Hostiles


Les amateurs du genre ne tarissent pas d’éloges sur Hostiles, western contemporain et donc forcément sombre et anti-manichéen. Cela dit, le long-métrage de Scott Cooper n’échappe à des défauts typiquement américains, qui nous renvoient eux à ce que le cinéma outre-Atlantique peut avoir de plus classique.

 Du vieux avec du neuf

Après une certaine disgrâce de plusieurs décennies, le western a refait une apparition remarquée durant les deux premières décennies du XXIème siècle. On cite toujours les mêmes, mais il le faut bien : L’assassinat de Jesse James par le lâche Robert Ford (Andrew Dominik, 2007), True Grit (Frères Coen, 2010), Django Unchained (Quentin Tarantino, 2012)… J’émets de personnelles réserves à parler là d’une vague tant les films sont différents entre eux, mais ce qui est sûr c’est qu’à l’instar de l’effet Gladiator (Ridley Scott, 2000) sur le péplum (effet hélas de courte durée) un genre tombé en désuétude a eu une seconde naissance à la faveur d’une poignée de cinéastes et producteurs qui ont livré leurs visions de la chose. Comme tous les genres historiques, le western a d’ailleurs un discours frappant à faire sur le monde contemporain, à ne pas douter par exemple que l’ère Trump, questionnant les sources de l’identité américaine, devrait amener de singuliers nouveaux exemples sur grand écran. Hostiles (Scott Cooper, 2018) pourrait déjà être l’un d’entre eux.

La lecture première du long-métrage est aisée. Christian Bale joue un gradé de l’armée des États-Unis, traumatisé par la guerre de colonisation (je l’appelle comme ça, il n’y a pas d’autre mot) contre les Amérindiens. C’est un protagoniste en réalité sentimental – malgré l’apparence austère de son statut – que les atrocités et les pertes de compagnons chers ont conduit à une haine viscérale de l’ennemi. Or mission lui est confiée d’escorter un vieux chef Amérindien à travers le pays, pour le mener en zone où il sera libre, suite à des accords politiques émanant directement de Washington. Porté par un rythme, une ambiance intime, une direction d’acteurs et leurs jeux admirables (on vous avait déjà dit le bien que l’on pensait du travail de Cooper sur ce point avec Strictly Criminal sorti en 2015), Hostiles se construit comme un récit mettant dos à dos Amérindiens et yankees puis face à face et enfin côte à côte dans la douleur de la guerre, refusant ainsi le manichéisme, et glorifiant la cohabitation entre diverses communautés. Voilà certainement le discours très actuel et anti-Trump laissé par le cinéaste. Et la critique n’a pas tari d’éloges sur le film ainsi que sa supposée teneur cinématographique contemplative, crépusculaire (donc actuelle) et politique.

Il serait malvenu de nier cela. Par contre, je crois que Hostiles est un long-métrage autrement plus paradoxal, et c’est là qu’il atteint ses limites. Il n’est pas un symbole du néo-western, ou de je ne sais quelle nouvelle donne qui épouserait vraiment les contours du monde contemporain. C’est une œuvre en réalité bien plus bâtarde qu’il n’y paraît car elle souffre encore, insidieusement, des disgrâces du western dans ce qu’il a de plus classique et « ancien ». En effet la grossièreté du film frappe parfois. Si la douleur de ses personnages est belle, Scott Cooper l’amplifie dans certaines séquences jusqu’à l’indécence auteurisante « regardez comme elle souffre », à base de caméra à l’épaule, de cris inaudibles, de musiques tragiques. La gestion de la mort est elle aussi traitée avec un mécanisme irréel (la séquence d’introduction où les Comanches arrivent à viser tout le monde, le bébé dans les bras y compris, mais pas la mère qui tient le bébé ?) qui enfonce le récit dans un didactisme assez redondant. Ce didactisme ayant pour but que seuls les personnages nécessaires à la recomposition d’une famille bien symbolique restent, entre un enfant Amérindien rescapé, une femme martyre, et le capitaine gradé usé par la guerre… Comment cette lourde gestion du symbole, ce souci de souligner avec pesanteur ce qu’il y a à comprendre, pourrait faire de Hostiles un chantre du western post-moderne alors qu’il a exactement les mêmes défauts que les westerns des années 30/40, défauts que les westerns des années 50/60 et 70 ont par ailleurs fustigés ? Sous ces atours de film neuf, le fond d’Hostiles est ainsi davantage un retour aux valeurs parfois rigides et manichéennes à leur façon du western classique. Ce n’est pas un hasard si John Ford est cité littéralement, via le célèbre plan d’ouverture de La prisonnière du désert (1956)… On a fait plus actuel et iconoclaste.


A propos de Alexandre Santos

En parallèle d'écrire des scénarios et des pièces de théâtre, Alexandre prend aussi la plume pour dire du mal (et du bien parfois) de ce que font les autres. Considérant "Cannibal Holocaust", Annie Girardot et Yasujiro Ozu comme trois des plus beaux cadeaux offerts par les Dieux du Cinéma, il a un certain mal à avoir des goûts cohérents mais suit pour ça un traitement à l'Institut Gérard Jugnot de Jouy-le-Moutiers. Spécialiste des westerns et films noirs des années 50, il peut parfois surprendre son monde en défendant un cinéma "indéfendable" et trash. Retrouvez la liste de ses articles sur letterboxd : https://boxd.it/s2uTM

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