Le Musée des Merveilles 1


Après le magnifique Carol (2016), Todd Haynes revient avec un film pour enfants au budget conséquent produit par Amazon. De par ses teintes de merveilleux et de fantastique, son hommage au cinéma et sa dimension aventurière, Le Musée de Merveilles, s’il est reparti bredouille de Cannes, se fraie un chemin dans nos colonnes.

It’s time to leave the capsule if you dare

Quelques paroles de David Bowie pour commencer, tirées de la chanson Space Oddity, parce que c’est là que s’achève Le Musée des Merveilles. Après deux heures de projection, le tube chanté par un cœur d’enfants résonne sur le générique défilant, tandis que des larmes chaudes coulent le long des joues des spectateurs qui tentent tant bien que mal de se remettre de leurs émotions. Autant vous dire que ceci est un avertissement. Si vous suivez mes articles, vous devez savoir que je pleure beaucoup au cinéma, certes. Mais là, je n’étais pas seul. Parce que Le Musée des Merveilles est sans aucun doute le film le plus émouvant de l’année. Cela ne veut pas dire pour autant que Todd Haynes sombre dans le pathos, loin de là. Le long-métrage dans sa gestion de l’émotion est même assez sobre, mais l’effet n’en est que décuplé. Pour parler de cette gestion discrète mais déchirante, je prendrai l’exemple suivant : dans une scène se déroulant dans le passé, Rose, la jeune fille dont nous suivons le parcours, se rend au début au cinéma. Rose est sourde. Cette séance – où comme par hasard tout le monde pleure– c’est son moment d’échappatoire, sa porte de sortie d’un monde qui ne semble pas vouloir d’elle. En sortant de la salle, encore très émue, la petite voit une publicité pour le cinéma parlant. Ce moment doit être filmé en deux plans, et ils suffisent à nous bouleverser. Le spectateur comprend tout de suite que cette petite fille sourde ne pourra plus jamais aller au cinéma, qu’il lui faudra alors trouver une autre échappatoire à la vie horrible qu’elle mène avec son père. Cet événement sera le déclic, elle partira ensuite pour New York retrouver son frère qui s’occupera d’elle mais surtout pour trouver l’actrice qui la fait tant rêver à l’écran. 

Cette histoire, cette échappée de la petite fille, a lieu dans les années 20 et est montée alternativement avec l’histoire de Ben dans les années 70. Celui-ci, après la mort de sa mère, veut absolument trouver l’identité de son père. Lors d’un orage, il est frappé par la foudre et devient sourd. Là aussi, un déclic, c’est le moment pour lui de partir pour New-York à la recherche de son père. Le montage alterné des deux histoires donne lieu à de purs vertiges temporels, à une virtuosité dans le récit qui fait croire pendant très longtemps à une relation surnaturelle liant les deux êtres. Cette croyance en un élément fantastique pendant tout le film est nourrie par une présence du genre plus d’une fois. Lors de la spectaculaire scène d’orage au début par exemple, mais surtout dans les aventures que vivent les enfants. Il y a vraiment un côté Stand by Me (Rob Reiner, 1986), notamment dans la relation que va nouer Ben avec un nouvel ami, Jamie, extrêmement belle et touchante. C’est d’ailleurs dans l’une des scènes entre les deux que Todd Haynes démontre une fois de plus qu’il n’est pas simplement qu’un enjoliveur mais aussi un cinéaste capable de mettre en scène avec beaucoup de maestria des confrontations en simple champ contre champ. C’était la scène de divorce et le discours de Cate Blanchett dans Carol, c’est la scène où les deux enfants se disputent dans celui-là, avec la sublime et discrète phrase de Jamie : « because I don’t have any friend… ». On y voit d’ailleurs la grande force des comédiens enfants, tous remarquables. L’actrice de Rose, Millicent Simmonds, véritablement sourde depuis qu’elle a 1 an, est particulièrement impressionnante. Tous participent au charme si particulier de ces films d’aventures enfantins, tous nous donnent envie de les suivre, de s’échapper avec eux, de sortir de nos fauteuils où nous sommes coincés pour traverser l’écran, voyager et planer avec eux.

