Winchester 73 1


Classique des classiques mais surtout western intimiste et touchant, Winchester 73 d’Anthony Mann est édité en Blu-Ray par Sidonis Calysta avec son remake de 1967. L’occasion de voir James Stewart beau comme jaja en haute résolution.

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Suis-je le gardien de mon frère ?

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Lorsqu’on appréhende la rédaction d’un texte sur certains films qualifiés de classique, il peut être difficile de savoir ce que l’on peut en dire de plus. Situation paradoxale, puisqu’un classique est quand même censé avoir de quoi être vu de tous temps, être universel en somme, et donc supporter de nombreuses visions, de nombreux axes, susciter des réflexions neuves à chaque époque. Winchester 73 (n’est pas un chef-d’œuvre absolu de l’histoire du cinéma, il n’est peut-être même pas un chef-d’œuvre – dans le sens le plus imposant du terme – du western, toutefois il a fait date, marquant les débuts de la collaboration on ne peut plus fructueuse entre Anthony Mann et James Stewart, collaboration à peu de choses près aussi intéressante que celle de Jimmy avec Alfred Hitchcock. Mann et Stewart tourneront un cycle de westerns composés de cinq œuvres – le suscité donc, puis Les Affameurs (1952), L’Appât (1953), Je suis un aventurier (1954) et enfin L’homme de la plaine (1955) – à la portée plus intime, plus psychologique que ce qui pouvait se faire auparavant, cultivant l’ambiguïté comme l’acuité des films de Far West les plus forts qui traverseront aussi cette décennie 1950 (et puis celle d’après, évidemment). Sidonis Calysta, éditeur majeur du western sans lequel le cinéphile ne pourrait décemment pas se prétendre amateur du genre, vient d’éditer pour la première fois en Blu-Ray Winchester 73, dans un coffret archi-collector qui est certainement la plus belle manière de découvrir d’abord le film de Mann, ainsi que son remake de 1967.

Le titre du long-métrage est un symbole. Pierre angulaire du récit, aussi bien MacGuffin que motif réel porteur de sens, le célèbre fusil de modèle Winchester 73 est l’objet d’un concours de tir en 1873. Lin McAdams (James Stewart) et son ami High Spade passent par la ville qui organise le concours dans le cadre de leur recherche d’un homme à qui ils ont des trucs, mystérieux, à reprocher, appelé Ducth Henry Brown. Cet homme, il se trouve qu’il participe aussi au concours, et qu’il arrive même en finale face à Lin. Cet homme n’est nul autre que son demi-frère, que Lin cherche pour venger l’assassinat de leur père. Lin gagne le concours et remporte la Winchester mais Dutch la dérobe et fuit avec, avec Lin et High Spade à ses trousses…Deux fils conducteurs irriguent le récit de ce western en noir et blanc. D’une part, l’obsession pour l’arme qui donne son titre au film. Symbole de l’Amérique de puissance, elle est l’objet de toutes les convoitises et passe entre de nombreuses au fil du récit, plaçant le fusil comme un personnage à part entière que l’on suit particulièrement. Pour Mann, il s’agit peut-être de montrer ici une certaine vanité dans la psyché américaine face à son propre mythe, cette posture intellectuelle et physique qui peut bâtir une nation, mais aussi accessoirement la détruire (la Guerre de Sécession). Tel un symbole, chaque possesseur du fusil finit par mourir par la faute de sa propre cupidité, de sa propre fascination pour ce qui ne devrait être qu’une arme (de là à voir un parallèle très actuel avec la polémique des armes aux États-Unis, il n’y a qu’un pas). D’autre part, on a souvent parlé de la dimension psychanalytique de l’allégorie, autour de la lutte de deux frères synthétisées en une arme, donc en une appropriation d’une force phallique. Si la vision est valable, voire assez évidente, renvoyant à la thèse œdipienne mais de plus large manière à plusieurs histoires mythologiques (Etéocle et Polynice, Caïn et Abel…), c’est dans la manière qu’ont James Stewart et Anthony Mann de la proposer qui me semble faire de Winchester 73 un film unique à voir ou revoir. Car c’est un western oui, mais un western sans grandiloquence et grands violons, en réalité délicat et humble, restant tout près de l’humanité très terrestre des personnages. La trame est calquée sur un mythe, mais le mythe n’efface pas la profondeur ou les contradictions des hommes qui l’incarnent, frères ennemis. La séquence de duel final est à ce sens un des plus beaux exemples de modestie narrative et filmique dans un classique hollywoodien de ces années, tant elle joue l’épure et la justesse émotionnelle, tant elle sait comment commencer et surtout comment finir avec un fondu au noir pudique une fois que le mal (ou le bien, cela dépend de votre ressenti) est fait.

