Le lion est mort ce soir


Alors qu’on pouvait s’attendre à un joli petit film dans lequel le trop rare Jean-Pierre Léaud tient la vedette, Le Lion est mort ce soir nous permet de le retrouver, avec plaisir, dans une oeuvre étonnamment estampillée Fais pas genre !  La faute aux fantômes des films passés probablement.

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Le Roi Léaud

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Truffaut a dit un jour que Jean-Pierre Léaud était un acteur anti-documentaire, en ce sens que dès qu’il entre dans une pièce, tout prend soudainement des airs de fictions. Je n’ai jamais rencontré Jean-Pierre Léaud, je ne peux confirmer les dires de Truffaut, mais je veux bien le croire. Et l’aura anti-documentaire de Jean-Pierre Léaud y est sans doute pour beaucoup dans la réussite de Le Lion est mort ce soir, nouveau film de Nobuhiro Suwa, réalisateur japonais auteur d’Un couple parfait en 2005 ou encore du remake expérimental de Hiroshima mon Amour (Alain Resnais, 1959) avec Béatrice Dalle intitulé H Story (2001). Ici, c’est l’histoire de Jean, acteur de son état qui sur un tournage en Méditerranée est préoccupé par la scène de mort qu’il pense ne pas savoir jouer. Car la mort, pour lui, c’est une rencontre, qu’il n’a toujours pas faite. Il décide alors, puisqu’il est coincé sur ce tournage mis en pause par les caprices d’une comédienne en mal d’amour, de rendre hommage à son amie Juliette qui s’est suicidée plusieurs décennies plus tôt. Rattrapé par son passé, il squatte comme un voleur, mais un voleur mélancolique, la maison de ladite Juliette, quelque peu laissée à l’abandon depuis le temps. Dans la chambre de sa défunte amie, il rencontre le fantôme de cette dernière avec laquelle il tient un dialogue hors du temps. Mais la maison abandonnée est aussi le lieu d’un tournage sauvage et amateur d’une bande d’enfants en vacances d’été et la rencontre est évidente. La bande et le vieux s’apprivoisent et improvisent un court-métrage d’horreur, où les fantômes ne sont pas des ombres mélancoliques, mais des méchants qu’il faut tuer, si l’on peut tuer quelque chose qui est déjà mort. Les enfants, turbulents comme des enfants, écoutent les conseils de Jean qu’ils ne connaissent pas, le dirigent maladroitement, mais passionnément. La nouvelle vague incarnée, comme vous l’aurez compris par Jean-Pierre Léaud, rencontre le cinéma américain contemporain, ou du moins influence le scénario des enfants, qui reproduisent les codes des blockbusters tels que SOS Fantômes (Ivan Reitman, 1984, mais probablement également son remake réalisé par Paul Feig en 2016), ouvertement cité, le tout dans l’humour et avec un regard sur l’avenir, l’avenir de ce comédien qui doit rencontrer la mort ou des enfants qui seront peut-être un jour de futurs grands cinéastes.

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En soi, le film est beau et pratiquement parfait si l’on ne garde que l’histoire de l’acteur et des enfants. La relation entre Jean et Juliette étant tellement théâtrale qu’elle sonne faux et les comédiens, Jean-Pierre Léaud comme Pauline Etienne, ne sont pas aidés par les dialogues extraits de Fugue en mineur(e) de Pierre Léaud (père de Jean-Pierre). Les enfants trop souvent libres, se savent filmés et perdent leur naturel en jouant aux comédiens. Il convient de se demander si ce n’était pas déjà le cas dans les films de Truffaut, si ce n’est que, le phrasé de cette époque n’existant plus, nous, enfants des 90s, ne nous rendons peut-être pas compte du degré de jeu d’acteur ou de spontanéité chez ces jeunes enfants des années cinquante. Même si je pense que la plupart des répliques étaient écrites chez Truffaut, ce qui n’est clairement pas le cas ici ou l’improvisation et la captation à la volée des dialogues des enfants semble être majoritaire. Quoi qu’il en soi, on s’attache tout de même à ces sales mômes et leurs chasseurs de fantômes et on leur pardonne leurs maladresses qui deviennent presque touchantes. On pardonne difficilement par contre la photographie de Tom Harari, minimaliste, elle ne rend pas grâce au long-métrage et assure le travail minimum. Léaud, qui sait pourtant jouer la longue et ennuyeuse (La) Mort de Louis XIV (Albert Serra, 2015) est toujours aussi formidable. Je comprends que l’on ne puisse aimer son style de jeu, mais inévitablement, on ne peut s’empêcher de faire le parallèle ici entre Truffaut et Léaud, ce dernier prenant la place du premier dans Le Lion est mort ce soir, les enfants devenant ceux des 400 coups (1959) ou de L’argent de poche (1976). Ceux à qui il faut transmettre le virus du cinéma, ceux à qui il faut mettre une caméra dans les mains pour qu’ils capturent à leur tour, leurs propres réalités. Quand J.J Abrams rendait hommage aux films de son enfance, en particulier ceux de Spielberg, avec Super 8 (2011), Nobuhiro Suwa semble quant à lui rendre hommage à ceux de la nouvelle vague avec Le Lion est mort ce soir, sur lequel semble planer un autre fantôme, celui du bienveillant François Truffaut. Car finalement si Valerie Donzelli s’est plantée dans ses hommages truffaldiens avec Marguerite et Julien (2015) ou encore Main dans la main (2012) en singeant les codes sans se les approprier, Nobuhiro Suwa propose un regard contemporain, mais plein d’hommages sur ce cinéma, lourd héritage dont il faudrait, enfin, se défaire. L’éternelle amoureuse d’Antoine Doinel que je suis ne peut se résoudre à l’inévitable, la disparition de l’acteur de 73 ans, mais toujours aussi juvénile, me rendrait profondément triste et j’aime toujours autant le découvrir dans un nouveau rôle au cinéma. Mais force est de constater que Le lion est mort ce soir serait un joli point final.


A propos de Angie Haÿne

Biberonnée aux Chair de Poule et à X-Files, Angie grandit avec une tendresse particulière pour les monstres, la faute à Jean Cocteau et sa bête, et développe en même temps une phobie envers les enfants démons. Elle tombe amoureuse d'Antoine Doinel en 1999 et cherche depuis un moyen d'entrer les films de Truffaut pour l'épouser. En attendant, elle joue la comédie avant d'ouvrir sa propre salle de cinéma. Ses spécialités sont les comédies musicales, la filmographie de Jean Cocteau, les sorcières et la motion-capture.

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