Poggi/Vinel : Courts-métrages 1


JHR Films lance la collection « Cinéastes de demain » cherchant à faire découvrir les courts-métrages d’auteur(es) qui feront – pari pris – les beaux jours du cinéma mondial dans les prochaines années. Leur première sortie concerne un couple de cinéastes qui attisent notre curiosité depuis quelques années déjà, à savoir Caroline Poggi et Jonathan Vinel, dont trois courts-métrages Play (2011), Chiens (2012), Tant qu’il nous reste des fusils à pompe (2014), ainsi que quelques clips se retrouvent sur ce dvd. L’occasion d’y découvrir leur début, plein de fragilité, d’insouciance et de promesses.

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On ne peut plus jouer

Alors que Jessica Forever (2019), leur premier long-métrage, vient d’être présenté à Toronto et qu’on ne pourra le découvrir que l’année prochaine, le duo branché Poggi/Vinel s’offre déjà une édition DVD de leurs premiers courts-métrages. On pourrait être tentés de trouver cette initiative exagérée en se demandant s’ils ont déjà vraiment fait leur preuve. Cela étant, cette édition semble légitimée par la présence de Tant qu’il nous reste des fusils à pompe qui remporta en 2014 l’Ours d’or à Berlin. Au-delà de cette reconnaissance symbolique, il y a un vrai attrait à se plonger dans cette modeste édition : celle de découvrir une œuvre brinquebalante, qui principalement se cherche, mais qui ne manque pas ici et là de beaux éclats formels, laissant présager de belles choses pour la suite.

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On a déjà parlé, à l’occasion de la sortie d’Ultra Rêve (2018), de After School Knife Fight, leur dernier court-métrage en date. Parce que Poggi et Vinel y assumaient plus que précédemment un sentimentalisme doux, voire un peu cheesy, et qu’ils semblaient se laisser aller à une modestie, une mélancolie plus douce et émouvante, ils accomplissaient peut-être leur plus beau travail. Dans cette édition, il ne faut pas nécessairement espérer se trouver face à cet accomplissement, modeste mais réel. On a plutôt affaire à des recherches, des expérimentations, à la mise en place d’un univers. C’est le mérite certain de cette nouvelle collection : celui de ne pas forcément se pencher vers des œuvres propres et accomplies, mais plutôt à des expérimentations, des promesses, et parfois des fulgurances. Cette recherche d’un univers se voit d’abord concrètement, puisque les deux premiers courts du dvd ne sont pas réalisés à deux. Play est un film de Jonathan Vinel et Chiens est signé uniquement par Caroline Poggi. Dans l’entretien qu’il donne en supplément à Arnaud Hée, les deux expliquent très bien comment il leur a fallu en peu de temps, faire face à des obsessions personnelles chacun de leur côté, avant de réaliser que leurs univers pouvaient être communs. La beauté de ce rassemblement est qu’il correspond bien à ce qu’ils semblent vouloir construire dans chacun de leurs projets : un collectif. C’est sans doute quand ils se penchent plus directement sur des groupes, à la fin des Fusils à pompe et de Play, dans After School Knife Fight que leur œuvre atteint ses plus beaux éclats. De manière presque touchante, dans les différents courts de l’édition ils semblent avoir encore du mal à définir des individualités, des personnages seuls et forts.

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Toujours dans cet entretien, ils disent chercher à mettre en scène des personnages vidés de toute psychologie. Des personnages définis par leurs actions, afin d’obtenir une empathie bizarre, paradoxale. Cela, il faut bien le dire, ne fonctionne pas toujours, et il n’est pas interdit de s’ennuyer un peu face aux longues et expérimentales déambulations des personnages solitaires de Chiens et Tant qu’il nous reste des fusils à pompe. Pourtant, il est impossible de nier une force de conviction dans le geste accompli. Cela vient notamment d’un vrai sens du cadre, et d’une grande jouissance partagée du montage, grande qualité du duo. Monteur de formation, Jonathan Vinel affirme dans l’entretien un vrai goût du montage pour sa capacité de revitaliser des images déjà existantes en les cognant à de nouvelles images, et cette ambition permet de  voir effectivement les plus beaux moments des courts.

Le côté très formaliste et sombre des courts a de quoi rebuter, et on peut penser que tout ça n’est peut-être qu’une énième lubie branchée. Ce serait pourtant très injuste, car si l’œuvre n’évite pas toujours la solennité un peu grossière, elle est malgré tout d’une cohérence dans la tristesse assez admirable. Play, courte évocation par le narrateur de toutes les personnes avec qui il a joué enfant qui sont depuis décédées, pourrait être considéré en cela comme une sorte « d’Art poétique » de Poggi/Vinel. Le film s’achève par cette phrase simple et triste, reprise ensuite en anglais, en chœur et en chanson : « On ne peut plus jouer ». C’est, en effet, un cinéma hanté par les spectres d’une enfance perdue qui cherche de nouveau le jeu dans la musique, le groupe, mais aussi paradoxalement dans la violence. En cela, la violence dans leur cinéma est très émouvante car elle est totalement détachée de toute considération sociologique ou de jugement. C’est d’ailleurs l’un des beaux paradoxes des œuvres de Poggi et Vinel : celui de réussir secrètement à évoquer le contemporain par des indices disséminés dans le cadre (un sweet, une casquette, l’évocation d’un phénomène purement contemporain) et en même temps à s’en détacher totalement par la création de mondes inhérents à leurs films. Des mondes qui ne manquent pas de résonner avec le nôtre. Leur violence, et peut-être leur cinéma dans un même mouvement, est un geste perdu, triste, mais qui essaie de retrouver désespérément ce qui n’est plus. Pour cette belle ambition de cinéma, et malgré toutes les limites de leurs courts, on attend avec beaucoup d’impatience de voir quel groupe et quel monde nous a concocté le duo dans Jessica Forever. On est déjà presque sûr que ce monde ne fera vraiment pas genre.


A propos de Pierre-Jean Delvolvé

Scénariste et réalisateur diplômé de la Femis, Pierre-Jean aime autant parler de Jacques Demy que de "2001 l'odyssée de l'espace", d'Eric Rohmer que de "Showgirls" et par-dessus tout faire des rapprochements improbables entre "La Maman et la Putain" et "Mad Max". Par exemple. En plus de développer ses propres films, il trouve ici l'occasion de faire ce genre d'assemblages entre les différents pôles de sa cinéphile un peu hirsute. Ses spécialités variées oscillent entre Paul Verhoeven, John Carpenter, Tobe Hooper et George Miller. Il est aussi le plus sentimental de nos rédacteurs. Retrouvez la liste de ses articles sur letterboxd : https://boxd.it/riNSm


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