Clouzot, mieux vaut tard que jamais 2


Mieux vaut tard que jamais, la Cinémathèque Française livre son hommage à Henri-Georges Clouzot avec une exposition et une rétrospective. On ressort en même temps l’intégralité de ses films, et un bon bouquin de Chloé Folenc est édité : on fait le point sur tout ça, mais surtout sur l’injuste perception du bonhomme qu’il convenait bien de corriger.

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L’enfer français

C’est super tout le tintamarre autour de Henri-Georges Clouzot en cette fin d’année 2017. Sérieux, j’étais très content de voir tout ça…Puis après, quelque chose comme quatre secondes après, j’étais tout de même déjà un peu moins content. Je dirais pas depuis l’aube de ma cinéphilie mais presque, j’ai considéré Clouzot comme un des plus grands cinéastes de l’histoire française, dont les œuvres m’éblouissent la plupart du temps alors que celles d’autres plus précieux « de la même époque » élargie comme Marcel Carné ou Jean Renoir me portent plutôt à l’ennui. Le cinéma français des années 30 à 60, hors postures nouvelle-vaguesques, ça a facilement quelque chose de vieillot, dans le jeu notamment. Or chez Clouzot, ça me paraît toujours moins vieillot, plus affûté, peut-être parce que c’est aussi souvent plus sombre et ambigu. Audacieux par une lucidité effrayante qui dérange toujours, liée à une exigence formelle qui dépasse encore…Toutefois au cours de plusieurs discussions, j’ai pu m’enflammer sur le Henri-Georges sans vraiment de retour (je parle pour les gens de ma génération plus ou moins éloignée) et d’être un peu seul au monde à l’admirer parmi les gens de moins de 70 ans. Il faut bien dire qu’il était un peu tombé dans une espèce d’oubli.

Amnésie corrigée par la Cinémathèque Française, grand bien nous fasse ! Trente ans après la mort du cinéaste en question, alors qu’un réalisateur bien moins important comme Wes Craven ou des gens comme Vincent Lindon ont eu droit aux honneurs de l’institution plus tôt… Ce n’est pas anodin. Personnage tyrannique et sulfureux, accusé à tort lors de l’épuration, Clouzot a été avant tout victime de lui-même, mais aussi de son époque et de la mentalité de son pays : en France, on aime trop les comédiens pour accepter qu’un cinéaste les maltraite, à moins que celui-ci ne soit américain comme Kubrick qui fait pleurer Shelley Duvall, auquel cas c’est respectable ; en France, on ne considère que peu les genres comme du grand cinéma, et Clouzot s’est illustré en livrant des thrillers (c’est incontestablement un des pères du genre à la française), policiers voire un film d’aventure inouï remaké par Hollywood (Sorcerer) ; enfin en France, on a eu la Nouvelle Vague qui a injustement mis Henri-Georges Clouzot dans le même panier que le cinéma de Papa et des gars comme Claude Autant-Lara ou Julien Duvivier (!), posture d’une mauvaise foi évidente que François Truffaut a lui-même dénoncé dans une correspondance privée avec Clouzot. En réalité en France, on aime pas les artistes hors-normes du moment, en tout cas on n’apprécie rarement à juste titre leur démesure à la fois détestable et géniale.

Car, et c’est ce que retranscrit très bien le livre de Chloé Folens, Les métamorphoses d’Henri-Georges Clouzot publié chez Vendémiaire/Cine Patrimoine Concept, le cinéaste originaire de Niort a livré une filmographie révolutionnaire et inédite dans le paysage cinématographique français tout autant qu’international. Infatigable chercheur, névrosé de la minutie, artiste complet et démiurge, il a fait reculer les frontières d’un cinéma hexagonal tout simplement pas prêt pour lui. Preuve en est que si son projet dantesque, avant-gardiste (repompé dans le clip 1+1 de Beyoncé, c’est quand même dire que le bonhomme était dans le turfu), L’enfer a pu être entamé, c’est grâce à un financement américain…Illimité. Malheureusement Clouzot était pile ce genre de cinéastes assez barge auquel il ne fallait surtout pas accorder une telle largesse. Folens décrypte toutes les folies de l’homme, son parcours professionnel et personnel sans angélisme (même sur la sexualité du bonhomme) et livre un travail extrêmement documenté qui sait voir de manière objective les apports colossaux de Clouzot (les passages sur les documentaires sur Karajan et Picasso, entre autres) sans négliger les attitudes atroces qu’il a pu porter, tout comme ses extravagances et ses coups de folie. Un livre à lire en complément d’un des rares autres bouquins écrits sur Clouzot, Clouzot cinéaste de Marc Godin et José-Louis Bocquet, qui a longtemps été le seul sémaphore clouzotesque dans ma bibliothèque. Du moins jusqu’à la sortie de ces Métamorphoses d’Henri-Georges Clouzot. Au fond, même tardive, cette reconnaissance a du bon…


A propos de Alexandre Santos

En parallèle d'écrire des scénarios et des pièces de théâtre, Alexandre prend aussi la plume pour dire du mal (et du bien parfois) de ce que font les autres. Considérant "Cannibal Holocaust", Annie Girardot et Yasujiro Ozu comme trois des plus beaux cadeaux offerts par les Dieux du Cinéma, il a un certain mal à avoir des goûts cohérents mais suit pour ça un traitement à l'Institut Gérard Jugnot de Jouy-le-Moutiers. Spécialiste des westerns et films noirs des années 50, il peut parfois surprendre son monde en défendant un cinéma "indéfendable" et trash. Retrouvez la liste de ses articles sur letterboxd : https://boxd.it/s2uTM


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