Vinyl


Inutile de vous présenter ce chef-d’œuvre de la littérature (et du 7è Art, cela va de soi) qu’est Orange Mécanique. Mais ce que peu de gens savent, c’est que bien avant que Stanley Kubrick ne nous livre l’un des plus beaux et scandaleux films de l’histoire du cinéma, Andy Warhol s’était déjà attelé à l’adaptation du roman d’Anthony Burgess. En résulte un moyen-métrage “Made in Factory”, dérangeant et dérangé.


Andy dit moi oui

Andy Warhol n’est certes pas connu en premier lieu pour ses films, mais il s’est longtemps engagé dans cet art, du début des sixties jusqu’à la fin de sa vie. Vinyl est sa seule adaptation romanesque. On y retrouve ses acteurs et actrices fétiches (Gerard Malanga, Edie Sedgwick, Ondine), qui contribuent énormément à nous plonger dans ce monde étrange, très loin des seventies de Kubrick.

La grande particularité technique du cinéma de Warhol, c’est que les mouvements de caméra sont quasi inexistants. A part un zoom de temps en temps, les plans réalisés par l’artiste sont tous fixes. Et en plus de cela, souvent, ils sont longs. Vinyl n’échappe donc pas à la règle, puisque ce film d’une durée d’1h05 ne contient que 3 plans. C’est là que se fixe la différence la plus importante entre le film de Kubrick et celui de Warhol : là où Kubrick rend son film dérangeant, c’est en insistant sur la violence montrée à l’écran, ce qui fait d’Orange Mécanique un film moderne (pourtant réalisateur de Lolita, Kubrick n’est jamais allé aussi loin qu’avec ce film, même en 1971). Warhol, lui, rend toute l’originalité en ne montrant rien de violent, mais en jouant sur le montage, très tendu et pesant. En 1965, il a déjà à son actif près de trente films (il a commencé à réaliser en 1962, il a donc le mérite d’être plus efficace que Jess Franco), mais ses courts-métrages expérimentaux et sulfureux lui valent d’être méprisé, souvent même ignoré par la critique ; il faut avouer que se taper un plan fixe de l’Empire State Building pendant huit heures d’affilée, c’est pas l’activité la plus excitante qui soit !

On a trop souvent tendance à voir Warhol comme une icône de l’art populaire américain, mais il n’existe pas plus réducteur pour définir l’artiste underground le plus talentueux qui ait été. A l’instar de beaucoup de cinéastes expérimentaux de l’époque, Warhol réalise plus des expériences à vivre que de simples films dits “expérimentaux”. Des expériences vécues par le spectateur évidemment, mais aussi par tout ce qui se trouve derrière la caméra. Prenez un film comme Blowjob, par exemple, qui est un plan de 35 minutes du visage de l’acteur DeVeren Bookwalter étant supposé recevoir une fellation de la part du réalisateur Willard Maas. Dans ce film, c’est le hors-champ qui est primordial, il est au centre du film ; la personne la plus à-même de vivre cette expérience non montrée à la caméra, c’est donc le réalisateur lui-même, Andy Warhol. Vinyl, par contre, est un film expérimental uniquement dans la forme, et non dans le fond. C’est l’un des rares films “linéaires” de l’artiste, qui plus est adapté d’un roman. Victor, l’homologue warholien d’Alex, aime la violence mais n’en fait jamais preuve ici, du moins pas explicitement. Il deviendra, après être arrêté, le sujet d’une expérience visant à retirer tout comportement violent chez l’être humain. Celle-ci réussira, et toute pensée mal placée sera désormais purgée de l’esprit de Victor.

Vinyl contient sept personnages, compris dans le champ pour toute la durée de la péloche. Victor cohabite avec les personnages secondaires, ce qui donne au film une dimension théâtrale de la mise en scène : chacun joue son rôle de son côté. Pourtant, la distinction entre les scènes est assez claire, malgré le montage et la présence de tous les personnages dans les mêmes plans. Tout est minutieusement orchestré, et chaque événement, chaque changement de scène, chaque mise en avant d’un personnage arrive d’une manière très théâtrale. La vision du scénariste Ronald Tavel et sa façon de traiter le sujet s’approche de celle de Kubrick, plutôt fidèle au roman. Vinyl et Orange Mécanique sont donc deux œuvres intemporelles, qu’on peut considérer d’actualité encore aujourd’hui. Mis à part cela, il n’y a aucune ressemblance entre les deux films. Warhol, en bon avant-gardiste qu’il est, renverse toutes les règles de la mise en scène pour livrer une œuvre qui va déboussoler le spectateur adepte du conventionnel.

Le livre et le film de Kubrick ont atteint une telle renommée mondiale qu’il en est quasiment inutile d’en rappeler la trame. Tavel reste assez fidèle à l’œuvre d’origine, mais la vision warholienne du script lui donne un sens différent. Gerard Malanga, “superstar favorite” de Warhol, joue un Victor aux orientations sexuelles ambigues. Il se déhanche, danse, se défoule. Même ses menaces ont une arrière-pensée clairement homosexuelle. Warhol et Tavel offrent la liberté supplémentaire à l’histoire d’introduire (mais pas trop fort, sinon ça râcle) un héros à la fois violent, ignoble et homosexuel. Andy Warhol, icône gay, ne manque pas d’insuffler à ses personnages, souvent homosexuels, un côté décalé qu’il est assez difficile de percevoir. Victor, dans sa façon de se comporter, a quelque chose d’ironique, surtout après son arrestation, ces vêtements à tendance sado-maso qui remplacent la traditionnelle camisole de force.

Pour terminer, un petit mot sur Edie Sedgwick, la vraie icône du monde de Warhol, qui tient le rôle presque inexplicable du film. Elle se tient assise durant tout le film, à la droite de l’écran, quasiment sans bouger, telle une statue. C’est la première apparition majeure dans un film de Warhol, et elle semble personnifier tout ce qui semble imperceptible, du moins impossible à rejoindre, pour le personnage principal, Victor, et sa bande. Mise en avant par le metteur en scène, elle incarne la beauté, mais elle semble prendre un malin plaisir à assister aux actes criminels des jeunes blousons noirs. Impassible, complètement muette, elle peut résumer à elle seule l’état d’esprit du film : glauque, étrange, mais hypnotisante.


A propos de Valentin Maniglia

Amoureux du bis qui tâche, du gore qui fâche, de James Bond et des comédies musicales et romantiques. Parle 8 langues mortes. A bu le sang du Christ dans la Coupe de Feu. Idoles : Nicolas Cage, Jason Statham et Michel Delpech. Ennemis jurés : Luc Besson, Christophe Honoré et Sofia Coppola.

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