Ocean’s 8


Dans la série des reboots, spin-off, sequels et autres raclures de fond de tiroirs hollywoodiens, Ocean’s Eight (Gary Ross, 2018) ne fait qu’allonger la longue et triste liste des films popcorns indigestes qu’il convient d’oublier très rapidement.

“La” casse du siècle

Ne vous y trompez pas, la production de ce nouvel opus de la brillante trilogie de Steven Soderbergh n’a pas été lancée après l’affaire Weinstein. Le film tombe pourtant à point nommé avec son casting 100% féminin et, à l’instar du film Tout l’argent du monde (Ridley Scott, 2017), il possède lui aussi son acteur coupé au montage en la personne de Matt Damon, qui a tenu des propos flous sur les gens accusées de comportement sexuels inappropriés. Quoiqu’il en soit, le long-métrage ne brille pas par l’inventivité de ses personnages ni par son audace scénaristique. Il reprend la trame du film de braquage de son aîné, le brillant Ocean’s Eleven (Steven Soderbergh, 2001), en le mettant à la sauce féminine : il ne s’agit plus de retrouver la femme aimée mais de se venger de l’amant couard. Pour le reste, il suffit de monter une équipe pour voler le Toussaint, un collier Cartier estimé à 150 millions de dollars, accuser au passage son ancien amant, se partager le butin et vivre sa vie. Une ligne narrative peu excitante, mais qui reste l’égale de celle dont elle s’inspire. On attendait le film ailleurs.

Malheureusement, la paresse aberrante avec laquelle Gary Ross met en scène ses personnages confère à l’ensemble une superficialité dérangeante, et l’emballage pseudo-féministe est consternant. En effet, le scénario se contente de dérouler linéairement les compétences propres à chacune des héroïnes, sans que le moindre obstacle digne d’intérêt vienne se mettre sur la route d’une d’entre elles. Rihanna (alias Nine-Ball) est une hackeuse de génie qui pirate un système sophistiqué de caméras de surveillance en trois clics, Awkwafina (alias Constance) est une pickpoket hors pair que rien n’arrête… La liste est longue et ennuyante. Le moment le plus symptomatique de cette incapacité à faire monter la tension reste le seul imprévu du plan machiavélique pensé par Sandra Bullock (alias Debbie Ocean, la sœur de Danny Ocean) : le collier ne se défait pas d’un simple tour de main, il faut utiliser un aimant spécial. Qu’à cela ne tienne, Nine-Ball appelle sa petite sœur de banlieue pour lui en construire un. Une scène, un appel, trois minutes et le tour joué, l’histoire rentre dans ses rails. Quand au twist final (la surprise loupée devrais-je dire), elle n’intervient sans aucune autre raison que d’éviter le sommeil profond au spectateur… La déception est à la hauteur de l’attente et illustre encore une fois l’incapacité créative des studios américains. Face à la concurrence toujours plus acharnée sur le terrain de l’originalité, le repli sur les franchises du passé, transformées à l’occasion en « cash machine », a de quoi inquiéter : l’imagination semble avoir quitté les hautes sphères de la création à Hollywood. Les échecs cuisants tels que John Carter (Andrew Stanton, 2012) et Jupiter : Le Destin de l’univers (Lana et Lilly Wachowski, 2015) ne rappellent que trop bien aux décisionnaires qu’il vaut mieux un remake réchauffé et mou qu’un scénario original et risqué. C’est ainsi qu’on voit dérouler sous nos yeux ébahis des kilomètres de resucées depuis maintenant une demi-décennie.

La stratégie ne date pas d’hier : Ben Hur (William Wyler, 1959) est un remake du film de 1925, Scarface (Brian de Palma, 1983) reprend le film de Howard Hawks (1932), Les Sept Mercenaires (John Sturges, 1960) ne sont autres que Les Sept Samouraïs (Akira Kurosawa, 1954) en version occidentale et même Ocean’s Eleven (Steven Soderbergh, 2001) est une reprise de L’Inconnu de Las Vegas (Lewis Milestone, 1960). Cependant, tous ces remakes se sont démarqués de leur modèle et sont devenus des références dans leur genre, grâce aux réalisateurs, scénaristes et producteurs qui avaient su y voir une source des possibles plutôt qu’une œuvre définitive qu’on essaierait vainement de copier. C’est le principal défaut d’Ocean’s Eight (Gary Ross, 2018) qui se contente d’un enchaînement mécanique d’actions et de personnages archétypaux, quand son prédécesseur liait avec élégance psychologie et scènes de bravoure dans un braquage aussi hors norme qu’excitant. On regrette la solidité et l’originalité de la mise en scène de Soderbergh face à la banalité « girly » de celle de Gary Ross, ainsi que les moments de pur plaisir en compagnie de personnages hauts en couleurs. À ce jeu-là, le personnage écervelé d’Anne Hathaway ou loufoque d’Helena Bonham Carter font pâle figure. Le film se permet même un final « méta » culotté, où Debbie Ocean s’adresse, face caméra, à la tombe de son frère (le personnage de George Clooney) en sirotant un Martini : « Tu aurais adoré ». Non, vraiment, on n’adore pas.


A propos de Baptiste Salvan

Tombé de la Lune une nuit où elle était pleine, Baptiste ne désespère pas de retourner un jour dans son pays. En attendant, il se lance à corps perdu dans la production de films d'animation, avec son diplôme de la Fémis en poche. Nippophile invétéré, il n’adore pas moins "Les Enfants du Paradis", son film de chevet. Ses spécialités sont le cinéma d'animation et les films japonais. Retrouvez la liste de ses articles sur letterboxd : https://boxd.it/rZQHW

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