L’homme de la rue (ou Meet John Doe dans son titre original) est le vingt-cinquième long-métrage de Frank Capra, cinéaste américain de l’âge d’or Hollywoodien et c’est pendant une rétrospective autour de la thématique du travail, dans le cadre du 39ème Festival International du Film D’Amiens, qu’il était rediffusé en salle.
Doe it Yourself
Si Meet John Doe est sorti en 1941, il ne parle pas directement de ce qui anime les Etats-Unis à ce moment là. En effet, la guerre commence deux ans avant, et c’est l’occasion pour plusieurs de cinéastes de parler de cette période de troubles de manière frontale comme avec Le Dictateur (Charlie Chaplin, 1940) ou détournée avec l’excellent L’Aigle des mers (Michael Curtiz, 1940). Il faut savoir que les États-Unis à cette période se préparent pour la guerre et y votent des budgets, en plus d’utiliser au maximum la propagande demandant de soutenir pécuniairement l’effort : petite piqûre de rappel sur l’économie américaine vers 1940. Le jeudi 24 octobre 1929 l’économie de Wall Street tombe en mille morceaux. C’est le jeudi noir entraînant une hausse de chômage et des plans de répression. De 1933 à 1938 c’est le New Deal, Roosevelt tente d’inverser la Grande Dépression avec tout plein de réformes, ce qui a permis de relancer l’économie, mais aussi d’avoir énormément de détracteurs. Si aujourd’hui, avec le recul, on peut en percevoir les avantages, il faut dire qu’a l’époque il n’avait pas autant la côte.
C’est en effet dans un contexte de chômage suite aux décisions économiques prise après le rachat d’un journal que notre jeune héroïne Ann Mitchell décide, après avoir été licenciée, d’écrire la lettre de suicide d’un certain John Doe, chômeur depuis trop longtemps. C’est avec l’aide de la ville et de quelques pontes que le maire a vent qu’un chômeur veut se suicider depuis le haut de sa mairie. Donnant beaucoup de crédit à l’histoire, le maire décide d’appeler le journal pour trouver ce fameux John Doe. C’est sur les conseil d’Ann Mitchell et de ses plans pour redorer le journal, et accessoirement gagner sa croûte, que John Doe fût « casté ». C’est un ancien champion de baseball blessé, John Willoughyby qui va avoir de plus en plus affaire avec les différents protagonistes politiques. Il va au début ne pas comprendre les enjeux ni même les paroles derrière la lettre de John Doe. Mais il va progressivement évoluer, endossant le rôle de M. Doe et œuvrant de plus en plus pour le bien, allant jusqu’à vouloir mourir pour ces et ses idées. Le film axe son intrigue sur John Doe, qui au début n’est qu’une simple invention issue d’un coup de colère, puis, va devenir de plus en plus tangible et réel. Tel un auteur qui tisse son livre et épaissit les personnages avec les différentes réécritures, John Doe va d’abord n’être que des idées, celle du père d’Ann Mitchell, puis un nom, puis une figure. Et si au début John Willoughyby ne va agir que pour son profit, il va comprendre de plus en plus son rôle et l’importance qu’il donne à d’autre gens. Ce rôle, il va se le ré-approprier, puis agir en tant que tel, de sorte à ce qu’il n’agisse plus pour son bien, mais pour celle d’autrui. Conscient qu’il peut changer les choses, jusqu’à en rendre amoureuse Ann Mitchell qui y voit son père dans un complexe dOœdipe à peine dissimulé. En voyant cela, je ne peux que penser au discours que César fait à Arturus dans Kaamelott saison 6 (Alexandre Astier, 2009) : « personne ne mérite d’être centurion avant de l’être, mais il faut agir « comme » pour le devenir ». Et devenir John Doe, notre héros ne l’a compris que bien trop tard, car malgré lui, il deviendra le bouc émissaire d’une organisation malfaisante : les politiques.
Tous, que ce soient les gouverneurs, les gens riches, les influents, tous voudront contrôler la politique et les pauvres à l’aide de l’homme de paille. Quand je parlais de la propagande, ici on en a une illustration parfaite. Un petit groupe de personnes vont se servir de John Doe comme d’un messager politique. Si au début, ils vont être surpris par les ventes exceptionnelles du journal et du suivi des lecteurs, très rapidement ils vont comprendre que John Doe peut leur permettre de gagner les élections en manipulant les foules. Et c’est ainsi que le long-métrage se sépare en deux, le point de vue d’Ann Mitchell et des politiciens, puis le point de vue de John, qui vont être en totale confrontation. Les décisions prises par la tête pensante se répercutent tout de suite par le prisme de John. Une bonne manière de nous montrer directement l’impact des décisionnaires. Mais si tous les éléments pointent vers la fin, ce n’est pas la conclusion que nous voudrions. Les décisionnaires ayant plusieurs coups d’avances tel Belmondo dans Le Professionnel (George Lautner, 1981) restent court-circuités par John. Oui, son suicide doit : soit être le coup de pied dans la fourmilière, soit maquillé par le jeu politique. Et si la fin tend d’un côté ou l’autre, cela aurait fait jouer toute une palette d’émotion. Mais c’est un troisième camp qui gagne. Celui qui n’amène plus qu’une fin douce, au lieu de la tragédie que l’on aurait voulue. En effet, un groupe d’irréductibles ne s’étant pas fait manipuler, croit en l’innocence de John et tente de tout faire pour éviter ce suicide quitte à devoir tout reprendre à zéro. Et cela, transforme malheureusement un film qui avait un enjeu et une réelle tragédie en un « simple film de noël », qui adoucit tellement l’intrigue qu’il en détruit partiellement la charge satyrique.
la charge satyrique.