Les Rendez-vous de Satan 1


L’infatigable éditeur Le Chat qui fume nous gratifie d’une belle édition d’un giallo comme beaucoup méconnu et pourtant important pour plus d’un admirateur du genre. Incursion inédite dans le genre d’un metteur en scène habitué des westerns, Giuliano Carnimeo, Les Rendez-vous de Satan est à la fois fait d’un scénario diablement retors et de superbes visions des cauchemars d’un très beau personnage féminin.

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50 nuances de Jennifer

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Ce n’est pas tous les jours que les Cahiers du cinéma nous intéressent, mais c’est grâce à un de leur dossier au titre évocateur – Des giallos à gogo dans le numéro 729 (Janvier 2017) – que j’avais discrètement retenu le nom des Rendez-vous de Satan puisque celui-ci figurait dans le top des giallos préférés d’un grand amateur du genre et défenseur des beautés du cinéma bis, Jean-François Rauger. Ce titre annonçant la venue de forces occultes au cœur de l’univers sexué et coloré de ce genre si particulier me faisait d’avance rêver. J’aurais dû me douter qu’il s’agissait là bien sûr d’une adaptation bien fallacieuse du titre original, bien plus évocateur et mystérieux finalement : Perché quelle strane gocce di sangue sul corpo di Jennifer ? Ce titre annonce bien plus la couleur : plus qu’autre chose c’est Jennifer qui captivera notre regard, personnage principale et femme traquée en proie à la paranoïa incarnée par la sublime et intense Edwige Fenech. Comme dans beaucoup des chefs-d’œuvre du genre, et beaucoup d’autres films de genre de l’époque – en particulier ceux de Brian de Palma – c’est l’érotisme qui émane de cette actrice, la libido rêvée et maladive du personnage et sans doute du metteur en scène qui passionneront en priorité le spectateur, forcément un brin pervers. Son jeu généreux et impliqué, son omniprésence dans des cadres pleins de désir, sont le principal attrait de ce qu’on pourrait décrire comme le long cauchemar d’une femme en proie à la folie alors qu’elle est la cible principale d’un maniaque. Cette omniprésence d’érotisme, cette sensualité de chaque instant – qui ne passe pas nécessairement par une scène de sexe à la seconde mais par un désir constamment renouvelé pour des acteurs qui transpirent l’érotisme – ne sont pas les seuls éléments qui m’évoquent la carrière de Brian de Palma. En effet, la première scène de meurtre dans un ascenseur n’a rien à envier à celle, extraordinaire, de Pulsions (Brian de Palma, 1980) ce qui fait penser que celui-ci a pu s’en inspirer. Car si Les Rendez-vous de Satan est sorti en France en catimini en 1979, il fut produit en 1972. Cela en dit long sur sa faible visibilité jusqu’alors…

Scénarisé par l’infatigable spécialiste du genre Ernesto Gastaldi – à qui l’on doit beaucoup des scénarios des films d’Umberto Lenzi mais aussi d’un chef-d’œuvre comme Mon Nom est Personne (Tonio Valerii et Sergio Leone, 1973) – le film de Carnimeo peut également jouir d’un scripte habile et très joueur bien que parfois un peu sage dans son respect du genre. La mise en scène très généreuse – tout en zooms et découpage survolté – renforce le plaisir tout comme la présence de seconds couteaux délirants et très incarnés, des trognes comme on en voit que dans ce genre d’objets. Le tueur est habillé presque comme celui du chef-d’œuvre absolu Six femmes pour l’assassin (Mario Bava, 1968) et si on ne retrouve pas la théâtralité cérémonieuse du plus grand film du maître, Carnimeo semble partager un même goût pour les personnages nombreux, pas d’une profondeur infinie, mais dont les spécificités étonnantes donnent un vrai charme à l’ensemble. Avec la partition inspirée de Bruno Nicolai, on retrouve bien tous les plaisirs jouissifs des meilleurs giallos, et on ne se refait pas, il suffit d’un cadre sur une lame brillante, une nuit américaine superbe en ouverture, un morceau de bravoure de mise en scène, et le grain cinéma parfaitement respectée dans le beau master de cette édition pour ne pas bouder son plaisir. Comme dirait l’ami Bebel dans A bout de souffle (Jean-Luc Godard, 1959), si vous n’aimez pas ça, finalement, « Allez-vous faire foutre ». En vrai, si c’est le cas, que faites-vous encore à lire ces lignes ?

Un mot sur le travail comme à chaque fois remarquable de l’éditeur. On peut répéter que sur le Blu-Ray, l’image est restituée dans une qualité presque parfaite, avec toujours le même respect pour ce grain si particulier et si beau. Édition par ailleurs comme toujours fournie en bonus avec des entretiens avec deux comédiens du film, l’émouvant George Hilton ainsi que Paola Quattrini. La présence d’une analyse fine et nuancée de Francis Berbier n’est également pas pour nous déplaire et permet de prolonger la réflexion sur ce genre visiblement inépuisable. Pour finir, je vous laisse rêver en musique, si vous avez besoin encore d’être convaincu de vous jeter sur cette édition limitée.


A propos de Pierre-Jean Delvolvé

Scénariste et réalisateur diplômé de la Femis, Pierre-Jean aime autant parler de Jacques Demy que de "2001 l'odyssée de l'espace", d'Eric Rohmer que de "Showgirls" et par-dessus tout faire des rapprochements improbables entre "La Maman et la Putain" et "Mad Max". Par exemple. En plus de développer ses propres films, il trouve ici l'occasion de faire ce genre d'assemblages entre les différents pôles de sa cinéphile un peu hirsute. Ses spécialités variées oscillent entre Paul Verhoeven, John Carpenter, Tobe Hooper et George Miller. Il est aussi le plus sentimental de nos rédacteurs. Retrouvez la liste de ses articles sur letterboxd : https://boxd.it/riNSm


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