L’Homme au Masque de Fer


Rimini Editions pioche dans le vieux pot avec un inédit (ou presque, parce que l’éditeur l’avait déjà sorti il y a quelques temps) de James “Frankenstein” Whale, L’Homme au Masque de Fer (1939).

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Cet autre moi-même

Les termes barbares sont l’apanage du XXème siècle, grande période de théorisation et d’expérimentation, alors que ce qu’ils désignent peut exister depuis fort longtemps sous une appellation, ou sans être nommé avec précision. L’uchronie, terminologie rendue célèbre par des exemples comme Le Maître du Haut-Château de Philip K. Dick (1962) ou encore La Victoire de la Grande Armée de Valéry Giscard d’Estaing (2010, vous vous y attendiez pas à celle-là), remonte jusqu’au XIXème siècle. Et parfois avec un visage oublié, alors que l’œuvre répond à certains critères : tel est le cas de d’extrêmement renommé Le Vicomte de Bragelonne d’Alexandre Dumas père, publié de 1847 à 1850, qui livre une version assez imaginaire de l’histoire de France en monarchie absolue et de l’épisode du masque de fer. Le masque de fer, c’est le mystérieux prisonnier mort à la Bastille en 1703, portant…un masque de fer, mais avec une identité inconnue qui a depuis alimenté moult spéculations. La réponse d’Alexandre Dumas à cette énigme, exposée dans une partie du Vicomte de Bragelonne, est choisie pour bâtir le scénario, en adaptation libre, du film de James Whale sorti en 1939 et que Rimini Editions propose ce mois-ci, L’Homme au Masque de Fer.

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En 1638, Louis XIII attend la naissance d’un héritier. Manque de pot, son épouse Anne d’Autriche accouche de deux jumeaux. Afin d’éviter à l’avenir toute guerre civile ou conflit pour la succession, l’existence d’un des bébés est cachée, son éducation confiée à d’Artagnan qui s’isole en campagne. Quelques années plus tard, Louis XIV exerce son pouvoir en dictateur – vision un peu monolithique qui est en soi une uchronie de la part du scénariste George Bruce, mais on est en 1939 et peut-être qu’il y a là quelque chose à voir avec la montée du nazisme – et par des impôts que le mousquetaire refuse de payer, il emprisonne d’Artagnan et son frère inconnu. Cela dit, frappé par la ressemblance avec ce dernier, Louis XIV souhaite en faire son sosie, mais ça dérape et la jalousie le pousse à l’enfermer à la Bastille, avec un masque de fer, à perpétuité. Philippe, le jumeau malheureux, fomente sa vengeance…En l’état, L’Homme au Masque de Fer est un récit de cape d’épée soutenu, bénéficiant des charmes d’un genre et d’une époque où les mousquetaires avaient la côte. Décors somptueux, pléthore de figurants, suspense, jeu théâtral…Il ne fait aucun doute que le long-métrage a été pensé pour être un grand spectacle, qui aurait pu n’être mis en scène que par un artisan. Déception peut survenir quand on voit la façon dont les séquences de bataille sont chapeautées, tant on pense à la puissance qu’a le montage par exemple dans d’autres œuvres de James Whale.

Toutes les scènes où le masque de fer, l’objet en lui-même, apparaît, tranchent pourtant radicalement avec le côté hollywoodien du reste. L’éclairage et le cadrage expressionnistes propulsent le spectateur dans l’angoisse et les ténèbres du cinéma d’épouvante d’alors style La Maison des Morts (1932). Sublimes et tragiques, ces séquences irriguent la thématique transversale du cinéma de James Whale, lui l’homosexuel à une époque où Hollywood et le monde étaient loin de l’accepter. La difficulté, la torture de l’acceptation de sa propre altérité, l’irréconciliable dichotomie entre différence et similitude, la face cachée et inavouable de chaque être humain. C’est passé par le monstre de Frankenstein (1931), par L’Homme Invisible (1933) – un personnage qu’on ne voit pas c’est un personnage qui n’a pas besoin de se faire accepter, ou de s’accepter dans le regard des autres – cela passe dans L’Homme au Masque de Fer par le monstre/l’ennemi à détruire qui est le jumeau. L’importance de ce long-métrage dans la carrière de son auteur est donc certaine.

Rimini Editions avait déjà édité l’objet en DVD il y a près d’un an, mais ils nous font la surprise de le ressortir cette fois en combo DVD/Blu-Ray, avec une restauration absolument exemplaire. On peine à croire que le film ait près de 80 ans, tant il est somptueux en haute définition. Les bonii également ont été soignés avec trois entretiens avec l’historienne Odile Boraz spécialiste d’Alexandre Dumas, Christophe Champclaux historien du cinéma et enfin Michel Olivier maître d’armes. L’aubaine est inespérée, tant les travaux de James Whale sont peu édités en France, et encore moins avec ce respect éditorial.


A propos de Alexandre Santos

En parallèle d'écrire des scénarios et des pièces de théâtre, Alexandre prend aussi la plume pour dire du mal (et du bien parfois) de ce que font les autres. Considérant "Cannibal Holocaust", Annie Girardot et Yasujiro Ozu comme trois des plus beaux cadeaux offerts par les Dieux du Cinéma, il a un certain mal à avoir des goûts cohérents mais suit pour ça un traitement à l'Institut Gérard Jugnot de Jouy-le-Moutiers. Spécialiste des westerns et films noirs des années 50, il peut parfois surprendre son monde en défendant un cinéma "indéfendable" et trash. Retrouvez la liste de ses articles sur letterboxd : https://boxd.it/s2uTM

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