Star Wars : Les Derniers Jedi 5


Après un premier épisode (ou plutôt un septième) faisant la part belle à une nostalgie doudou à laquelle votre serviteur avait été très sensible, ce huitième épisode réalisé par Rian Johnson surprend son monde en rebattant les cartes. Critique de Star Wars : Les derniers Jedi garantie avec plein de spoilers dedans.

 

Un côté blanc, un côté noir. Personne n’est tout moche ou tout beau.

Quant il y a deux ans déferlait sur le monde et les grands écrans une troisième vague de guerre des étoiles, beaucoup s’étaient insurgés que ce nouvel épisode, Le Réveil de la Force (J.J Abrams, 2015) ne faisait qu’agiter des doudous pour fans, manquant cruellement d’originalité et d’inventivité. S’il est vrai que le film fonctionnait sur un canevas préétabli et rappelait les bonnes heures de la trilogie initiale, Abrams en faisait davantage un film méta, centrant son intrigue sur la quête d’un passé à retrouver, y distillant quelques belles intentions et un vrai savoir-faire. Nul besoin ici de défendre à nouveau ce septième épisode, il vous suffit simplement de faire escale un instant sur mon article de l’époque, histoire d’être à peu près à jour quant à ma pensée. Passons, le voulez-vous, au long-métrage qui nous intéresse aujourd’hui. À l’orée du septième volet, on s’attendait à ce que J.J Abrams rempile et soit le nouvel artilleur de la trilogie. La surprise fût grande quand fût annoncé que deux autres réalisateurs se chargeraient de compléter l’histoire, rappelant à nouveau Abrams à son éternel statut de raviveur de flamme. Kathleen Kennedy et Disney annonçaient la mise en chantier de l’épisode huit par le jeune Rian Johnson – réalisateur du sympathique Looper (2012) et d’un premier film remarqué Brick (2005) et aussi accessoirement personnage public ayant le plus une tête de bisounours – et d’un neuvième dans la foulée dévolu à Colin Trevorrow. Entre temps évincé pour « différents artistiques » , ce dernier fût remplacé ni vu ni connu par Abrams, revenu sauver la baraque en bon samaritain et conclure l’œuvre qu’il avait commencée. Mais cela est une autre histoire et il faudra attendre encore deux ans pour en débattre. Car le défi qui s’offre à J.J Abrams pour son épisode neuf méritera toute notre attention tant Johnson est venu là rebattre les cartes en deux heures et demie, s’affranchissant d’une façon totalement inattendue de la quasi-totalité des canevas mis en place par son prédécesseur.

Au sortir de la projection, le constat est trouble. Comme souvent sur ce genre de film, le temps nécessaire à la digestion est d’autant plus grand qu’il est proportionnel à l’attente suscitée. Plus de deux ans durant lesquelles les fans (et les moins fans aussi) ont largement eu le temps d’établir leurs propres théories. Par ailleurs, puisque certains reprochaient au septième épisode de n’être qu’une resucée de l’épisode quatre, Un Nouvel Espoir (George Lucas, 1977), les mêmes s’imaginaient ou craignaient que ce huitième épisode serait naturellement une divagation autour du meilleur épisode de la saga qu’est L’Empire contre-attaque (Irvin Kershner, 1980). La malice de Rian Johnson est d’avoir usé de la carte blanche étonnante que lui a donné Disney pour l’écriture du scénario pour faire fi de toutes ces théories, mais aussi d’avoir pleinement pris conscience que si la nostalgie de l’épisode précédent fonctionnait par effet de miroir – le spectateur étant en quête de retrouver ces vieux héros en même temps que les nouveaux personnages – cela n’aurait pas tenu la route sur deux, voire trois films. L’intelligence du bonhomme est d’avoir donc pris à bras le corps son sujet et établi le constat évident qu’un deuxième épisode se devait de faire sa révolution sous peine de condamner la trilogie toute entière à un bis repetita. Rebattre les cartes, donner des coups de pieds dans le château de sable, réinventer le mythe, voilà l’ambition affichée clairement par ce huitième épisode. Plus encore, cette nécessité d’abandonner ce regard sur le passé pour se tourner vers le futur est au centre même de l’intrigue. C’est tout le dilemme qui s’offre à Rey, orpheline toujours tourmentée par la quête de ses origines, qui est expressément invitée à aller de l’avant et ne pas chercher de réponse. C’est aussi la doctrine de Luke Skywalker – incroyable Mark Hamill, qui gagne en charisme et en nuance de façon assez bluffante – et ce dès le premier plan où on le retrouve. Se saisissant du sabre laser (le sien) que Rey lui tendait comme une invitation à la fin de l’Episode VII, ce dernier s’en saisit et le balance illico presto derrière lui comme un vulgaire détritus. À partir de ce moment, son discours ne changera pas. La vieille dichotomie entre le bien et le mal n’existe plus, tout ce que les Jedi pensaient sur la force n’était qu’un vieil adage fallacieux. Il faut en finir, ne plus croire en toutes ses histoires, réinventer le mythe.