Pourtant, évidemment, Le Musée des merveilles n’est pas seulement un de ces films comme les autres et son charme n’est pas sa seule qualité. De par son récit mais aussi tout une série de choix de mise en scène, il est également une œuvre formellement complexe, ce qui peut rebuter dans un premier temps. En effet, Todd Haynes a pu nous habituer par le passé à une forme parfois inutilement alambiquée, notamment dans le plutôt ennuyeux et assez froid I’m Not There (2010). La complexité de ses dispositifs a pu, plus d’une fois, me laisser sur le bord de la route. Mais depuis le film précédent et de manière encore plus éclatante avec celui-ci, quelque chose de nouveau vibre dans son cinéma. Sa sophistication semble enfin s’incarner, rencontrer des sujets dans lesquels elle s’emboite parfaitement, permettant une émotion plus profonde. Il y a d’abord et avant tout le fait que cette forme est plus que jamais virtuose. Accompagné de la bande originale sublime de Carter Burwell, Todd Haynes se confronte vraiment à la question de la surdité et à ce qu’elle implique dans la gestion du point de vue. Dans la partie au passé et son magnifique noir et blanc, il en profite pour faire un très beau film muet, sans que celui-ci ne soit qu’un simple exercice de style malin, bien fichu et un peu vain comme pouvait l’être The Artist (Michel Hazanavicius, 2011) en son temps. Le lien de cette partie avec l’autre se fait à la fois par une écriture formidablement maîtrisée mais aussi un art du montage qui subjugue plus d’une fois, des jeux de symétrie très sophistiqués entre les deux histoires. Le spectateur ne passe pas son temps à analyser ce brio formel, il est avant tout curieux et captivé. Il y a beaucoup de ludisme dans cette mise en scène et cette écriture, où le spectateur peut s’amuser à recoller les morceaux tout seul, à faire toute une série de suppositions. Il est donc toujours plus appelé à stimuler son propre imaginaire, imaginaire qu’on trouvera forcément déjà très fourni à l’écran mais qui est toujours incarné, qui trouve une forme de chair dans les musées, les objets, ce cabinet de curiosité qui parcourt et tient le film, à la fois théoriquement et émotionnellement. Le moment où la sophistication rencontre définitivement son sujet et bouleverse le plus se trouve à la fin du métrage. Nous ne dévoilons rien de l’intrigue véritablement ici, car il y a un vrai plaisir à découvrir le film le plus vierge possible, donc cela pourra paraître un peu vague. Dans un des derniers instantsdonc, Ben a trouvé sur son chemin une vieille dame intrigante jouée par une très convaincante Julianne Moore. Celle-ci lui fait découvrir une maquette de New-York dans laquelle se cachent de nombreux souvenirs. C’est l’occasion pour Todd Haynes de mettre en scène tous ces souvenirs avec les maquettes, dans une animation stop motion. Là où le film pourrait vraiment se perdre avec ce procédé, il atteint un véritable pic émotionnel car il ne ressemble pas du tout à une pure volonté d’auteur totalement déconnectée de ses personnages. Avec cette idée, le cinéaste arrive à incarner la pure enfance, l’évidence enfantine, comme peu de cinéastes l’ont fait avant lui. C’est ce qui fait de l’œuvre un véritable film pour enfants aussi, et il faut absolument que celui-ci ne soit pas simplement considéré comme un film d’auteur pour festival. Le film peut vraiment toucher les enfants et il est clair qu’il a été fait en grande partie pour ces derniers. Ses premiers scores très faibles au box-office ont vraiment de quoi rendre mélancolique : pour une fois qu’un authentique grand spectacle (au sens qu’il ne cherche finalement que l’émerveillement) ne prend pas le jeune public pour une bande de consommateurs écervelés, le succès n’est pas au rendez-vous… Déprimant.

Il est important de noter que le long-métrage doit avant tout toucher les enfants parce que c’est aussi un film de transmission qui tente de raconter aux enfants ce qu’est profondément le cinéma, la fiction et de leur dire pourquoi il peut être important aussi pour eux, pourquoi il est un lieu privilégié de rêve et d’émotion. Tout cela n’est pas étonnant quand on sait que le film est écrit par celui qui avait déjà scénarisé Hugo Cabret (Martin Scorsese, 2011) autre très beau film pour faire découvrir et aimer le 7ème art aux enfants, mais aussi autre grand film d’aventure. Vous l’aurez compris, à plus d’un titre Le musée des merveilles est une sorte de rêve, un retour en enfance déchirant qui n’oublie pas d’être ludique et lumineux. Sa profonde candeur pourra parfois déplaire à certains spectateurs, quand on voit que le film est reparti totalement bredouille du festival de Cannes alors qu’il était au milieu de la compétition la plus médiocre des dix dernières années (et pourtant, la concurrence est rude à ce niveau-là…). Cette candeur enfantine, ces émotions primaires de cinéma, ne semblent malheureusement plus avoir leur place dans un marché qui privilégie la petite misanthropie donneuse de leçon dans le cinéma d’auteur, et le cynisme grossier dans les productions familiales. Dans cette ambiance, on vous recommande chaudement, et sans aucune nuance (parce qu’il n’y a rien de plus chiant que la nuance) de vous ruer sur cette petite perle. Vous allez vous échapper, pleurer, et surtout rêver pendant 2h. Rien ne pourra vous faire sortir de ce rêve, ou peut-être seulement la douce voix des enfants et les paroles de Bowie : « Ground control to Major Tom ».


A propos de Pierre-Jean Delvolvé

Scénariste et réalisateur diplômé de la Femis, Pierre-Jean aime autant parler de Jacques Demy que de "2001 l'odyssée de l'espace", d'Eric Rohmer que de "Showgirls" et par-dessus tout faire des rapprochements improbables entre "La Maman et la Putain" et "Mad Max". Par exemple. En plus de développer ses propres films, il trouve ici l'occasion de faire ce genre d'assemblages entre les différents pôles de sa cinéphile un peu hirsute. Ses spécialités variées oscillent entre Paul Verhoeven, John Carpenter, Tobe Hooper et George Miller. Il est aussi le plus sentimental de nos rédacteurs. Retrouvez la liste de ses articles sur letterboxd : https://boxd.it/riNSm


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