Suspiria (2018) 2


Hollywood est toujours au plus bas de son inspiration, et la vague des remakes des chefs-d’œuvre de l’horreur des années 70-80 ne semble pas prête de s’arrêter. Le remake de Suspiria de Dario Argento, avec aux manettes un cinéaste médiocre visiblement pas attaché au cinéma d’horreur, ne nous inspirait sur le papier rien qui vaille, ou tout juste une simple petite curiosité masochiste. Notre avis, très en retard. Spoiler : on n’a pas aimé.

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Le film d’horreur de l’année

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Avant toute chose, je me permets de citer quelques textes édifiants. Frédéric Mercier, dans Transfuge : « Guadagnino étoffe et défigure, selon la démarche des peintres maniéristes, la toile originelle. Et réussit son “Suspiria”. » ; Alexandre Janowiak dans Ecran Large « “Suspiria” est un mythe brillant, une expérience viscérale folle et un sublime complément de l’œuvre culte de Dario Argento. » ; Laurent Duroche dans Mad Movies : « N’y allons pas par quatre chemins : ce nouveau “Suspiria” n’est pas loin de rejoindre “The Thing” de John Carpenter, “La Mouche” de David Cronenberg ou “L’Invasion des profanateurs” de Philip Kaufman sur la liste des remakes les plus passionnants jamais réalisés. » . Quelque part, je pourrais dire que ces citations se suffisent à elles-mêmes. Je vais tout de même aller plus loin car je vous assure que ce paragraphe n’est pas qu’un simple numéro de délation pour amuser la galerie. Il y a dans ces extraits une part de gravité. Lire dans deux des grands mensuels spécialisés dans le genre (car L’écran fantastique défend tout aussi ardemment le bousin) des textes glorifiant le projet de Luca Guadagnino a quelque chose de comique et/ou de révoltant. Un peu comme si Les Cahiers du cinéma encensaient dans un texte lyrique de vingt pages la scène de Dobberman (Jan Kounen, 1997) où Romain Duris se torche le cul avec l’un de leur numéro. Texte qui soulignerait la puissance maniériste et subversive de ce geste. Car ce Suspiria, non content d’être déjà l’un des plus mauvais films de l’Histoire du cinéma – une croûte insensée à faire trembler d’horreur pour des décennies de cinéphilie, au niveau du Jour et la Nuit (Bernard-Henri Lévy, 1997) et The Last Face (Sean Penn, 2016) – se plaît également à être un film d’horreur qui déteste le cinéma d’horreur, un film de genre qui vomit le genre, un remake qui prétend donner des leçons de Grand Cinéma à son original.

Finalement, rien d’étonnant là-dedans, le réalisateur de cette infâme purge exprimant à grand renfort d’interview son intention d’étoffer le film original, de lui apporter « ce qui lui manque ». Ce Guadagnino, à la manière d’un gamin vaniteux et non d’un puissant formaliste, explique en effet qu’il a voulu répondre au « manichéisme » de l’original, en y apportant une complexité nouvelle, un contexte politique. Le cinéaste place donc son intrigue dans Berlin en 1972, plaçant ici et là des références aberrantes et vaines à la bande à Baader pour s’achever sur un final cathartique évoquant grossièrement et de la manière la plus dégueulasse qui soit les camps de la mort. Que le cinéaste cherche à se détacher du chef-d’œuvre originel est tout à son honneur, et on peut aisément admettre qu’il ne s’est pas réfugié dans une resucée plate. Mais la « nouvelle étoffe » qu’il lui apporte n’est que le pâle cache-misère d’une pauvreté formelle totale et à une débilité théorique absolue.

Cache-misère, c’est l’expression qui vient le plus à la bouche tout au long du récit, jusqu’à son grand final satanique et sanglant, où un étalonnage rouge vient justement cacher la misère esthétique d’une direction de la photo en roue libre et d’un sang numérique d’une rare laideur. Pour prétendre à la grande œuvre, il ne suffit pas de chapitrer 2h32 (!!!) de vide absolu, en plaquant sur chacun des six (!!!) actes les titres les plus pompeux inimaginables. Il ne suffit pas de faire des références sans queue ni tête à l’Histoire, de faire durer les scènes sur un ton cérémonieux, d’accompagner n’importe quoi (générique, danse ou massacre) des mêmes thèmes chics signés Thom Yorke – pour qui on a beaucoup de peine – ou de laisser s’éclater des acteurs en total perdition. On est obligé ici de citer Tilda Swinton, en phase terminale d’insupportabilité, jouant en même temps le rôle d’un vieux psychiatre allemand – de loin le pire personnage – la cruelle professeure de danse mais aussi la vieille décharnée Martha. Il est grand temps de sortir cette ancienne grande actrice de cette infernale spirale de travestissement qui tient aujourd’hui du grotesque absolu, mais cela sera le sujet d’un autre article à venir.

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Que ce nouveau Suspiria soit exagérément mauvais n’est donc pas le pire en soi. S’il était un nanar sincère, je serais le premier à l’accueillir avec indulgence. Mais sa condescendance crétine et sa vanité satisfaite en font une œuvre plus que déplaisante. Même dans les séquences de body horror louées ici et là par quelques âmes égarées font peine à voir. La première par exemple, où un personnage voit ses os broyés dans un numéro de contorsionniste assez hilarant malgré lui, passe du plutôt impressionnant (pendant les premières secondes) convergeant finalement à une nullité prétentieuse, à force de durer et d’être si répétitive. Le log-métrage devient carrément à gerber quand il convoque les grandes actrices du cinéma d’horreur d’antan qu’il insulte allègrement, la palme allant à l’apparition terriblement déprimante de Jessica Harper – l’héroïne extraordinaire du premier Suspiria et de Phantom of the Paradise que nous avions interviewée il y a quelques années, lire l’entretien – ici dans un rôle proprement pitoyable et inutile. Difficile d’aller plus loin, tant je tremble de colère en vous écrivant. Je finirai malgré tout sur une note positive. Après avoir été un odieux délateur, permettez-moi de rendre hommage à d’autres confrères. En effet, ce n’est pas tous les jours que nous louons les analyses brillantes des cerveaux supérieurs de nos amis de Konbini. Ceux-ci ont écrit que ce Suspiria était « le film d’horreur de l’année ». Je suis on ne peut plus d’accord, et j’ajouterai même de la décennie, car, fort heureusement, des horreurs pareilles, on n’en subit pas tous les ans…


A propos de Pierre-Jean Delvolvé

Scénariste et réalisateur diplômé de la Femis, Pierre-Jean aime autant parler de Jacques Demy que de "2001 l'odyssée de l'espace", d'Eric Rohmer que de "Showgirls" et par-dessus tout faire des rapprochements improbables entre "La Maman et la Putain" et "Mad Max". Par exemple. En plus de développer ses propres films, il trouve ici l'occasion de faire ce genre d'assemblages entre les différents pôles de sa cinéphile un peu hirsute. Ses spécialités variées oscillent entre Paul Verhoeven, John Carpenter, Tobe Hooper et George Miller. Il est aussi le plus sentimental de nos rédacteurs. Retrouvez la liste de ses articles sur letterboxd : https://boxd.it/riNSm


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2 commentaires sur “Suspiria (2018)