Avec Eden Lake, le scénariste James Watkins passe pour la première fois derrière la caméra. Dans son film, qui met en scène un couple de la ville qui va devoir faire face à une bande d’adolescents agressifs lors d’un weekend à la campagne, il expose bon nombre de problèmes de société, qui en font l’un des chefs-d’œuvre de la Brit Horror, et certainement le film le plus représentatif du discours du nouveau film d’horreur british.
Les révoltés de l’an 2008
Jenny, une maîtresse d’école, part en weekend avec Steve, son petit ami. Celui-ci l’emmène dans un petit village près d’un lac, le lieu tranquille et romantique par excellence. Mais après avoir rencontré une bande d’adolescents bruyants et violents, ce qui devait être un weekend entre amoureux va vite se transformer en cauchemar.
Il est intéressant de voir comment Eden Lake apparaît au premier abord comme une relecture moderne de Sa Majesté des Mouches, en empruntant peut-être aussi un peu au film culte de Narciso Ibañez Serrador, Les révoltés de l’an 2000, et comment, derrière le thriller horrifique qu’il clame être, se cache (entre autres) une constatation très amère de la société britannique vis-à-vis de la jeunesse, et de ce que la société en fait. Le couple est évidemment représenté comme étant « les gentils », et les chavs (équivalents anglais de nos « racailles ») comme les « méchants » (mais ça, c’était avant Misfits) : ultra-violents, ultra-gênants, et avec un QI qui doit se situer quelque part entre Morsay et Benjamin Castaldi. Un regard simpliste sur le film porterait à un discours qui soutiendrait que le réalisateur et scénariste, en affichant clairement sa préférence pour Jenny et Steve, accentue la lutte des classes, fait provenir la terreur de la classe ouvrière et défend la condition des bobos qu’incarnent Kelly Reilly et Michael Fassbender.
En cela, on peut rapprocher Eden Lake des Chiens de Paille ou de Délivrance, lorsque la ville, qui a toujours été synonyme de modernité, de liberté et de progrès (au cinéma, du moins), est salie, et peut même finir par crever de manière dégueulasse au fond d’un trou boueux sans que l’on s’en étonne. Ce que James Watkins raconte à travers son film, c’est l’état d’un pays qui, deux ans à peine après les attentats du métro de Londres, connaît une vague de violence assez incroyable : des études ont même classé le Royaume-Uni en 2009 (l’année suivant la sortie d’Eden Lake), pays le plus violent d’Europe. Le taux de violence urbaine depuis l’arrivée au pouvoir du Labour Party en 1997 n’a cessé d’augmenter, dépassant même largement celui des Etats-Unis lorsque Gordon Brown succède à Tony Blair – le lien entre politique et violence dans les rues est d’ailleurs fait dans The Great Ecstasy of Robert Carmichael. Un chiffre assez glaçant : en 2007, année de tournage du film de Watkins, 927 meurtres ont été recensés dans le royaume. Près de trois par jour. Et cette violence, il est important de le souligner, est exclusivement urbaine – on le voit encore aujourd’hui, avec les récentes émeutes de Londres qui se sont ensuite propagées dans tout le pays. Le propos de l’auteur n’est donc pas de faire croire que tous les pécores sont des putains de dégénérés avec des gamins albinos qui jouent du banjo, mais de montrer l’universalité, l’omniprésence de la violence dans cette société. Ce n’est pas par hasard que les méchants du film sont des gosses qui, après tout, n’ont aucun signe particulier qui permet d’affirmer que ce sont des campagnards. Dans les rues de Londres, Birmingham ou Manchester, ce sont les hoodies qui font peur : les hoodies vivent en ville et les ados du lac peuvent parfaitement être identifiés comme des hoodies. Le dramaturge et cinéaste Philip Ridley réalisera l’année suivante un film très centré sur cette violence urbaine, se déroulant dans la banlieue est de Londres : Heartless, dont nous parlerons plus tard dans notre dossier.
James Watkins a dit d’Eden Lake qu’il est « connecté à la réalité. Ce n’est pas un film de monstres ». Un film de monstres, non, mais un film monstrueux, oui. Comme dans le film de Serrador cité plus haut, un couple de touristes est confronté à une bande de gamins qui cherchent à leur faire la peau. Alors que Steve est attaché avec du fil barbelé, à la merci des jeunes qui le torturent sans retenue, Jenny est confrontée à la grande question que soulève le film : une maîtresse d’école – par conséquent, une femme qui aime les enfants – peut-elle commettre un acte de barbarie extrême sur des personnes encore mineures, étant donné leur dangerosité ? En d’autres mots, la traduction anglaise du titre du film de Serrador : « Who can kill a child ? ». Ce long-métrage espagnol date de 1976 et commence par une série d’images d’archives, filmées durant différentes guerres du 20è siècle, montrant exclusivement des cadavres d’enfants, sur lesquelles vient ensuite se greffer le titre, marque d’ironie. Si dans les deux films, la question éthique du meurtre d’un enfant ou d’un adolescent est au centre de la réflexion, le background politico-social est nettement différent : en 1976 en Espagne, Franco est mort depuis moins d’un an, la monarchie constitutionnelle est rétablie et le pays est enfin libre (il intégrera l’UE quelques années plus tard). Il n’existe pas, en 1976 en Espagne, de problèmes d’émeutes incessantes qui symbolisent à elles seules la prospérité de la lutte des classes énoncée par Marx. Et ce qui est en Espagne en 1976 un film d’horreur assez hitchcockien dans son traitement et dont le questionnement est exclusivement éthique, devient trente ans plus tard au Royaume-Uni une grave constatation de ce que la société est devenue en très peu de temps.
Et les jeunes chavs du film, justement, qui sont-ils ? Pour le film, Watkins choisit notamment trois acteurs déjà remarqués dans This is England, deux ans plus tôt : Thomas Turgoose (l’acteur principal du film de Shane Meadows), Jack O’Connell et Finn Atkins. Leur interprétation dans ce film a sans aucun doute aidé le réalisateur à les choisir pour Eden Lake, dans lequel ils livrent une très bonne prestation, intense, cruelle et déchaînée. Mention spéciale à O’Connell, justement, qui endosse le rôle du chef de la bande, qui a un rôle crucial dans les dernières séquences du film. Alors que je vous parlais dans le dernier article du dossier de The Living and the Dead, qui commençait à s’enfoncer dans l’exploration de l’horreur comme film social, Eden Lake prolonge le discours et, s’il s’intéresse à une catégorie différente de personnes en marge de la société, continue à dresser un portrait amer de la société britannique du début du vingt-et-unième siècle.
Pingback: Heartless - Dossier sur intervistamag.com – intervistamag.com – Le cinéma de B à Z.
Pingback: This is Norway ! - Chronique sur Intervista
Pingback: The Descent de Neil Marshall - Critique sur Fais pas Genre !