D’après une histoire vraie


Après le formidable La Vénus à la fourrure (2013), Roman Polanski revient au cinéma avec l’adaptation d’un roman de Delphine de Vigan, accompagné de polémiques et de critiques très négatives. Finalement, que vaut D’après une histoire vraie ?

Le sujet caché

Je voulais éviter le sujet pour commencer l’article, mais bon, ma colère face à la mauvaise foi de certains collègues m’oblige à en parler. Il est évident qu’il faut parler du nouveau film de Roman Polanski et que sa carrière doit être considérée à sa juste valeur : elle est d’une importance fondamentale. Maintenant, on peut être admiratif de cette œuvre et ne pas considérer qu’il est nécessaire d’applaudir l’homme, d’en faire un président de cérémonie ou un héros national. Il est énervant d’avoir le sentiment de ne pas pouvoir être totalement sur cette ligne quand les cinéphiles, ceux qui seraient dans « notre camp », en font évidemment trop dans la défense du cinéaste. Dernière exemple en date, cette une stupide et indécente de La Septième Obsession et sa ridicule défense. Il faut arrêter de considérer qu’il est anodin de mettre en une Polanski, la tête haute, totalement héroïsé. On dirait presque un buste statufié… Il y a vraiment un travail à faire de notre côté, nous cinéphiles, pour toujours parler des films de Polanski sans pour autant en faire un argument de vente, et un jeu de défense bêtement provocateur. Parlons donc ce nouveau film.

Pour ne rien arranger à la difficile réception de ce long-métrage, celui-ci a été conspué comme rarement à Cannes où il était présenté hors-compétition dans les derniers jours du festival. Le fait qu’il soit adapté d’un roman plus que moyen, avec un scénario co-écrit par Olivier Assayas, auteur du très moyen aussi Personal Shopper (2016), on ne pouvait s’attendre qu’au pire. A plus d’un titre, D’après une histoire vraie apparaît comme une étrangeté, un film impur, imparfait et plein de grumeaux. Mais il est assez incompréhensible qu’il ait été accueilli aussi durement, comme si son humour était involontaire. Il est très clair, et c’est ce qui fait son prix, que le film est avant tout une comédie, une satire. Le jeu ultra forcé des comédiens, l’invraisemblance des situations, les dialogues tout droits sortis parfois de la pire littérature de gare, tout cela se déployant sous un tel titre, il est évident que c’est à la veine la plus ironique du cinéma de Polanski à laquelle on assiste. Ce qui est d’autant plus logique puisque c’est cette veine qu’il exploite depuis le vain et faible Carnage (2011) en passant par la merveilleuse Vénus à la fourrure (2013). Peut-être que les spectateurs ont également oublié que Polanski est le réalisateur du Bal des Vampires (1967) ? Pour être tout à fait honnête, on peut comprendre que les pistes soient brouillées par le pitch à savoir l’histoire d’une écrivaine manipulée progressivement par une admiratrice dont on s’interroge sur l’identité. Paranoïa, trouble identitaire, crise d’inspiration, il y avait de quoi attendre un Polanski plus sérieux. Mais l’intérêt vient précisément de ce refus de sérieux, de son ironie corrosive et bizarre.

Parfois, même souvent, cette ironie fait mouche. Quand Polanski incarne le psychologisme insupportable de l’époque (« tu dois écrire ton livre caché » ne cesse de répéter le personnage manipulateur) sous les traits volontairement grossiers d’Eva Green et à travers ses grands yeux, il y a une pure jubilation qui opère. Quand il se joue des clichés du roman de gare, des rebondissements les plus invraisemblables et qu’on force à être « vrais », là aussi, le film et sa mise en scène font preuve de beaucoup de brio. Je fais partie de tous ces spectateurs fatigués de voir ce carton atroce « Based on a true story », et le voir moquer avec la malice plus vive que jamais de Roman Polanski, qui n’a pas conservé le titre du roman par hasard, éveille en moi un vrai plaisir de spectateur. En revanche, quand Polanski se lance dans une caricature outrancière d’une certaine bourgeoisie, il n’évite pas toujours l’entre-soi et le cynisme un peu facile. Il y a notamment quelque chose d’un peu gênant dans ces citations perpétuelles de stars existantes. Dans ce registre de la caricature outrancière, Polanski ne manque ni de ressource ni de talent quand il s’agit d’y frotter les codes de son propre cinéma, la paranoïa et l’angoisse, mais dès qu’il s’en éloigne un peu il peine à obtenir le regard juste. Un regard mêlant à la fois affection et parasitage ludique, comme celui d’un Paul Verhoeven dans Elle (2016). Dans ces moments « bourgeois », on est malheureusement plus proche du cynisme bête et vain de Carnage (2011).

Ce qui fait également que D’après une histoire vraie génère une vraie affection, c’est que son ironie refuse toujours le calibrage. Elle est foutraque, joueuse, baladeuse, et parfois même vénéneuse, rompant avec le pompiérisme misanthrope des productions auteuristes adulées à Cannes et dans les circuits les plus chics depuis plusieurs années. Que cette année, l’atroce The Square (Ruben Östlund, 2017), sa haine satisfaite et sa parodie minable du milieu de l’art contemporain aient remporté la palme d’or, tandis que D’après une histoire vraie repartait avec la palme symbolique du plus mauvais film du festival décernée par beaucoup de festivaliers me paraît tout à fait symptomatique. Il est beaucoup plus chic de n’avoir rien à raconter et de le faire en visant la grande forme avec le ton le plus sentencieux qui soit, plutôt que d’apprécier une œuvre imparfaite mais qui vise le jeu et le ludisme.

Bien sûr, il y a des défauts et ils sont même assez nombreux. Mais il y a toujours un moment où en un raccord, en un plan, Polanski nous rappelle toute sa maestria, et surtout où il montre sa profonde malice. Il vient moquer notre volonté de toujours chercher les sujets cachés, les rapprochements avec la vie privée, le sensationnalisme de notre époque régie par les réseaux sociaux, dans un spectacle parfois hasardeux mais toujours investi d’un vrai désir de cinéma. C’est une version imparfaite, brinquebalante et perverse de son dernier chef-d’œuvre The Ghost Writer (2010), peut-être. Or il est rare de voir un cinéaste n’ayant plus rien à prouver se remettre autant en question et tenter de revenir vers le versant de son cinéma le moins aimé, celui de Quoi ? (1972) ou de Lunes de Fiel (1992). Il est en tous cas franchement drôle d’imaginer ceux qui chercheront le « sujet caché » de ce film, et on imagine bien Polanski en rire aussi. Quoi qu’il en soit, sans admirer l’homme Polanski, et sans vouloir en faire la une de l’actualité, on peut trouver ce rire communicatif, léger et stimulant.


A propos de Pierre-Jean Delvolvé

Scénariste et réalisateur diplômé de la Femis, Pierre-Jean aime autant parler de Jacques Demy que de "2001 l'odyssée de l'espace", d'Eric Rohmer que de "Showgirls" et par-dessus tout faire des rapprochements improbables entre "La Maman et la Putain" et "Mad Max". Par exemple. En plus de développer ses propres films, il trouve ici l'occasion de faire ce genre d'assemblages entre les différents pôles de sa cinéphile un peu hirsute. Ses spécialités variées oscillent entre Paul Verhoeven, John Carpenter, Tobe Hooper et George Miller. Il est aussi le plus sentimental de nos rédacteurs. Retrouvez la liste de ses articles sur letterboxd : https://boxd.it/riNSm

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