Primer 1


Outbuster propose dans leur catalogue Primer, premier film du réalisateur Shane Carruth, à qui l’on doit plus récemment le brillant Upstream Color. Fais Pas Genre revient dans le temps pour vous parler d’un des films les plus intrigants et passionnants des années 2000.

A rebours

En 2004, le festival de Sundance donne son Grand Prix à un petit film nommé Primer. Produit, écrit, réalisé, monté et interprété par Shane Carruth, le film fait sensation de par sa complexité et son scénario assez original mais reste inédit en France. Abraham et Aaron sont deux ingénieurs travaillant sur diverses machines durant leur temps libre afin de pouvoir vendre des brevets. Mais lorsqu’ils découvrent qu’ils ont découvert un moyen limité de voyager dans le temps, les deux amis tentent d’utiliser leur création à leur avantage tout en évitant soigneusement de créer des paradoxes temporels. Mais même la plus froide et implacable des logiques peut céder face à l’inconstance et la cupidité humaine.

La grande force de Primer réside dans son histoire : menée d’une main de maître par Carruth, elle est d’une complexité folle. Le scénario navigue entre une tradition plus littéraire de la science-fiction et un aspect scientifique que l’on pourrait qualifier de crédible. Fort de sa formation d’ingénieur, le réalisateur utilise ses connaissances pour donner du relief à ses dialogues mais aussi à la théorie du voyage dans le temps qu’il développe tout au long du film, un côté vraisemblable qui passe donc indéniablement par ses personnages. Les enjeux et la tension passent massivement par les dialogues entre Abraham et Aaron. Ces derniers sont comme liés par la science, usent d’un jargon extrêmement technique et précis au point de presque donner corps à un troisième personnage : la théorie elle-même. Complexe à s’en arracher les cheveux et à se taper la tête contre les murs, la théorie est l’élément central de l’intrigue du film et tourne autour de la découverte du voyage dans le temps, ou du moins sa possibilité. Carruth se ré-approprie le motif du voyage temporel et de ses conséquences, sujet maintes fois abordé par les artistes au fil des ans et très inscrit dans un imaginaire collectif science-fictionnel et même au-delà. Délivrant un récit captivant mais aussi très profond sur la nature humaine et la cupidité en racontant la déchéance de personnages pourtant bien préparés et ayant réfléchi aux implications de leurs actions. Carruth nous pousse à réfléchir et à ne pas être passif mais le jeu intellectuel qui rend le scénario si complexe et passionnant rend parfois difficile l’attachement aux personnages.

Mais Primer se place dans la catégorie des films bruts aussi bien dans son fond que dans sa forme. Tourné en super 16 pour un budget de 7000 dollars, Carruth utilise d’une manière extrêmement intéressante l’image granuleuse mais pas dénouée de cachet via des cadrages précis et pensés pour représenter les conflits mais aussi les rapports de nos deux scientifiques entre eux et avec le monde et une utilisation que l’on pourrait qualifier de stylisée de la lumière si bien qu’on pense en cela beaucoup à PI (Darren Aronofsky, 1988). De par sa forme et sa mise en scène, Primer force le respect et Caruth propose un long-métrage excitant dans lequel il explore avec brio une certaine idée du cinéma à travers ses personnages, créateurs devenus victimes de leurs propres pulsions et de leur ambition. Cette petite bombe d’une rare intensité est aussi d’une précision et d’une complexité  qui forcerait presque le spectateur à se replonger dans le film à plusieurs reprises. il ose et ne se laisse pas limiter par son maigre budget, afin de se déployer dans toute sa splendeur et être, ni plus ni moins, l’une des propositions de cinéma les plus intéressantes, intelligentes et audacieuses de ce début de siècle.


A propos de Mathieu Pluquet

C'est après avoir découvert Le Voyage de Chihiro, Blade Runner et L'Exorciste que Mathieu se passionne pour le cinéma; depuis cette passion ne l'a pas quitté. Sinon il aime les comics, le café et est persuadé qu'un jour il volera dans le TARDIS et rencontrera le Docteur (et qu'il pourra lui piquer son tournevis sonique). Ses spécialités sont la filmographie de Guillermo Del Toro, les adaptations de comics et le cinéma de science-fiction.


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