Dès lors, le processus de déconstruction entamé par Rian Johnson sera un véritable bulldozer. Il s’autorise ce que personne n’avait jamais osé faire jusqu’alors. En premier lieu, le temps d’une séquence assez incroyable et profondément émouvante – que certains qualifieront ça et là de légèrement kitsch, durant laquelle la générale Léia Organa toujours campée par la magnifique et regrettée Carrie Fisher – cette dernière prestation est sûrement sa meilleure – se retrouve propulsée dans l’hyperespace, son vaisseau pulvérisé par le Nouvel Ordre. Tout porte à croire à ce moment que l’on assiste, éperdus, à un dernier adieu au personnage et à sa comédienne. Que nenni, la princesse trouve ses dernières ressources dans la Force et en use (enfin !) afin de rejoindre le vaisseau allié le plus proche. La vision de Léia, en apesanteur dans l’espace, flottant comme une ressuscitée bouleverse tant la séquence iconise sa comédienne disparue donnant à son personnage son dernier grand moment de bravoure. À noter qu’à la fin de cet épisode, Léia n’a toujours pas passé l’arme à gauche. La production ayant eu le bon sens de ne pas tenter un rafistolage au montage ou par des reshoots pour faire passer la pilule. Sa disparition, ainsi que ses circonstances, seront donc sûrement au centre des prochaines théories de fans et il convient désormais à Abrams d’en assumer le fardeau et de remercier son copain Rian pour ce cadeau empoisonné. Plus encore, Johnson s’autorise à revisiter entièrement le concept de la force. Harcelé par la jeune Rey qui lui demande de lui enseigner les préceptes, le vieux Luke ayant suffisamment pu cogiter sur la question lors de sa retraite, lui donne des réponses inattendues qui font voler en éclats les explications scientifiques apportées par George Lucas dans sa prélogie (la Force dépendrait de la présence ou non dans le sang, en forte quantité concentrée, d’un agent nommé midichlorien) tout comme celles plus manichéennes de la trilogie initiale, qui lui furent enseignées par Yoda. Cette redéfinition prend tout son sens dans ce qui constitue la meilleure séquence du film – et peut-être même la meilleure des huit épisodes réunis, oui oui – les deux jeunes protagonistes, Rey et le tourmenté Ben Solo alias Kylo Ren, se retrouvent ensemble dans la salle du trône de celui qu’on nous avait présenté comme le nouvel empereur : Le Suprême Leader Snoke . Dans cette séquence, brillante, l’un et l’autre ne vont cesser de tanguer d’un côté ou de l’autre de la Force. On croit un instant Ben revenu à la lumière quand il utilise le sabre laser de Rey (celui de Luke) pour découper Snoke en deux avant de se joindre à la jeune femme pour se battre côte-à-côte et dos-à-dos et éliminer la garde rapprochée du vilain dans une séquence bluffante, dont la mise en scène rappelle les wu-xia-pan et leurs décors épurés et monochromatiques. À nouveau, Rian Johnson fait un pied de nez audacieux à la mythologie mise en place par son prédécesseur. D’aucuns se plaignent déjà du sacrifice de ce personnage antagoniste dont on ne savait rien, mais la mutation qu’une telle décision fait opérer sur Kylo Ren est précieuse pour la suite. Alors qu’on le croyait revenu du bon côté, il invite immédiatement Rey à le rejoindre du côté obscur, conscient que son geste héroïque lui aura surtout permis de devenir le grand méchant qu’il rêvait d’être. À bien des égards, ce que réussit le mieux le film est l’évolution psychologique de ses deux héros principaux et plus encore l’évolution des rapports qu’ils entretiennent l’un avec l’autre. Malgré leur dépouillement, les séquences de télépathie entre Rey et Kylo Ren atteignent quelques pics d’émotion et de trouble érotique assez étonnants pour un Star Wars et s’imposent comme le socle thématique du film dans son entier.

