The Third Murder


En attendant la sortie de Palme d’or 2018 (prévue en décembre) et alors que le tournage de La Vérité (titre provisoire) est en cours à Paris, Le Pacte nous propose de (re)découvrir The Third Murder de Hirokazu Kore-eda, incursion du réalisateur habitué aux drames familiaux dans le film policier et de procès.

La vérité pure et simple est très rarement pure, et jamais simple

Avant-dernier film du très prolifique réalisateur de Nobody Knows (2004) et de Tel père, tel fils (2013), The Third Murder reprend les thèmes chers à Kore-eda en les transposant ici dans un cadre plus défini, celui du drame policier. Loin des poncifs et des resucées du genre – nous avons eu l’occasion d’en parler cet été avec la sortie de Fleuve Noir (Erick Zonca, 2018) et Une pluie sans fin (Dong Yue, 2018) –, ce long-métrage très maîtrisé développe une réflexion subtile sur la quête de vérité et la notion de justice humaine au travers d’un face-à-face bouleversant, quoiqu’austère, entre les deux acteurs Koji Yakusho – vu dans Tokyo Sonata (Kiyoshi Kurosawa, 2008) et Hara-Kiri : Mort d’un samouraï (Takeshi Miike, 2011) – et Masaharu Fukuyama (déjà personnage principal dans Tel père, tel fils).

Le film s’ouvre sur un prologue sans dialogues ni explications à Tokyo, où Misumi (Koji Yakusho), un homme d’une soixantaine d’années, en tue un autre au bord d’une rivière avant de brûler son corps. Écroué, Misumi se révèle être un meurtrier récidiviste qui a purgé une peine de trente ans de réclusion pour un meurtre au mobile également inconnu. Le talentueux avocat Shigemori (Masaharu Fukuyama), fils du juge qui avait préféré condamner Misumi à une peine d’emprisonnement plutôt qu’à la peine capitale (encore en vigueur au Japon), est appelé pour défendre la cause de cet accusé qui plaide coupable en avouant les faits. Risquant par là une condamnation à mort, quasi-systématique en cas de récidive.

Le scénario signé par Kore-eda lui-même se déploie autour des entretiens entre l’accusé et l’avocat dans le parloir. Dialoguant face-à-face au travers d’une vitre, les visages s’approchent, s’éloignent et se superposent dans un jeu de reflets éloquent : d’un côté la quête de vérité et de l’autre le mensonge salutaire ? À moins que tout ceci ne soit embrouillé, entremêlé, jamais limpide. Peut-on avoir de bonnes raisons de tuer ? Autant de questions soulevées par ces confrontations déterminantes pour les personnages

Formidables de maîtrise dans les choix de cadres et de mouvements, ainsi que dans le jeu émouvant des acteurs, ces scènes permettent au doute de s’immiscer petit à petit dans une affaire aux apparences trop simples. À première vue, il s’agit de trouver des circonstances atténuantes pour l’accusé afin de lui permettre d’échapper à la peine capitale. Pourtant, Misumi se montre trop docile face aux conseils de son avocat : répond-il pour faire plaisir au maître ? Son discours changeant n’inspire pas confiance. Shigemori en vient à douter de sa sincérité et même de sa culpabilité : ne protège-t-il pas quelqu’un en s’accusant ? Ou bien n’est-il qu’une « coquille vide » comme se nommera finalement l’intéressé sur lequel l’avocat projette ses fantasmes de vérité ? Les incohérences de ses aveux mènent Shigemori à enquêter autour de la famille de la victime, entre une fille présumée abusée et une mère qui touchera une grosse somme de l’assurance-vie de son mari…

Ici, il n’est point question de résolution ou de whodunnit savoureux. Le réalisateur s’attache à déconstruire les illusions de la justice japonaise : on ne parle pas de vérité mais de réduction de peine, on ne reporte pas le procès pour des raisons économiques alors que l’accusé décide finalement de plaider non coupable. Le film n’éclaircit pas nos doutes, ni celui de l’avocat. Sa quête pour trouver LA vérité s’avère vaine et il échoue à éviter la mécanique implacable de la justice japonaise. « Puisqu’on ne connaîtra jamais la vérité, autant choisir la plus avantageuse », dira-t-il avec un pragmatisme plutôt glaçant. Quant au troisième meurtre évoqué par le titre du long-métrage, il n’existe pas : au premier, on est emprisonné ; au deuxième, on est exécuté. Peu d’exceptions, pas de rédemption possible. Les questions soulevées sont vertigineuses et on regrette que l’édition DVD ne nous fournisse qu’un trop court entretien du réalisateur sur les raisons et les étapes de la création de son projet. D’un point de vue formel, la mise en scène réservée de Kore-eda ne saurait masquer la précision de son découpage et son utilisation, à des moments opportuns, d’un certain onirisme pour décrire l’état flottant et le territoire sans repère du doute. Les couleurs froides et grisâtres, chères au genre policier, contrastent avec l’utilisation des teintes orangées au crépuscule de la vie de Misumi. La sécheresse des cadres et l’entêtante musique de Ludovico Einaudi pourront faire poindre l’ennui, mais la justesse du jeu des acteurs finira par emporter l’adhésion du spectateur. Car pour sonder l’âme humaine, Kore-eda est définitivement un sensei.


A propos de Baptiste Salvan

Tombé de la Lune une nuit où elle était pleine, Baptiste ne désespère pas de retourner un jour dans son pays. En attendant, il se lance à corps perdu dans la production de films d'animation, avec son diplôme de la Fémis en poche. Nippophile invétéré, il n’adore pas moins "Les Enfants du Paradis", son film de chevet. Ses spécialités sont le cinéma d'animation et les films japonais. Retrouvez la liste de ses articles sur letterboxd : https://boxd.it/rZQHW

Laissez un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.