Coco 1


Cela faisait près de 2 ans et demi que nous attendions le vrai retour des studios Pixar, depuis le génial Vice Versa (2015) qui apparaissait de plus en plus comme une exception au fur et à mesure des sorties. Mais l’attente a porté ses fruits, et c’est avec un plaisir non dissimulé qu’on vous parle de leur nouvelle perle Coco.

Terreur de l’oubli

Pixar nous a un peu trop habitués à la déception ces dernières années. Depuis Vice Versa (2015), les sorties du Voyage d’Arlo (2015) puis du Monde de Dory (2016) avaient vraiment de quoi consterner, même s’ils restaient en leur sein des moments d’animations prodigieux dont eux seuls ont le secret. Il y a eu ensuite le beau et théorique Cars 3 (2017), variation moins habitée mais intéressante autour des thématiques qui animaient le chef-d’œuvre Toy Story 3 (2010) de Lee Unkrich justement à la baguette de ce nouveau venu Coco. Cela ne rendait notre attente que plus vive. Autant le dire tout de suite, nous ne sommes pas déçus.

Comme tous les grands films des studios Pixar, le long-métrage s’ouvre sur une scène sublime, le résumé de l’histoire de la famille du héros Miguel en “papel picados”, papiers colorés découpés qui sont exposés en frise dans les villes du Mexique pendant « El dia de los muertes ». Les créateurs excellent encore et toujours dans cet art de la concentration en exposition, qui nous a déjà fait verser de nombreuses larmes et dont le paroxysme fût peut-être atteint avec les dix premières minutes extraordinaires de Là-Haut (Pete Docter et Bob Peterson, 2009). Ce qui est particulièrement intéressant à noter dans cette ouverture comme l’autre d’ailleurs, c’est qu’elle est déjà hantée par l’idée du souvenir. C’est sans doute là que se trouve le cœur du film, plus encore que l’idée de la mort, ou plutôt de la transmission sur la mort pour le jeune public. Alors bien sûr, on ne peut pas renier le fait que Coco est éminemment macabre dans son imagerie et ses thématiques, étant donné qu’il raconte l’histoire d’un petit garçon coincé dans le monde des morts. Mais bizarrement, cette question de la mort est en grande partie minimisée. Par exemple, à partir du moment où Miguel se retrouve dans le monde des morts, progressivement son corps se désagrège, sa chair disparaît, de telle sorte que s’il ne sort pas au plus vite avant la fin de ce fameux jour des morts, il deviendra un squelette à son tour, un mort parmi les morts. Or, cet enjeu n’apparaît pas comme indispensable, ni même comme source particulière de suspense. On aurait pu penser qu’il pouvait pouvait enclencher une logique d’angoisse comme celle de Retour vers le Futur (Robert Zemeckis, 1985), et ce n’est pourtant pas le cas. La mort est bien plus source de joie finalement, l’univers des défunts étant en outre d’une beauté totale. Il n’y a qu’à voir la transformation du chien de Miguel dans le monde des morts, métamorphose qui ne signifie rien d’autre que sa disparition et qui pourtant est un instant coloré, drôle, joyeux. C’est évidemment par-là que l’on pourra dire, pas totalement à tort mais un peu facilement, que Coco est le film parfait pour parler de la mort aux enfants car au fond il la minimise. Pourtant, le long-métrage est bien angoissé, inquiet, derrière la joliesse et la bonhomie de son univers. Mais cette angoisse vient d’ailleurs.

Dans ce monde parallèle, les morts peuvent donc conformément à la tradition mexicaine venir rendre visite le temps d’une nuit à leur famille, à condition que celle-ci ait affiché une photo de ces derniers de leur vivant. Si ce n’est pas le cas, ils sont condamnés à rester dans ce monde, pour finalement disparaître si jamais ils sont oubliés dans le monde des vivants. L’angoisse, la terrible anxiété au cœur de Coco est donc celle-ci : celle de l’oubli. Dans une scène absolument déchirante et totalement démente dans une production de cette ampleur destinée aux enfants, Miguel et son compagnon du monde des morts, Hector, croisent sur leur chemin un squelette qui paraît plus vieux et plus fatigué que les autres. Il s’apprête à disparaître définitivement, à être oublié. Il demande à ce qu’on lui joue une dernière chanson. Morceau de mélodrame sublime, la scène s’achève par l’évaporation de cet homme, sous les yeux ébahis de Coco et ceux pleins de larmes des spectateurs, tandis qu’Hector boit en son nom un court verre d’alcool. En une scène, Pixar prouve sa suprématie : il y a là l’audace de créer un personnage secondaire d’une seule scène immédiatement inoubliable, l’émotion terrassante venant de quelques gestes et d’une simple idée mise en image, l’évidence des plus grands mélodrames. Il y a donc comme toujours dans les plus grands travaux de la maison cette capacité intacte pour aller toucher un public jeune sur des angoisses très profondes et très dures. Il n’est pas anodin que l’un des personnages clés du film soit l’arrière-grand-mère de Miguel dénommée Coco, atteinte d’une forme d’Alzheimer pourrait-on dire. Dans la seconde grande scène mélodramatique et la plus belle du film, Unkrich ose tout de même d’incarner une pure utopie : celle de sauver un être de cette terrible maladie, en l’occurrence par une chanson. Il y a donc bien sûr de la dureté dans Coco, des angoisses éternelles et profondes incarnées avec beaucoup d’audace, mais aussi une foi bouleversante dans la fiction et dans des idées venues du pur rêve. C’est là sans doute la très grande intelligence des studios : savoir combiner l’ingéniosité du récit, la beauté technologique à des idées plus profondes. Ici, le récit peut sembler parfois un peu mécanique dans certains de ses rebondissements, notamment dans la découverte de l’identité du « grand méchant ».