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A côté, forcément, la perspective de visionner un remake, pour la télévision de surcroît, n’enchante pas vraiment. Il faut là être aussi curieux et ouvert que l’éditeur qui nous permet de le visionner. Winchester 73 est remaké pour la télévision américaine en 1967, le concept étant peu ou prou d’actualiser l’histoire sur une pellicule en couleur et sur un média public qu’est la petite lucarne. L’interprétation n’est pas à la hauteur du film de Mann of course, mais c’est parce que l’écriture non plus, pas aussi profonde, dépourvue de son sel psychologique équivoque et intrigant. A part quelques plans (un travelling le long d’un banquet, une caméra sur le corbillard qui roule à toute berzingue), le réalisateur Herschel Daugherty – artisan de nombreux épisodes de séries western comme Rawhide ou Bonanza mais aussi des Alfred Hitchcock présente ou Star Trek – emballe la chose sans trop d’éclat ni de manière. Votre serviteur ne serait ainsi pas aussi tendre que le commentaire de Patrick Brion : si ce dernier le trouve digne d’intérêt, il est plus à mon sens d’y voir un appauvrissement global – out par exemple les deux frères ennemis, les personnages sont maintenant cousins ; la trame fixée à la trajectoire du fusil est préservée de son côté, sans apporter d’eau fraîche au moulin – un objet qui joue bien plus la carte des canons télévisuels de l’époque entre cliffhangers, final en forme de climax avec prise d’otage, et duels en montage parallèle. Une conclusion tout juste rattrapée par un dialogue relativement bien senti en forme de réflexion sur les origines de la violence, mais qui représente à peu près le contraire du long-métrage original…. Ce Winchester 73 version 1967 vaut donc le coup d’œil pour les plus curieux des curieux ou des adorateurs du film d’Anthony Mann.

Les deux longs-métrages, original et remake font l’objet d’un coffret limité collector par Sidonis Calysta qui livre là une des plus belles sorties de l’histoire, pour un western fondateur qui le vaut bien. Winchester 73 version Mann est en Blu-Ray, le remake de Daugherty est en DVD. Les bonii sont composés d’entretiens avec les fidèles Patrick Brion et Bertrand Tavernier (admirateur d’Anthony Mann de longue date), puis chose plus étonnante de la version radiophonique du film récite par James Stewart lui-même en 1951 et d’un livret de 30 pages sur l’histoire du fusil éponyme. Une édition ultime jusqu’à nouvel ordre ?

 

 

 


A propos de Alexandre Santos

En parallèle d'écrire des scénarios et des pièces de théâtre, Alexandre prend aussi la plume pour dire du mal (et du bien parfois) de ce que font les autres. Considérant "Cannibal Holocaust", Annie Girardot et Yasujiro Ozu comme trois des plus beaux cadeaux offerts par les Dieux du Cinéma, il a un certain mal à avoir des goûts cohérents mais suit pour ça un traitement à l'Institut Gérard Jugnot de Jouy-le-Moutiers. Spécialiste des westerns et films noirs des années 50, il peut parfois surprendre son monde en défendant un cinéma "indéfendable" et trash. Retrouvez la liste de ses articles sur letterboxd : https://boxd.it/s2uTM


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