Alors bien entendu, il convient aussi d’admettre les défauts de cet épisode, car il en a beaucoup. Assez logiquement, la maîtrise de J.J Abrams dans le septième épisode tenait aussi du fait qu’il maniait en tout et pour tout des codes et des séquences clés appelant un regard nostalgique, adjoint à une certaine habilité du bonhomme quant à la caractérisation des personnages (il n’est pas le papa de Lost pour rien) et à la mise en scène des séquences d’émotions. Évidemment, l’audace déployée ici par son successeur l’amène à quelques sorties de route un peu maladroites et incontrôlées. En premier lieu, l’ensemble du traitement de l’arc narratif consacré à Finn qui ennui et semble un peu poussif. Ce personnage qui était l’une des belles idées de l’épisode précédent – un stormtrooper prenant conscience des exactions commises par le nouvel ordre décidait d’entrer dans la Résistance – se retrouve ici un peu mis de côté. Il est même amusant de constater qu’alors que le précédent opus s’amusait d’une amitié trouble entre Finn et Rey, l’ex-stormtrooper se retrouve dans la délicate position du love-interest – très (trop) souvent un rôle dédié aux femmes et pour une fois tenu par un personnage masculin – dépouillé de son intérêt dès lors que sa potentielle aimée est envoyée à l’autre bout de la galaxie. Réduit à n’être plus que le nigaud capable de définir l’armement de l’ennemi ou dresser des plans d’une base parce qu’il a, je cite « balayé là-bas une fois », Finn est clairement le perdant de la circonvolution opérée par Rian Johnson. Le scénario a beau tenter de lui adjoindre un autre love-interest en la personne de la résistante Rose ou de lui faire vivre des missions suicide sans grand intérêt, le personnage incarné par John Boyega est présent dans la plupart des séquences posant des problèmes rythmiques au film. Pour preuve, en premier lieu, cette séquence sur la planète casino, Canto Bright, qui déçoit tant elle rappelle visuellement les heures sombres de la prélogie et semble quelque peu poussive malgré les thématiques fortes qu’elle convoque : le trafic d’armes, la complicité des puissants avec les dictateurs, l’implication dissimulée des supposés gentils dans l’apogée des désignés méchants. Le mauvais traitement de certains personnages secondaires est une constante du long-métrage, principalement en ce qui concerne tous les nouveaux personnages qui s’ajoutent à une galerie de profils déjà fort fournie dans le précédent volet. Par exemple, les rôles de Laura Dern ou Benicio Del Toro, purement accessoires, peinent à convaincre, tandis que le personnage de Rose n’est pas des plus intéressants non plus. En contrepartie, l’intrigue traite un peu mieux le personnage de Poe que ce qu’en avait fait J.J Abrams, qui, ne sachant pas trop quoi en tirer, l’avait même évincé pendant plus de la moitié du récit. La présence accentuée à l’écran de ce pilote tête brûlée permet à Johnson de déployer une vraie maestria pour les séquences de batailles spatiales – mention spéciale pour l’ouverture et la bataille finale sur une planète de sel avec trouvailles visuelles en pagaille – et de parvenir à proposer des résolutions inédites, puisqu’enfin, les héros casse-cou ne sont pas forcément récompensés par leur insolente bravoure, mais échouent même le plus souvent et doivent s’expliquer de leur inconscience.

Au rayon des écarts, on regrettera aussi que la séquence signant le retour de Yoda dans ses plus beaux habits – à savoir ceux de la marionnette animée par le génial Frank Oz – soit un peu capillotractée. Il convient peut-être aussi de regretter quelques séquences totalement accessoires et gaguesques ou Luke boit le lait de créatures hybrides entre des dinosaures, des vaches et des éléphants de mer ou se met à chasser des poissons géants à grands coups d’échasses de quarante mètres. Cet humour que certains assignent à Disney parce qu’elle peut rappeler un peu l’insolente idiotie de certains Marvel (voir l’article : Quand les super-héros deviennent super plus cons) serait en réalité une pure décision du réalisateur, souhaitant retrouver le sel d’un humour enfantin qui a toujours existé dans la saga, quand on accepte d’ouvrir les yeux et de ne pas nier l’existence des Ewoks ou de Jar Jar Binks. Pour beaucoup de ces raisons, les fans, les vrais, ceux qui pourraient tuer leur mère, leur père, l’empereur, sa femme et le petit prince, si tu oses dire du mal de George Lucas, ont déjà décrété que cet épisode VIII était le pire de tous. Ceux-là mêmes qui hier tiraient à boulets rouges sur J.J Abrams en l’accusant de n’avoir fait qu’un copié-collé de l’Episode IV, sortent l’artillerie lourde face à Rian Johnson en considérant son travail de réinvention et de libération des conventions comme ni plus ni moins qu’un sabotage. Alors devant ces réactions disproportionnées, en bien comme en mal, vous conviendrez qu’il fallait peut-être rétablir un peu l’équilibre dans la Force.


A propos de Joris Laquittant

Sorti diplômé du département Montage de la Fémis en 2017, Joris monte et réalise des films en parallèle de son activité de Rédacteur en Chef tyrannique sur Fais pas Genre (ou inversement). A noter aussi qu'il est éleveur d'un Mogwaï depuis 2021 et qu'il a été témoin du Rayon Bleu. Ses spécialités sont le cinéma de genre populaire des années 80/90 et tout spécialement la filmographie de Joe Dante, le cinéma de genre français et les films de monstres. Retrouvez la liste de ses articles sur letterboxd : https://boxd.it/sJxKY


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