Climax


Présenté cette année à la Quinzaine des réalisateurs, le nouveau film de Gaspar Noé était sans surprise l’un des événements les plus attendus à Cannes. Presque rien n’avait fuité avant sa présentation au festival, si ce n’est un mystérieux synopsis, et le fait que le film ait été tourné en 15 jours. Au moment de le découvrir, l’excitation était donc pour nous maximum. Elle n’était malheureusement pas aussi forte que la déception ressentie à la sortie de la salle…

Climin

Même les plus grands détracteurs de Gaspar Noé doivent bien le reconnaître, peu de cinéastes sont capables de générer un tel événement autour de leur personne et de leur nouveau film lors de leur première projection. Dans un festival qui aura, pour certains, manqué d’électricité et d’excitation, les deux projections de Climax – une à 8h45 l’autre à 18h – au Théâtre Croisette de la Quinzaine des réalisateurs, ou plutôt les avants-projections, auront été sans conteste des moments forts de cette édition. La foule se pressant devant la salle et le nombre impressionnant de refoulés à l’entrée – ayant attendu parfois pendant plus de deux heures et demie – pouvaient en témoigner : un nouveau film de Gaspar Noé est un véritable événement, qu’on le veuille ou non. D’ailleurs, cette projection était une belle fête. Tous les acteurs/danseurs étaient là et ont fait un numéro sympathique à la fin, l’ambiance était joyeuse, et en voyant Noé en costard souriant et profitant de ses acclamations, je me suis dit que ce type devait être quelqu’un de bien. Plus que pour tout autre cinéaste, le rapport qu’on a à son nouvel opus dépend beaucoup du rapport qu’on a au reste de son oeuvre. Pour ma part, le cinéma de Gaspar Noé n’est pas tout à fait ma came. J’ai malgré tout de l’admiration pour le diptyque formé par Carne (1991) et Seul contre tous (1998) ainsi que pour les premières minutes d’Irréversible (2002) et d’Enter the void (2009), mais moins pour les suivantes que je trouve soit trop complaisantes, soit tout simplement trop longues et trop bêtes. Par contre, j’aime vraiment la sincérité naïve de Love (2015) et son personnage masculin certes un peu idiot, mais très touchant. Love m’avait fait espérer un tournant dans la carrière de Noé, notamment dans la belle manière qu’il avait de filmer ses scènes de sexe, à l’opposé de son sensationnalisme habituel qui transparaissait jusqu’à l’usure dans sa promo, mais au contraire dans une sorte de rigueur plastique, presque documentaire, dont le sentiment immersif était renforcé par le formidable travail de la 3D.

Dans son premier mouvement, Climax laisse vraiment espérer que ce tournant en était bien un. Pendant vingt minutes, Noé filme d’abord des interviews assez savoureuses de ses danseurs, à tel point qu’on en vient à s’interroger sur le genre du métrage qu’on regarde : est-ce un documentaire ? Puis vient une hallucinante scène de danse à plusieurs, filmé dans un plan-séquence aussi inouï que discret – là encore, il y a quelque chose de la captation documentaire – mettant à l’amende d’entrée de jeu Damien Chazelle et ses vaines agitations de La La Land (2017). Captant la puissance chorégraphique de la séquence et l’incroyable intensité corporelle de ses interprètes, Noé tire là le meilleur de sa virtuosité, et livre peut-être les plus belles minutes de son cinéma. Le problème, c’est que le virage que prend ensuite le récit est terriblement décevant. Intervient d’abord le générique, qui fait déjà douloureusement redescendre sur terre. Si l’on oublie l’amusant carton initial – “un film français et fier de l’être” – le générique qui suit n’est ni plus ni moins qu’une affligeante parodie de celui d’Enter the void, comme si celui-ci avait été tellement dévitalisé qu’il se serait transformé en générique pour vidéo Konbini… Le pire est à suivre, lorsque le pitch qu’on pouvait lire sur le net s’exécute sans la moindre surprise. Le film raconte donc l’histoire d’un groupe de danseurs qui, à la suite d’une répétition, boivent tous une sangria dans laquelle se trouverait une drogue les faisant tous sombrer dans la pire folie, et la pire violence. Tous s’agitent dans tous les sens, se cognent, se hurlent dessus, devant la caméra virevoltante jusqu’à la gerbe de Gaspar Noé qui visiblement a pris son pied pendant ces quinze jours. Alors, évidemment, impossible de prétendre qu’il n’y a rien d’impressionnant. Les plans-séquences sont fous et Noé montre son talent et ses muscles sans souci. Le problème, c’est que tout ça tourne très vite à vide, et que le garçon démontre qu’il n’a rien à raconter. Pour réveiller le spectateur, il enchaîne donc les provocations un peu pathétiques devant lesquelles on baille vite – un carton pro-life par-ci, de violents coups dans le ventre d’une femme enceinte par-là. Ce qui déçoit le plus dans tout ça, c’est que l’immersion, qui est le cœur de son cinéma et de sa réussite quand elle a lieu, n’opère jamais, parce que tout ce qu’on voit dans Climax, on l’a déjà vu dans les précédents films de Noé, en bien mieux.

En référence aux groupes de musique qui à un moment de leur carrière font leur best-of, Gaspar Noé prétend en interview avoir voulu faire avec ce film son worst-of. Il ne croyait pas si bien dire. On retrouve bien là toutes ses obsessions – le caractère irréversible de la violence, la brutalité dégénérée de l’âge adulte sous substance face à la pureté innocente de l’enfant, la femme brutalisée, best of de musique techno hype utilisée de manière bien complaisante, etc… – mais traitées de la pire manière qu’il a pu faire auparavant, c’est à dire avec ce ton immature et rigolard fatigant qu’il semblait avoir pourtant perdu avec Love, œuvre de la maturité. On retrouve également son goût pour les acteurs amateurs qu’il fait improviser. Parfois, cela fonctionne chez lui – la scène de coup de foudre sous forme de conversation improvisée en plan-séquence dans Love est une merveille – mais ici tous les interprètes semblent totalement perdus dans le registre du jeu et sont beaucoup trop mauvais pour qu’il y ait une once d’empathie pour eux. L’agacement face à Climax ne vient donc certainement pas des provocations de son auteur – elles n’ont jamais été aussi dérisoires et ce n’est pas nous qui allons nous plaindre de la violence au cinoche merde – d’ailleurs mon film préféré de Cannes est celui de Lars Von Trier, autrement violent, j’y reviendrai avec bien plus de plaisir très vite – mais plutôt d’un amer sentiment de gâchis et de bâclé. Car, s’il est impressionnant de tourner un tel film si vite, il n’y a aucune fierté à en tirer un résultat aussi vain et ce, quels qu’en soient ses moments de bravoure.


A propos de Pierre-Jean Delvolvé

Scénariste et réalisateur diplômé de la Femis, Pierre-Jean aime autant parler de Jacques Demy que de "2001 l'odyssée de l'espace", d'Eric Rohmer que de "Showgirls" et par-dessus tout faire des rapprochements improbables entre "La Maman et la Putain" et "Mad Max". Par exemple. En plus de développer ses propres films, il trouve ici l'occasion de faire ce genre d'assemblages entre les différents pôles de sa cinéphile un peu hirsute. Ses spécialités variées oscillent entre Paul Verhoeven, John Carpenter, Tobe Hooper et George Miller. Il est aussi le plus sentimental de nos rédacteurs. Retrouvez la liste de ses articles sur letterboxd : https://boxd.it/riNSm

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