Santa & Cie 2


5 ans après le mal-aimé et pourtant très amusant Sur la piste du Marsupilami (2012), Alain Chabat nous revient avec un nouveau projet très attendu et très curieux : un film de Noël avec un père Noël qui existe, franco-français, très Nul, dans un Paris enchanté. Retour sur l’un des longs-métrages français les plus attendus de l’année.

Le Père Noël c’est vraiment un branleur*

Sur le papier, on ne savait pas trop quoi penser de ce Santa & Cie. Comment parvenir à adapter en France un genre si imprégné dans la culture américaine ? Comment imaginer le visage et les mimiques si reconnaissables d’Alain Chabat dans le costume du personnage le plus célèbre de la culture populaire ? Comment l’humour des Nuls ultra-référencé allait pouvoir rencontrer la naïveté du film pour enfant ? Comment une telle rencontre pourrait-elle éviter le kitsch trop souvent observé dans les blockbusters français ? Malgré toutes ces questions, dans mon coin, j’y croyais. Même quand la bande annonce (assez laide) et les premières affiches ratées sont arrivées, je continuais à y croire. Parce qu’Alain Chabat et son charme persistant ne m’avait encore jamais déçu (je tiens RRRrrrr (2004) pour la meilleure comédie française des années 2000, oui oui), et que je voulais bien croire que seul lui pouvait relever le pari. Qu’en est-il donc ?

L’histoire est simple. Le père Noël est habillé en vert. Il s’appelle Santa Claus. Il vit au Pôle Nord un quotidien paisible et pantouflard accompagnée de sa femme Wanda. Il laisse ses 92000 lutins s’occuper des millions de jouets commandés par des enfants de tous les pays. Jusqu’au jour où le lutin en chef, Magnus, tombe malade et s’effondre, suivi de tous ses autres s’écroulant à sa suite comme un ban de poissons. Une seule solution existe, trouver 92000 tubes de vitamines C. Santa doit alors s’envoler pour Paris pour trouver ces vitamines à temps avant le jour de Noël. Il sera aidé par un couple de parisiens et leurs deux enfants. L’une des premières qualités du long-métrage c’est sa capacité à tenir son intrigue et à en faire un grand film familial quasiment toujours captivant. Empli de retournements et de situations plus ou moins accomplis, il parvient à maintenir une certaine tension jusqu’à un dernier mouvement assez merveilleux, avec en paroxysme une échappée en rennes dans les rues illuminées de Paris. Dans cette scène, on perçoit la plus belle qualité du projet : celle de créer une vraie émotion dans une grande scène de film populaire à l’américaine, mais dans les décors de Paris. Le temps d’une scène, faire de Paris un espace de magie accueillant tous les clichés du film de Noël. Cette qualité d’adaptation, bien que très accomplie, n’est pas le plus fort. Ce qui est beau c’est de voir Paris réenchantée, loin de celui sinistre des canons du cinéma français d’auteur ou de celui triste et froid de la réalité post-attentats. Par-là, la croyance de Chabat dans « la magie de Noël » paraît totalement dépourvue de cynisme ou toute arrière-pensée mercantile, vraiment candide et joyeuse.

Chabat se révèle particulièrement habile dans le déplacement des clichés du cinéma français, dans l’utilisation du décor parisien d’abord donc mais aussi dans la caractérisation des personnages. En effet, le cœur de l’intrigue se joue à l’intérieur d’une famille, soit le cœur du cinéma populaire français. La force de Chabat est d’éviter tous les clichés dans la représentation de cette famille. Le foyer qui accueille le père Noël est représentée avec une grande justesse, et permet de créer parmi les scènes les plus réussies du film notamment grâce à Pio Marmaï et Golshifteh Farahani tous les deux excellents dans leur rôle de parents parisiens, et aux jeunes Tara Lugassy et Simon Aouizerate qui jouent leurs enfants. Il est extrêmement rare de voir d’aussi bons comédiens enfants au cinéma, Chabat parvenant même à mettre en scène de très touchants dialogues entre eux. Évidemment, dans ce registre de l’être mythologique et merveilleux s’incrustant et semant la zizanie dans une famille, l’ex-Nul ne joue pas la carte de l’originalité. J’ai d’ailleurs beaucoup pensé à un des films de mon enfance, le beau Elfe (Jon Favreau, 2002), avec l’immense (dans tous les sens du terme) Will Ferrel en lutin, et sans doute que les puristes des films de Noël y verront moult emprunts voire plagiats. Mais il reprend le flambeau avec suffisamment d’envie et de drôlerie pour qu’on s’amuse avec lui.