Mais c’est là aussi que l’intelligence des auteurs paraît sans limite. En effet, contrairement à certains des récits les plus originaux des studios, Coco reprend à son compte des codes de récit très précis et assez éculés. En l’occurrence, l’histoire d’un enfant voulant devenir guitariste contre l’avis de sa famille mais qui va se battre pour accomplir ses rêves relève finalement d’un authentique cliché. Mais rarement on a vu une histoire comme celle-ci prendre cette hauteur. Il y a quelque chose de presque violent dans le traitement de cette thématique puisque pendant une longue partie du film, le refus de la famille (dû à l’abandon d’un ancêtre pour accomplir son rêve de musicien) se révèle d’une grande violence, d’une radicalité presque terrifiante. Il n’est pas interdit non plus de voir un certain engagement politique dans le fait de réaliser un objet presque à moitié hispanophone (et sur une part de la culture mexicaine) dans l’Amérique de Trump. Même si le film est en chantier depuis 7 ans, son arrivée sur les écrans ne peut pas paraître anodine. Enfin, la hauteur vient de la résolution qui en passant par le monde des morts permet finalement des sauts dans le temps, des pardons post-mortem. Tout chez Pixar semble prendre une dimension nouvelle, une plus grande force, parce que les longs-métrages sont portés par une authentique croyance, toujours aussi naïve que paradoxalement profonde. Ici, l’angoisse de l’oubli permet en contrepartie une foi absolue dans le souvenir. C’est le souvenir qui permet ces pardons post-mortem, ces rétablissements de la vérité et ces heureuses résolutions dans un monde parallèle qui ont des répercussions sur le monde réel. Mais ce n’est pas n’importe quel souvenir qui sauve pleinement. Le souvenir qui sauve vraiment c’est celui que porte une image. Ici c’est une photographie, mais ce pourrait être évidemment un film, n’importe quel objet l’imprimant directement. Les esprits cinéphiles comme les notre y verront un hommage au cinéma authentique et particulièrement habité, et ils auront raison. Il est assez merveilleux que ce message-là soit porté par une énorme boîte d’animation à la pointe de la technologie et propriété du géant (et méchant ?) Disney. C’est d’autant plus merveilleux que cet hommage rendu au 7ème art à travers la question du souvenir est également au cœur de deux autres très beaux films de cette fin d’année venus d’économies et de thématiques pourtant au départ apparemment très différentes. Ce sont Le Musée des Merveilles (Todd Haynes, 2017) et surtout, un autre film dont on ne peut pas vraiment parler dans les colonnes de Fais pas genre mais pour lequel je fais un peu de pub par le biais d’un habile détour : le magnifique documentaire Carré 35 (Éric Caravaca, 2017) qui raconte finalement exactement la même chose que Coco, avec presque autant d’émotion à la clé. L’image et le cinéma sauvent le souvenir, le souvenir sauve la vie, donc le cinéma sauve la vie. Voilà, c’est tout pour moi.


A propos de Pierre-Jean Delvolvé

Scénariste et réalisateur diplômé de la Femis, Pierre-Jean aime autant parler de Jacques Demy que de "2001 l'odyssée de l'espace", d'Eric Rohmer que de "Showgirls" et par-dessus tout faire des rapprochements improbables entre "La Maman et la Putain" et "Mad Max". Par exemple. En plus de développer ses propres films, il trouve ici l'occasion de faire ce genre d'assemblages entre les différents pôles de sa cinéphile un peu hirsute. Ses spécialités variées oscillent entre Paul Verhoeven, John Carpenter, Tobe Hooper et George Miller. Il est aussi le plus sentimental de nos rédacteurs. Retrouvez la liste de ses articles sur letterboxd : https://boxd.it/riNSm


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