Frankenstein 90


Dix ans après Frankenstein Junior (Mel Brooks, 1974) une nouvelle parodie de l’œuvre de Mary Shelley renaît sur les écrans avec Frankenstein 90 cette fois-ci elle est française et écrite et réalisée par l’insaisissable Alain Jessua, un réalisateur habitué aux pitchs originaux qui flirtait avec le genre du fantastique. Pari réussi ?

Le docteur Victor Frankenstein, en peignoir, prépare le robot humanoïde masculin assis à table devant lui, assisté d'une femme et sous le regard de sa compagne, et de Frank, son assistant, dans le film Frankenstein 90.

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Frankenstein Senior

Dans le grand salon de ce qui semble être un château, dont les meubles sont recouverts de draps et la cheminée est éteinte, un magicien, en chapeau, en train de faire un numéro, on ne sait pour qui ; plan issu du film Frankenstein 90.

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Pour analyser correctement Frankenstein 90 (Alain Jessua, 1984), il faut séparer les intentions originelles de l’auteur de la Vie à l’envers (1964) sur le mythe de Frankenstein et son exécution bien souvent maladroite. Le plus gros souci du long-métrage est son hésitation constante entre le genre de la parodie, de la comédie loufoque et celui, bien français, du vaudeville. Le film s’ouvre sur le vol d’un bras gardé en laboratoire par le personnage incarné par Jean Rochefort, qui se révélera être plus tard un descendant de Victor Frankenstein, ce qui le condamne à tenter de réussir ce que ses ancêtres n’ont jamais pu accomplir, à savoir créer la vie et non pas des chimères violentes et repoussantes. .. Des racines gothiques du récit de Shelley, il ne reste que quelques jolies séquences de cauchemar où Jean Rochefort tente d’échapper à un cadavre sans tête : Jessua tend ici à réactualiser le mythe qu’il a entre les mains, une volonté explicitée par son titre notamment. L’intrigue se déroule de nos jours et désormais, le descendant de Victor Frankenstein dispose de nouvelles ressources, notamment l’informatique : le cerveau de ce nouveau Frankenstein n’est plus celui d’un criminel comme dans Frankenstein (James Whale, 1931) mais une puce informatique. Une évolution logique pour un mythe qui a bien souvent lorgné, de manière prophétique évidemment, vers la figure de l’intelligence artificielle.

Dans le récit de Mary Shelley, la créature de Frankenstein se comporte comme une machine apprenante, et ce, de manière spectaculaire. Dans un passage du roman, la créature a fui son créateur et passe plusieurs semaines à observer une famille, cachée dans leur grenier. Très vite, cette simple observation suffit à la créature pour apprendre le langage et les us et coutumes des humains. Cette idée d’une puce en guise de cerveau permet à son créateur de réécrire constamment la personnalité de la créature en ajoutant de nouvelles données pour renforcer sa compréhension du monde des humains. Dans sa conclusion, Frankenstein 90 prolonge également des thématiques souvent oubliées du roman originel. Dans l’adaptation de Jessua la créature souffre de son apparence repoussante mais surtout du caractère unique de son existence et il force son créateur à lui créer un alter ego féminin. Son créateur ne pourra pas s’y résoudre, trop effrayé que sa créature se reproduise et devienne le futur de l’humanité. La fin de Frankenstein 90 met ainsi en scène le cauchemar de Victor Frankenstein, quand deux nouvelles créations (dont Marc Lavoine) regardent au loin, l’une se désolant de ne pouvoir se reproduire, l’autre lui répondant qu’il pense avoir trouvé une faille dans le système avant de dire : “L’avenir est à nous”.

Eddy MItchell au visage boursouflé présente à Jean Rochefort et sa compagne une pièce im une femme en culotte, seins nues, est accrochée au plafond, du sang au copin des lèvres ; à côté d'elle des pièces de viandes comme dans une chambre froide ; scène du film Frankenstein 90.

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La proposition d’Alain Jessua est intéressante au regard de l’œuvre de Mary Shelley mais son exécution laisse en revanche à désirer. Comme dit précédemment,le film hésite constamment entre différents tons pour pencher malgré tout majoritairement vers l’humour grotesque voire graveleux. Le traitement des personnages féminins y est notamment plus que problématique, ces dernières étant constamment objectifiées et que dire de la scène de viol subie par la compagne de Jean Rochefort, violence sur laquelle le film ne s’arrête pas et ne semble pas avoir l’intention de le faire. L’humour du long-métrage, puisqu’il change constamment, ne fonctionne jamais vraiment et le jeu des comédiens est souvent gâché par une post-synchro constamment présente et surtout à la synchronicité aléatoire. Ainsi, les répliques d’Eddy Mitchell sont bien souvent énoncées sans âme et surtout sans conviction. Dans une scène, Frankenstein et sa créature se rendent au cinéma pour voir ce qui, dans la diégèse du film, est le Frankenstein de James Whale. Sauf que, dans la séquence, les personnages et surtout le Frankenstein incarné par Eddy Mitchell semblent trouver le film ridicule. Si la scène sert à mettre en lumière le fait que le Frankenstein de Jessua n’a rien à voir avec celui de James Whale, l’aspect moqueur de la séquence laisse planer sur un possible mépris envers la version de James Whale. Une prise de position audacieuse émanant d’un auteur pourtant si peu prompt à proposer une relecture cohérente de la créature de Frankenstein.


A propos de Antoine Patrelle

D'abord occupé à dresser un inventaire exhaustif des adaptations de super-héros sur les écrans, Antoine préfère désormais ouvrir ses chakras à tout type d'images, pas forcément cinématographiques d'ailleurs, à condition qu'elles méritent commentaire et analyse. Toujours sans haine ni mauvaise foi.

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