Cela vient évidemment aussi du charme inaltérable de Chabat comédien. Son éternel regard d’enfant perdu, devenu joliment bedonnant et fatigué, sa dégaine d’ado paresseux nous donnent envie qu’il habite chez nous. Pourtant, et c’est là aussi l’une des grandes qualités du film, il incarne un Père Noël absolument exaspérant, râleur, bête, impatient et branleur. Les moments où il s’impatiente auprès des humains incapables de répondre à ses besoins comme ses esclaves de lutin le font habituellement sont très drôles parce que plus surprenant au milieu de la joliesse de l’ensemble. On regrette parfois que Chabat ne soit pas allé plus loin dans l’irrévérence comme il a pu nous y habituer, peut-être plus formaté que d’habitude par l’ampleur du projet : « gros film de Noël Gaumont ». Il s’en sort suffisamment bien pour qu’on ne lui en tienne pas rigueur, parce que malgré tout son œuvre reste toujours fidèle à son image et en cela évite le calibrage. Comme son personnage principal et son auteur, Santa & Cie est parfois paresseux –notamment formellement abusant à outrance d’une longue focale un peu hasardeuse, de post-synchro parfois cracra et d’un montage un chouïa bâclé – ses jeux de mots foireux sont encore plus foireux que d’habitude (mention spéciale à Ralph Le Renne, et Santa Barbara), ses blagues toujours plus pipi-caca (et surtout prout), mais malgré tout on n’a étrangement jamais le sentiment d’être pris pour un con même quand ça paraît difficile. Cela vient sans doute du fait que Chabat est toujours capable de faire ressortir sa virtuosité rythmique de comédie, comme dans la scène où le couple essaie de faire comprendre le concept de l’argent au Père Noël. Le gag initial est complètement nul, mais Chabat l’épuise tellement, le fait durer si longtemps que finalement il fonctionne à plein régime et fait hurler de rire. Un peu comme à l’époque de « La Mouche qui pète », ce n’est pas la mouche et son pet qui nous font rire mais bien le temps qui leur est consacré et la durée du curieux rire du professeur Chabat. Si ce talent est un peu dévitalisé par rapport à celui qu’il avait dans ses premiers projets en tant que réalisateur (revoyez Didier (1997) les amis, c’est essentiel) il ressurgit encore par bribes, ce qui est aussi drôle qu’émouvant.

On n’est pas pris pour des cons aussi parce qu’on sent vraiment toujours une volonté de faire rêver son spectateur, de lui faire partager un plaisir communicatif qui semble régner au milieu de ceux qui fabriquent le film. Cette ambiance joyeuse – faite de caméos géniaux (Bacri d’or de l’année), de second rôles amusants (un frère excentrique joué par Johann Dionnet, un duo de flics incarnés par les deux acteurs du Palmashow plus supportables que d’habitude) de scènes déjà cultes (Santa débarquant à la pharmacie), d’effets spéciaux soignés et rêveurs n’ayant jamais peur du kitsch, de merveilleux rennes, etc. – nous fait sortir avec le sourire, en dépit de toutes les réserves qu’on peut avoir. A condition de retenir essentiellement sa qualité première, qui est celle aussi de ce père Noël ne connaissant pas la loi du marché : la générosité.

*Titre référence à l’un des meilleurs sketcks des Nuls, re(re)gardez-le et laissez dérouler vos suggestions, vous ne le regretterez pas. Joyeux Noël : https://www.youtube.com/watch?v=XkOYGrZQqmU


A propos de Pierre-Jean Delvolvé

Scénariste et réalisateur diplômé de la Femis, Pierre-Jean aime autant parler de Jacques Demy que de "2001 l'odyssée de l'espace", d'Eric Rohmer que de "Showgirls" et par-dessus tout faire des rapprochements improbables entre "La Maman et la Putain" et "Mad Max". Par exemple. En plus de développer ses propres films, il trouve ici l'occasion de faire ce genre d'assemblages entre les différents pôles de sa cinéphile un peu hirsute. Ses spécialités variées oscillent entre Paul Verhoeven, John Carpenter, Tobe Hooper et George Miller. Il est aussi le plus sentimental de nos rédacteurs. Retrouvez la liste de ses articles sur letterboxd : https://boxd.it/riNSm


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