Le Grinch (2018)


Dernier rejeton du studio d’animation Illumination Entertainment (à qui l’on doit la fameuse série des Moi, moche et méchant et ses dérivés trop « minions »), Le Grinch (Yarrow Cheney & Scott Mosier, 2018) avait tout pour être le film de Noël : une adaptation d’un célèbre conte américain écrit par Dr. Seuss (auteur de Le Lorax, déjà adapté par Illumination avec le succès modéré qu’on lui connait), une sortie hivernale avant la déferlante disneyienne annoncée du Retour de Mary Poppins (Rob Marshall, 2018)… 

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Vert de rage et rouge de honte (et vice-versa)

Si vous ne connaissez pas encore l’histoire de la petite boule de poils verts hideuse qui a envahi les écrans ces derniers temps (près de 600 copies en première semaine), c’est que vous avez dû passer à côté de la dispensable adaptation avec Jim Carrey Le Grinch (Ron Howard, 2000) ou du superbe court-métrage cartoon Comment le Grinch a volé Noël ! (Chuck Jones, 1966) par le co-créateur des Looney Tunes et Merrie Melodies. Le film de Yarrow Cheney et Scott Mosier est en effet la troisième adaptation cinématographique de ce conte qui fait désormais partie intégrante des classiques américains. Le Grinch raconte les mésaventures d’un croque-mitaine misanthrope, au sourire élastique et au cœur si petit qu’il ne peut aimer. Vivant reclus dans une grotte perchée dans une montagne, il abhorre Noël et les habitants de Chouville, le village en contre-bas, qui célèbrent chaque année cette fête avec une ferveur passionnée. Mais cette année plus que tout autre, le Grinch acidé de voler Noël pour ne plus avoir à endurer ce calvaire festif.

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Un tel résumé fait évidemment penser aux thèmes burtoniens de L’Étrange Noël de Mister Jack (Henry Selick, 1993), qui nn’est pas absent de certaines réminiscences gothiques du Grinch. Mais à la différence du scénario aussi tortueux que génial de Tim Burton, Le Grinch se contente d’une trame simpliste, prévisible et gentiment insignifiante. Voilà qu’un trauma d’enfance très rapidement dévoilé explique la méchanceté de l’animal (merci Freud et la psychanalyse) et l’écoute d’un chant de Noël en guise de résolution décuple le cœur pourtant pas si atrophié du protagoniste poilu. Car le Grinch n’est jamais véritablement odieux (jeune public en ligne de mire) : il n’y a qu’à voir la scène où il libère un renne capturé afin qu’il retrouve sa compagne pour comprendre que cet hirsute monstre vert n’est pas l’affreux jojo qu’il prétend être. N’est pas cruel comme Burton qui veut et ce même si le compositeur attitré du réalisateur, Danny Elfman, est aux commandes de la musique. Peu aidé par un univers timide, ce dernier est en réalité bien en peine de composer une autre partition qu’un remplissage sonore basé sur le mickeymousing...

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Pour dédouaner (un peu) les créateurs de cette production oubliable, rappelons que le matériel de base est très friable, reposant sur un court récit (64 pages) et l’adapter en long-métrage demande dès lors une inventivité décuplée. Chuck Jones l’avait compris en ne réalisant qu’un court-métrage télévisé, diffusé à l’occasion des fêtes de fin d’année. Las, les scénaristes et réalisateurs de cette nouvelle adaptation diluent leur « substantifique moelle » dans un trop-plein de mouvements de caméra et de gags éculés, sans liant. On trouvera un peu de cartoon et de slapstick par-ci toute proportion gardée, et un ersatz de gadgets quotidiens à la Wallace et Gromit : Une grande excursion (Nick Park, 1989) par-là. Dans les deux cas, leurs modèles faisaient plus rêver et ne succombaient pas aux sirènes de la vulgarité en plaquant du rap d’ascenseur sur un personnage se dandinant en caleçon rose fluo. Le rire gras est facile mais sert de cache-misère, sans pour autant nous faire oublier le pauvre design des Chou (les habitants de Chouville) et leurs yeux de verre inexpressifs. Les décors sont pourtant léchés et le long plan-séquence liminaire nous en fait bien profiter. Mais ces mouvements de caméra répétées ad nauseam ne s’apparentent en rien à une mise en scène digne de ce nom et font, là encore, office de bouche-trous pour réalisateurs en panne d’inspiration.

Sans personnalité aucune, Le Grinch sombre dans une fadeur terrifiante jusqu’à devenir un manifeste consumériste d’un personnage grincheux qui accepte le diktat de « l’happycratie » et du bonheur matériel. C’est d’autant plus désolant que le vol des cadeaux (tellement nombreux qu’ils en deviennent dangereux et manquent de s’effondrer sur le village) entrouvrait la voie d’une remise en cause de notre société de consommation et de son appel à la possession. Mais non, rien de mieux qu’un abondant repas et des cadeaux pour vous remettre d’aplomb. Il ne faudrait tout de même pas gâcher la belle fête du commerce qu’est Noël.


A propos de Baptiste Salvan

Tombé de la Lune une nuit où elle était pleine, Baptiste ne désespère pas de retourner un jour dans son pays. En attendant, il se lance à corps perdu dans la production de films d'animation, avec son diplôme de la Fémis en poche. Nippophile invétéré, il n’adore pas moins "Les Enfants du Paradis", son film de chevet. Ses spécialités sont le cinéma d'animation et les films japonais. Retrouvez la liste de ses articles sur letterboxd : https://boxd.it/rZQHW

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