Hostile


Protégé de Xavier Gens, le rookie (la trentaine tout juste) Mathieu Turi sort en salles son premier long-métrage intitulé Hostile. Imparfait certes, mais qui ose une chimère de genres assez osée.

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Mon Amour M’a Baisé

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Alors que le cinéma de genre français semble connaître un timide mais relativement prégnant regain d’intérêt (jusqu’à la prochaine accumulation de flops ?), nous découvrons en 2018 un de ses nouveaux soldats. Né en 1987, le tout jeune Mathieu Turi a fait l’ESRA, avant de se retrouver assistant-réalisateur « complémentaire » sur des gros machins comme Inglourious Basterds (Quentin Tarantino, 2009), Lucy (Luc Besson, 2014) et assistant-réalisateur tout court sur notamment l’anthologie ABCs of Death (plein de réals, 2012). Il réalise deux courts-métrages semble-t-il remarqués en festivals, puis Xavier Gens lui propose de produire son premier scénario de long, après un discours teasing dithyrambique en 2015 dans les pages du magazine de mode (sic) Première. Curieux comme on l’est à chaque visage neuf sur le no man’s land du genre hexagonal, nous avons regardé Hostile, ce premier bébé, avec un œil attentif, tantôt attendri, tantôt agacé.

Juliette est une jeune femme au volant d’un camion traversant les étendues désertiques d’un monde post-apocalyptique. Elle cherche de la nourriture pour sa communauté avec laquelle elle communique par radio. A la suite d’un accident, elle se retrouve blessée et coincée dans son poids lourd, manque de pot, une espèce d’humanoïde cannibale rôde autour d’elle et semble lui en vouloir…On ne peut pas dire que le genre du post-apo soit d’un goût très français bien qu’il y ait eu plusieurs tentatives (voir La Nuit a Dévoré le Monde de Dominique Rocher, Seuls de David Moreau, plus loin Peut-être de Cédric Klapish, éventuellement Tunnel avec Johnny Hallyday dont on vous a parlé dans notre papier sur la carrière d’acteur genresque du chanteur) et sur ce point, Mathieu Turi remplit le contrat. Le frenchy (qui tourne là en anglais, plus facile pour les ventes internationales) montre un véritable savoir-faire dans la mise en valeur des paysages, ainsi que dans les séquences de tension, très réussies. Le monstre cannibale est répugnant, et Turi joue habilement de la perpétuelle absence-présence de celui-ci, sans se vautrer dans des tics gerbants style jump-scare. On n’aurait presque rien à redire sur cet aspect du film, hormis que le rôdeur anthropophage ressemble un peu trop aux goules souterraines de The Descent (Neil Marshall, 205) mais bon, il y a pire référence.

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Là où Hostile – à ne pas confondre avec le western Hostiles de cette année aussi (Scott Cooper, 2018) – se fait des amis ou des ennemis, là où il titille, surprend et séduit ou agace, c’est que le post-apocalyptique n’est qu’une partie d’un récit bicéphale. Tandis que Juliette est coincée dans son camion, nous découvrons sa vie d’avant la catastrophe par une série de flash-backs. Cette vie est écrite par Turi comme un modèle de mélodrame américain, avec les clichés de rigueur, avec beau gosse riche interprété par Grégory Fitoussi qui sauve Juliette de ses démons, histoire d’Amour parfaite, puis hélas fausse couche et mort finale tragique de l’époux etc. On a ainsi, tour à tour, La Colline a des yeux et Grey’s Anatomy (2005-?): pari osé similaire à celui de l’excellent Nocturnal Animals (Tom Ford, 2017) et dont on apprécie l’audace, surtout dans le paysage cinématographique français. Mais l’intérêt qu’on a pour le postulat et le long-métrage – on peut être surpris de l’aisance avec laquelle Mathieu Turi sait manier les codes d’une partie et de l’autre, comme il peut les mettre en scène – ne doit pas faire oublier le manque d’équilibre, au contraire du solide et plus surprenant scénario du film de Tom Ford. Peut-être l’auteur-réalisateur aurait dû faire preuve d’un peu plus de recul sur les genres qu’il utilise. La mise en lien finale, lors de l’ultime séquence (il y a un rapport entre le monstre cannibale et son Amour mort…) prête presque à rire tant elle est maladroite… Avec une certaine tendresse, nous attendrons donc le second effort de Mathieu Turi pour définir si c’est un espoir sur lequel compter ou pas.


A propos de Alexandre Santos

En parallèle d'écrire des scénarios et des pièces de théâtre, Alexandre prend aussi la plume pour dire du mal (et du bien parfois) de ce que font les autres. Considérant "Cannibal Holocaust", Annie Girardot et Yasujiro Ozu comme trois des plus beaux cadeaux offerts par les Dieux du Cinéma, il a un certain mal à avoir des goûts cohérents mais suit pour ça un traitement à l'Institut Gérard Jugnot de Jouy-le-Moutiers. Spécialiste des westerns et films noirs des années 50, il peut parfois surprendre son monde en défendant un cinéma "indéfendable" et trash. Retrouvez la liste de ses articles sur letterboxd : https://boxd.it/s2uTM

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