, qu’il se met à titiller les conventions du cinéma en plaçant (à plusieurs reprises) le carton de fin du film en plein milieu de l’action. Le délire s’est également propagé sur le poste de montage de Xavier Sirven qui, en usant de ce que l’on qualifie simplement de faux-raccord, imite les spots de publicité improbables pour des banques lorsque Jean-Luc Bideau persuade Chataigne du bienfondé de l’expédition. Tout au long du film, les voix des personnages sont également pitchées (cf les souris dans Cendrillon), c’est un effet cher à Antonin Peretjatko, qu’il a utilisé dans ses courts-métrages mais aussi dans son premier film La Fille du 14 Juillet (2013) et il ne trouve aucune justification dans son emploi ce qui contribue grandement au délire du film.

Il y a trop de choses excellentes dans les diverses formes de comique employées dans La Loi de la Jungle : le comique de répétition déjà, le running-gag très adroit du stagiaire (tout le monde est stagiaire dans le film), le comique de référence également notamment avec cette réplique de l’huissier qui déclare ne pas aimer le cinéma et qu’il écoute le Masque et la Plume parce que ça lui suffit qui m’a fait hurler de rire, le comique par l’absurde, lors de l’introduction de ce même huissier au début du film accompagné de deux culturistes dont la fonction se résume à détruire les biens lors d’une saisie, et tout ceci profite évidemment d’une équipe qui sait tirer parti des possibilités offertes par l’outil cinéma. La réalisation et la mise en scène de nombreux gags se fait sur deux plans, le premier plus évident qui est le centre d’attention des personnages et du spectateur, et un autre parfois résumé par des bruitages inattendus ou un élément de décors qui donne envie de revoir le film pour en découvrir plus. La marque des meilleures comédies. C’est donc d’abord ce que le cinéma français offre de plus drôle cette année, et de loin, mais soudain, le film choisit de ressembler à tant d’autres et a délaissé sa dimension humoristique au début de sa seconde moitié lorsque, comme dans 99,99999% des films, les deux personnages commencent à flirter ensemble. C’est à cela que je faisais référence plus haut lorsque je mentionnais la répartition des gags au cours du film. Il donne tout pendant la première moitié puis en répartit une petite poignée pendant la seconde qui ne fait plus alors que raconter comment le physiquement ingrat Chataigne séduit la belle Tarzan avant que leur couple ne sorte victorieux de cette jungle impitoyable. Super.

la-loi-de-la-jungle-e1462822175182Vous n’avez jamais trouvé que la plupart des films n’ont pas besoin qu’un couple se forme entre les deux personnages homme et femme principaux pour que l’histoire soit intéressante ? Qu’est-ce que ça apporte ? Des films racontant de magnifiques romances ou qui traitent très bien du sujet du couple et des passions, il y en a d’excellents, mais pourquoi le raconter dans tous les films possibles même quand cela ne sert à rien ? D’où vient ce besoin de former un couple de façon AUTOMATIQUE quand un personnage masculin et un personnage féminin se rencontrent ? Sans doute de bien plus loin que l’histoire du cinéma, mais puisque des films s’en sont très bien passé, cela prouve donc que cela n’a rien de nécessaire, à plus forte raison dans une comédie. Pourquoi toujours ce schéma du type moyen, pas très beau ni malin qui parvient à séduire une femme canon mais JAMAIS l’inverse ? (Enfin si, quand l’inverse se produit, comme dans Empire avec Gabourey Sidibe, ça fait hurler les gens) Et pourquoi, presque à chaque fois que cela se produit le personnage féminin se voit dépossédé de toutes les caractéristiques annoncées en début de film qui en faisaient un personnage intéressant, indépendant et suffisant ? La Loi de la Jungle sombre donc dans cet écueil, Tarzan ne redevient celle que nous promettait le début du film que lors d’une excellente scène de bagarre vers le 3ème tiers du film, librement inspirée des aventures d’Astérix et Obélix. Elle prend bien à un moment l’initiative de piéger Chataigne pour qu’ils puissent tirer un coup sur la plage, mais la motivation derrière cette scène laisse plutôt penser qu’à ce moment-là, ils ne cherchaient plus tant à être aussi drôles qu’au début du film qu’à prétexter des scènes dévoilant Vimala Plons dans son plus simple appareil. Alors oui elle est absolument charmante, mais dans le cadre du film, une comédie de surcroît, on préférait quand c’était un personnage intéressant. Si l’humour c’est transgresser les règles conventionnelles, je trouve intéressant de soulever qu’encore trop de films humoristiques n’arrivent pas à aller jusqu’au bout. Toutefois, La Loi de la Jungle est un film immanquable en cette année 2016, la comédie française qu’il faut aller voir et valoriser avant les autres tant elle rappelle que nous méritons mieux qu’un nouveau Camping. Il réunit une foule d’acteurs talentueux que l’on n’avait pas vu dans des films aussi drôles depuis belle lurette (coucou Pascal Legitimus, Jean-Luc Bideau et Mathieu Amalric), il reproduit les effets de gags des ces comédies que l’on laisse appartenir à une catégorie “obsolète“, à savoir les films cultes, ce qui prouve que la belle époque de la comédie française n’est pas derrière nous.


A propos de Nicolas Dewit

Maître Pokémon depuis 1999, Nicolas est aussi champion de France du "Comme ta mère" discipline qu'il a lui même inventé. Né le même jour que Jean Rollin, il espère être sa réincarnation. On sait désormais de source sure , qu'il est l'homme qui a inspiré le personnage du Dresseur "Pêcheur Miguel" dans Pokemon Rouge. Son penchant pour les jeux vidéoludiques en fait un peu notre spécialiste des adaptations cinématographiques de cet art du pauvre, tout comme des animés japonaises pré-Jacques Chirac, sans vraiment assumer. Retrouvez la liste de ses articles sur letterboxd : https://boxd.it/rNYIu


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